Une collaboration entre l’Université McGill et l’Université de Gothenburg débouche sur un test peu coûteux qui pourrait révolutionner le diagnostic, l’étude et le traitement de la maladie

Par Gillian Woodford

Un test sanguin pouvant détecter la maladie d’Alzheimer (MA) a été découvert et validé dans le cadre d’une collaboration entre une équipe de recherche mcgilloise et des chercheurs suédois. Leurs résultats sont publiés dans le numéro de mai de la revue The Lancet Neurology. L’auteur d’un commentaire qui accompagne la publication qualifie la découverte de « transformatrice ».

Le test permet de mesurer avec exactitude le taux sanguin de P-tau181, l’une des protéines en cause dans la MA. Le taux de P-tau181 dans le sang est une mesure indirecte de l’hyperphosphorylation de la protéine tau dans le cerveau, l’un des signes caractéristiques de la maladie, avec les plaques causées par l’accumulation cérébrale de protéine amyloïde β. Jusqu’à maintenant, on ne pouvait détecter ces protéines et confirmer le diagnostic de MA qu’au moyen d’une coûteuse tomographie par émission de positons (TEP), d’une ponction lombaire, prélèvement effractif, ou d’une autopsie.

La quête d’un marqueur sanguin de la MA est amorcée depuis des années, mais les chercheurs ont longtemps peiné à trouver un test assez sensible pour détecter la protéine tau. « C’était un défi, puisque ces protéines se retrouvent en très faible concentration dans le sang », explique le neurologiste Tharick Pascoal, qui vient d’obtenir un Ph. D. au sein du Programme intégré en neurosciences (PIN) de l’Université McGill. Le clinicien-chercheur est co-premier auteur de l’article, aux côtés de Thomas K. Karikari, qui travaille avec Kaj Blennow et Henrik Zetterberg à l’Université de Gothenburg. Le nouveau dosage est assez sensible pour détecter des taux très faibles de la protéine dans le sang de patients qui ne manifestent aucun signe d’atteinte cognitive. « En comparant les résultats avec ceux des tests plus élaborés, comme la TEP et l’analyse du liquide céphalorachidien (LCR), nous avons constaté qu’ils étaient pratiquement les mêmes pour plusieurs applications », ajoute le Dr Pascoal. « Les résultats étaient incroyables. Nous étions très étonnés, honnêtement, et très excités. Nous ne nous attendions pas à ce qu’un simple test sanguin donne des résultats très semblables à la TEP. »

La TEP, test de référence

« C’est un point tournant », résume le Dr Serge Gauthier, coauteur de l’étude, directeur de l’Unité de recherche sur la maladie d’Alzheimer et les troubles connexes du Centre McGill d’études sur le vieillissement (CMEV) du Centre universitaire de santé McGill, et professeur aux départements de neurologie et neurochirurgie, de psychiatrie et de médecine de l’Université McGill. Le Dr Gauthier, le Dr Pedro Rosa-Neto, professeur agrégé aux départements de neurologie et neurochirurgie et de psychiatrie, et le Dr Pascoal sont des chefs de file mondiaux de la TEP en contexte de maladie d’Alzheimer. Ils réalisent leurs travaux au Laboratoire de neuroimagerie translationnelle du CMEV, au Centre de recherche Douglas et à l’Institut neurologique de Montréal. Les trois experts ont été invités à se joindre à une étude internationale de grande envergure dirigée par le prestigieux groupe de recherche sur les immunodosages de l’Université de Gothenburg.

Le rôle du groupe mcgillois était de fournir la cohorte en soins primaires qui permettrait de reproduire in vivo les résultats du dosage. Pour ce faire, le groupe a eu recours aux données recueillies dans le cadre de la cohorte de biomarqueurs de vieillissement et de démence (BIOVIE), lancée il y a trois ans par les Drs Gauthier et Rosa-Neto. La cohorte BIOVIE vise deux objectifs, explique le Dr Rosa-Neto : « Le premier est de comprendre la physiopathologie de la maladie, et le deuxième est d’employer la technologie de référence – la TEP – pour faire une évaluation comparative des nouveaux biomarqueurs sanguins. C’est ce qui rend notre cohorte aussi distinctive. » Les prélèvements sanguins ont été réalisés à Montréal chez les participants de la cohorte BIOVIE, puis envoyés en Suède, où le dosage a été mis à l’essai. L’équipe montréalaise a ensuite reproduit les résultats en les comparant avec ceux de la TEP et de l’analyse de LCR.

