David Glaser et Perle Feldman, circa 1975 (photo: Perle Feldman)

1975

En 1975, je suivais le cours Motivation et émotion II de Norm White et en petit groupe, nous débattions d’une question brûlante, du moins ce jour-là : devant un ours, une personne a-t-elle peur avant de courir, ou court-elle avant d’avoir peur? J’ai remarqué un barbu élancé à la crinière abondante, style « isro ». Il me faisait penser à un grand arbre feuillu. Dans le débat, nous étions du même côté et chaque fois que notre équipe faisait valoir un bon argument, il m’adressait un sourire magnifique, faisant plisser ses yeux en amande.

Après le cours, nous nous sommes présentés : « Dave », m’a-t-il dit. « Perle », lui ai-je répondu. Ensuite, nous sommes allés manger des burgers au Centre universitaire. Je lui ai dit : « Parfois, il me faut du gras. »

En chemin, les missionnaires loubavitch nous ont abordés. Un jeune homme a demandé à Dave : « Êtes-vous juif? Avez-vous mis un phylactère aujourd’hui? »

« Non, et je n’ai pas besoin de le faire », a répondu Dave, puis nous avons continué à marcher. À notre surprise, le jeune homme nous a suivis.

« Qu’est-ce que vous voulez dire? », a-t-il demandé, indigné. Dave a commencé à expliquer en bredouillant pourquoi il ne faisait pas les prières rituelles quotidiennes, d’un point de vue sociologique et psychologique. J’ai commencé à citer les écritures pour appuyer l’argumentation de Dave. Au-dessus de la tête de ce jeune homme sérieux et frustré, nos regards se sont croisés.

Ce fut le début de notre histoire d’amour. Notre relation était très intense, mais Dave était vraiment facile à aimer. Mes parents et tous mes amis l’aimaient beaucoup aussi. Il s’est intégré sans difficulté dans notre petite bande. On pouvait rester debout jusqu’aux petites heures du matin, à discuter de vérité, de beauté et de psychologie. Parfois, on commandait un casse-croûte nocturne : des pizzas de Pines ou des pêches Melba de Milton Sweets. Même Norm White avait son mot à dire sur notre couple, puisque nous étions toujours du même côté dans les débats.

David Glaser et Perle Feldman (photo: Perle Feldman)

Comme Dave était un étudiant invité, il est retourné à Philadelphie faire sa dernière année au collège Haverford. Cette année-là, j’ai été la cliente la plus payante de Bell Téléphone, tellement j’ai fait d’appels interurbains à « Philly ». À l’Action de grâces (canadienne), je lui ai rendu visite là-bas. Pendant mon séjour, nous avons eu une terrible dispute au sujet de la vie, des valeurs, des limites et de ce que nous voulions devenir. Dix jours plus tard, quand il est revenu passer la semaine de lecture de la session d’automne, qu’il soit venu pour mettre un terme à notre relation. Ce soir-là, alors que nous étions l’un contre l’autre sur son lit dans le sous-sol de la maison de mes parents, il m’a pris dans ses bras et a dit : « Il est temps de regarder les choses en face. » (J’ai pensé : « Oh non, ça y est, il me quitte. ») « On va finir par se marier. » Sur le coup, j’étais tellement soulagée que le temps, la distance et le fait que j’avais exprimé mes besoins n’avaient pas eu raison de notre couple, que j’ai acquiescé spontanément à ses propos qui sonnaient comme une simple constatation : « Oui, j’imagine. »

Deux jours plus tard, nous étions en route vers un cours magistral de Brenda Milner au Neuro. Alors que nous traversions le réservoir, Dave souriait pensivement tout en ajustant sa foulée à la mienne. Il l’a toujours fait, même s’il était plus grand que moi d’une bonne trentaine de centimètres, à partir du jour où je lui ai dit que je détestais être obligée de trottiner pour essayer de suivre ses grands pas.

Je lui ai demandé : « À quoi penses-tu? »

« Je pense que tu as toutes les qualités que j’ai toujours recherchées chez une épouse. » Il m’a serré la main.

« Oh, est-ce que c’est une demande en mariage? », ai-je poursuivi.

« Où étais-tu l’autre jour quand je t’ai fait ma demande? » a-t-il répliqué. Quand j’ai compris qu’il ne parlait pas de façon hypothétique quelques jours plus tôt, nos fiançailles sont devenues réciproques. Nous avons continué à marcher jusqu’à l’auditorium Hughling Jackson, en passant devant la statue La Nature se dévoilant à la Science surplombée par les neurones peints au plafond. Finalement, nous avons gravi l’escalier dangereusement abrupt de la salle pour rejoindre nos amis qui nous avaient gardé des places. Brenda Milner a fait un formidable exposé sur l’hippocampe, mais je crains de ne pas avoir retenu grand-chose. Je me souviens par contre de tout le bonheur que je ressentais.

La famille Feldman-Glaser (photo: Perle Feldman)

Texte soumis par la Dre Perle Feldman, professeure agrégée en médecine de famille à l’Université McGill, mère de quatre enfants adultes – dont trois sont également diplômés de McGill – et trois fois grand-mère. Elle est toujours mariée avec David Glaser.

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