Je suis chercheur et professeur au Département de pharmacologie et de thérapeutique à McGill. Je dirige un laboratoire de recherche actif travaillant sur les maladies cardiovasculaires, et j’enseigne à des centaines d’étudiants de premier cycle, de cycles supérieurs et de médecine. Je viens de lancer une petite entreprise biotechnologique.
Récemment, j’ai réfléchi à ce qui m’a poussé à venir au Québec en provenance de l’extérieur et à m’y installer pour développer ma carrière, surtout à la lumière des changements proposés par la CAQ aux frais de scolarité pour les étudiants venant de l’extérieur de la province.
Quand j’ai commencé mes études doctorales à l’Université de Toronto, je ne savais pas grand-chose sur Montréal. Cela a changé pendant ma deuxième année d’études doctorales lorsque mon directeur de thèse nous a dit qu’il partait à McGill et que nous étions les bienvenus pour le suivre. Mon travail n’allait pas très bien à l’époque, mais je ne suis pas du genre à renoncer, alors j’y suis allé. Cela s’est avéré être un moment décisif pour moi, et je suis ici à Montréal depuis 1989.
Je travaillais dans le laboratoire de mon directeur à l’Hôpital général de Montréal une nuit de décembre de cette année-là, et j’ai entendu beaucoup d’ambulances arriver. Quatorze femmes ont été tuées cette nuit-là – ce moment m’a profondément marqué. La nuit suivante, je suis allé à la veillée pour ces femmes à la Polytechnique. C’est là que j’ai rencontré mon futur superviseur de postdoctorat. Je suis ainsi passé d’une université montréalaise à une autre en 1993.
C’est au postdoctorat à l’Université de Montréal que j’ai rencontré ma future femme – je serai éternellement reconnaissant envers mon patron de l’époque, car il a placé mon bureau en face du laboratoire où elle travaillait!
Je ne sais pas exactement quand j’ai pris la décision de rester à Montréal, je ne me souviens pas avoir jamais pensé consciemment à partir. J’ai fini par occuper mon premier poste de professeur à l’Institut de cardiologie de Montréal (Université de Montréal), et de nouveaux défis ont suivi. Je devais enseigner en français. Je ne parlais pas du tout français quand je suis arrivé. Je pensais pouvoir me débrouiller avec mes cours de français de l’école primaire. Hah! Quand je suis arrivé ici, je n’arrivais même pas à remplir le formulaire en français pour faire installer le téléphone.
Je suis un homme fier, mais je vais admettre que peu de choses m’ont donné autant de fierté que d’apprendre à enseigner en français. J’ai écrit mes cours de manière phonétique pour les deux premières années. C’était une torture, pour moi et surtout pour les étudiants. Ce qui m’a poussé à continuer, c’est qu’ils reconnaissaient les efforts d’un anglophone unilingue refusant de leur parler en anglais.
Je pense être tombé un peu amoureux de la province à ce moment-là. J’ai même voté oui en 1995 parce que je pensais que les Québécois devraient décider de leur propre destin. Les gouvernements successifs ici et à Ottawa m’ont convaincu que ni l’un ni l’autre n’était prêt pour un Québec indépendant, et je ne pense pas que le Québec lui-même soit prêt à être indépendant. Avez-vous vu les routes? Mais cela pourrait arriver un jour, et je resterais.
En 2005, je suis passé à McGill. L’enseignement en français a fini par me manquer. . Je vois encore parfois des mots scientifiques en français dans ma tête. Cela me rend toujours heureux de connaître autant de mots dans ma deuxième langue, même s’il est difficile de les conjuguer en phrases parfaites. J’ai appris à cesser d’avoir peur de paraître idiot, c’était libérateur et m’a permis d’avoir beaucoup de conversations très intéressantes au fil des ans.
Alors pourquoi suis-je resté? La réponse est simple et compliquée. J’adore faire de la science ici et j’aime les étudiants extraordinaires qui viennent travailler et étudier avec moi. Il y a des moments où je regrette ma décision en regardant le gouvernement pénaliser les immigrants et les anglophones qui ne parlent pas ou ne peuvent pas parler français. Ce n’est pas ce que j’aimais dans cette province. Cet endroit a beaucoup à offrir, il est magnifique, et j’adore explorer chaque coin du Québec. J’ai construit une vie ici en venant de l’extérieur. Le gouvernement ne devrait pas limiter de telles opportunités pour d’autres qui suivraient mes traces.
Terry Hébert est vice-doyen adjoint à l’enseignement des sciences biomédicales et professeur de pharmacologie à l’École des sciences biomédicales.