Patricia Lynn Dobkin, 1982 (photo : Patricia Dobkin)

Je me tenais debout (et je tremblais de l’intérieur) à l’extrémité d’une table de réunion du Pavillon Stewart des sciences biologiques. C’était à la demande de mon mentor, le Pr Ronald Melzack. Il m’avait proposé de répéter en prévision de la conférence scientifique d’obstétrique et gynécologie qui avait lieu la semaine suivante. À titre d’assistante à la recherche de premier cycle, c’était moi qui avais questionné à tour de rôle toutes les patientes qui répondaient aux critères – dilatation d’au moins 2 ou 3 cm et contractions espacées de 5 minutes ou moins – alors qu’elles étaient en plein travail, à l’Hôpital général de Montréal (HGM). Nous avions constaté que les femmes primipares qui avaient suivi des cours de préparation à l’accouchement présentaient un score plus faible sur l’échelle de la douleur que celles qui n’avaient suivi aucun cours. Néanmoins, les effets des cours prénataux étaient relativement légers, puisque la plupart des patientes (81 %) qui avaient suivi ces cours demandaient une anesthésie épidurale.*

Dans les années 1980, nous n’avions pas de téléphones portables, alors j’avais emménagé dans un studio au bas de la colline menant à l’hôpital pour pouvoir remonter la rue Guy à la course et me rendre au service de maternité sur appel. Ce n’était pas mon seul exercice physique : à l’époque, il y avait une piscine extérieure où j’allais souvent nager entre deux patientes. (Je portais un maillot de bain sous mes vêtements et mon sarrau!) C’était la belle époque, avant les ordinateurs de bureau et les présentations PowerPoint. J’avais donc préparé des acétates à afficher avec un projecteur.

Ronald Melzack (McGill University)

Le Pr Melzack m’a également donné la chance d’étudier à ses côtés à la clinique de la douleur de l’HGM. Il avait été impressionné par mon retour sur les bancs d’école après avoir parcouru la planète pendant cinq ans, équipée seulement d’un sac à dos et d’une curiosité insatiable. Le Pr Melzack m’a fait découvrir non seulement ses publications sur la douleur, mais aussi ses livres pour enfants (notamment Raven: Creator of the World). À l’occasion, il m’interrogeait sur mon vécu, car sa fille avait environ mon âge. Puisque j’avais passé beaucoup de temps loin des salles de cours, je prenais énormément de notes à la clinique de la douleur et je dessinais même des croquis avec des crayons de couleur. Un jour, il a regardé par-dessus mon épaule et m’a demandé ce que je faisais. J’ai répondu que je faisais un peu de rattrapage en physiologie (pour tenter de comprendre sa théorie de l’effet « portillon » sur la douleur).

Quand je lui ai dit que je craignais de parler en public, il m’a confié qu’il avait déjà eu un problème de bégaiement. Sa capacité de dévoiler cette vulnérabilité m’a encouragée à oser sortir de l’ombre. Je me souviens qu’il a dit : « Tu connais le sujet mieux que quiconque dans cette pièce. » J’avais déjà tenté de m’attaquer à ce problème en assistant à un atelier offert aux étudiants de premier cycle de l’Université McGill. D’ailleurs, cet atelier m’a appris non seulement à gérer l’anxiété, mais aussi à structurer mes idées et à faire en sorte que mon auditoire retienne les informations essentielles. Encore aujourd’hui, je suis reconnaissante d’avoir reçu ce soutien. Mais en tant que novice, la perspective de faire un exposé devant des médecins, des résidents et d’autres membres du personnel me rendait nerveuse malgré tout.

Avant l’événement, en fouillant dans ma garde-robe d’étudiante, j’étais désemparée. J’avais un pantalon lavande et une chemise beige toute simple, et c’était à peu près tout. J’ai investi une somme exagérée dans une écharpe indienne noire et violet brodée de fil d’or, pour me donner un style professionnel. Quand je me suis levée pour m’adresser à la salle pleine à craquer, je me suis souvenue des paroles du Pr Melzack. Effectivement, je contribuais à l’étude depuis plus d’un an et je la connaissais en long et en large. Cet exposé fut le premier d’une multitude d’autres que je donnerais lors de conférences scientifiques au cours de ma carrière. L’un de mes souvenirs frappants est le moment où le Dr Kinch, directeur du Département d’obstétrique et gynécologie, en plus de me complimenter pour mon travail, m’a demandé ce qui m’avait attirée vers ce sujet. Ma réponse l’a fait rire : « Oh! Je suis un peu obsédée par la douleur et je veux en apprendre plus. » Puis, il a dit : « Parfait! Les personnes obsédées font d’excellents chercheurs! Continuez! »

Patricia Dobkin, Ph.D. (McGill University)

Et c’est ce que j’ai fait. J’ai effectué des études supérieures en psychologie clinique, en m’intéressant à la médecine comportementale, puis une étude de doctorat portant sur une intervention psychosociale auprès de patients atteints du cancer, suivie d’une étude postdoctorale sur les déterminants de l’alcoolisme au sein d’une population à risque. Mon intérêt initial pour la gestion de la douleur a refait surface pendant les deux décennies que j’ai passées à la Division d’épidémiologie clinique de l’HGM, où j’ai mené des recherches en rhumatologie. Aujourd’hui, en tant que professeure agrégée au Département de médecine de l’école et associée des programmes de soins holistiques de McGill, je consacre mon énergie à promouvoir le bien-être des médecins et des autres professionnels de la santé.

Je veux exprimer ma gratitude, non seulement envers le mentor qui m’a ouvert des portes, mais aussi pour la formation rigoureuse que j’ai reçue pendant mes études et pour la liberté dont je bénéficie pour viser l’excellence dans le cadre de mes recherches et de mon travail clinique, et ce, depuis 30 ans.

[Melzack R., Taenzer P., Feldman P. et Kinch R. A. Labour is still painful after prepared childbirth training. Can Med Assoc J. 1981;125(4):357-363.]

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