Des applications cliniques importantes

L’équipe mène un autre essai pour déterminer l’utilité de ce biomarqueur en milieu clinique et le mettre à l’épreuve en contexte réel. Le test devrait être largement accessible d’ici deux à trois ans.

Le test présente plusieurs applications cliniques importantes : on pourrait notamment s’en servir pour dépister la MA en première ligne, pour suivre la progression de la maladie, ou encore pour confirmer le diagnostic de MA chez les participants d’essais cliniques, ce qui permettrait de déterminer avec précision l’efficacité des médicaments à l’essai contre la maladie d’Alzheimer. Le dosage pourrait réduire drastiquement le coût du diagnostic et de l’étude de la maladie, ici et dans les pays en développement. « Les pays qui n’ont pas d’appareils de TEP peuvent maintenant espérer diagnostiquer plus précisément la maladie d’Alzheimer », avance le Dr Gauthier.

Le test pourrait également ouvrir la voie à de meilleurs traitements qui ne feraient pas qu’atténuer l’atteinte cognitive, mais qui ralentiraient la progression de la maladie, d’ajouter le Dr Rosa-Neto. Le Dr Gauthier abonde dans le même sens : « Nous pouvons maintenant rêver d’un tel médicament. »

La sensibilité du test permet également de distinguer les patients atteints de la maladie d’Alzheimer de ceux souffrant d’autres troubles neurodégénératifs, dont la démence frontotemporale. Il permettra aussi d’écarter un diagnostic d’Alzheimer chez les patients présentant un trouble cognitif léger (TCL), ce qui indiquerait qu’il faut chercher ailleurs la cause de leurs problèmes de mémoire. Le Dr Pascoal fait remarquer qu’environ 30 % des patients qui ont actuellement un diagnostic de MA ne sont pas atteints de la maladie. « On ne parle pas ici de personnes de 90 ans, mais de personnes de 60 ans; à un aussi jeune âge, le diagnostic est incertain », explique le Dr Gauthier.

Le Dr Gauthier s’empresse de préciser qu’à ce stade-là, le test signalera un facteur de risque, mais ne constitue pas un diagnostic. Il le compare à un test de cholestérol, qui peut indiquer un facteur de risque de maladie cardiaque. « Il n’y a pas de traitement pour les troubles cognitifs légers à part les changements au mode de vie qui permettent d’abaisser la pression sanguine et de rester actif mentalement et physiquement – toutes les bonnes habitudes qu’on est déjà censé prendre », dit-il. « Mais les gens seront plus motivés à le faire s’ils savent qu’ils ont un taux élevé de protéines et qu’ils sont à risque. »

Différencier les troubles neurodégénératifs

Le Dr Rosa-Neto ajoute que le biomarqueur sera particulièrement utile chez les patients présentant un déclin cognitif précoce, afin d’écarter un diagnostic de MA et de chercher d’autres causes de démence, mais aussi pour dépister la MA chez les patients manifestant des symptômes atypiques, comme un trouble de la parole, des difficultés de lecture ou d’écriture, ou certains problèmes comportementaux. « La maladie d’Alzheimer présente une grande hétérogénéité, et les biomarqueurs permettent aux médecins de déterminer lesquels de leurs patients ayant des symptômes atypiques sont atteints de la MA », explique-t-il. « C’est important, car le principal traitement contre la MA, les inhibiteurs de la cholinestérase, peut être nocif pour les personnes qui n’ont pas la maladie. »

Le Dr Pascoal ajoute que le dosage sera important pour aider les cliniciens à déterminer le stade de la maladie d’Alzheimer, des TCL de stade précoce, où le taux de protéine tau est faible, à la MA de stade avancé où ce taux est beaucoup plus élevé.

Les cliniciens-chercheurs soulignent l’immense contribution des volontaires de partout à Montréal qui se sont généreusement prêtés à trois examens de TEP par année, une ponction lombaire, une IRM, ainsi que des tests sanguins et cognitifs dans le cadre de la cohorte BIOVIE. « Ces personnes savaient qu’un jour leurs efforts porteraient fruit – et ce jour est arrivé », dit le Dr Gauthier. Compte tenu des coûts importants des travaux (le Dr Rosa-Neto estime que la recherche coûte environ 30 000 $ par participant), l’équipe est également reconnaissante de l’appui de ses subventionnaires, les IRSC, le FRQS et le Weston Brain Institute.

The Lancet Neurology, vol 19, mai 2020, DOI : https://doi.org/10.1016/S1474-4422 (20) 30071-5