Site d’origine de la Clinique Communautaire Pointe-Saint-Charles (Photo: Charles Larson)

1968

Le premier lundi de juillet 1968, à 13 heures, avait lieu l’ouverture de la Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles (CCPSC). Après six mois de préparation, une bourse de 25 000 $ de la John and Mary Markel Foundation en poche, cinq étudiants de deuxième et troisième année en médecine (Danny Frank, Margaret Ward, Stan Spivak, Frank Gougeon et Charles Larson) et un étudiant en sociologie (Abe Rosenfeld) attendaient anxieusement l’arrivée du premier patient.

Cinquante-trois ans plus tard, cette clinique est encore le principal établissement offrant des soins de santé préventifs et curatifs de première ligne à la majorité de la population francophone et anglophone de cet arrondissement.

50 sous par visite

Installée dans le quartier montréalais Pointe-Saint-Charles (que l’on appelle aussi « la Pointe »), la clinique occupait à l’origine une ancienne boucherie, à l’intersection des rues Knox et Charlevoix. Dans la grande vitrine de la devanture, on pouvait lire sur une enseigne :

Clinique médicale Pointe-Saint-Charles

Ouvert de 13 h à 20 h

50 sous par visite

(C’était avant l’instauration de l’assurance-maladie au Québec, en 1971.)

À l’époque où la clinique a ouvert ses portes, la Pointe était une collectivité en déclin depuis des décennies. Ce quartier, qui avait déjà été le plus grand complexe industriel du Canada, offrant des emplois faiblement rémunérés mais stables à des milliers de travailleurs, ne s’était pas remis de la Grande Dépression. La plupart des usines bordant le canal de Lachine, qui constituait la frontière nord de la Pointe et de son cœur industriel, avaient été fermées. Le canal lui-même a ensuite été fermé à la navigation commerciale. Au milieu des années 1960, la Pointe était donc caractérisée par un chômage généralisé, plus d’un siècle d’exposition à la pollution industrielle, la détérioration du quartier et des conditions de logement déplorables. Séparée du centre-ville de Montréal par le canal délaissé et un immense réseau de voies ferrées, la population était isolée et négligée, n’ayant accès à pratiquement aucun service de santé. Un seul médecin de famille desservait tous les citoyens, au nombre de plus de 30 000.

Le milieu des années 1960 vit aussi naître l’activisme communautaire de la classe étudiante. L’Église perdit alors son emprise sur la vie de la plupart des Canadiens d’origine française, italienne et irlandaise, qui durait depuis des siècles, et on assista à l’émergence d’organismes communautaires déterminés à mettre fin à la négligence, au népotisme et à la corruption endémiques qui régnaient sur la Pointe depuis des dizaines d’années. C’est dans ce contexte que l’idée de mettre sur pied une clinique communautaire offrant des soins primaires est venue à un petit groupe d’étudiants en médecine de l’Université McGill à l’esprit militant, en 1967.

L’idée d’établir une clinique communautaire à la Pointe était inspirée d’un mouvement baptisé Student Health Organization (SHO), qui s’était répandu dans de nombreuses écoles de médecine d’Amérique du Nord. Ce mouvement était né en réponse aux disparités énormes en matière de santé que l’on constatait dans les communautés défavorisées et s’appuyait sur une philosophie réformiste visant à améliorer la santé des personnes démunies grâce au changement social et à l’engagement communautaire. Il a aussi été influencé par l’absence de références aux déterminants sociaux de la santé et aux expériences de la vie réelle dans la formation médicale traditionnelle, en dehors du contexte des hôpitaux d’enseignement. (Pour découvrir l’histoire de l’activisme chez les étudiants en médecine, lisez le livre White Coat, Clenched Fist, de Fitzhugh Mullan. Ce sont ce livre et les idées qu’il véhicule qui ont influencé Daniel Frank, étudiant fondateur de la clinique, qui avait participé aux activités de défense des droits civiques de Martin Luther King alors qu’il était élève au secondaire à Philadelphie. Quand Frank a quitté le projet pour terminer ses études de médecine, Charles Larson a pris le rôle de leader étudiant et renforcé les liens entre la clinique et les citoyens, ce qui a largement contribué à la « prise en main » de la clinique par les gens du quartier.)

Le quartier d’abord

Dès le départ, les étudiants fondateurs de la clinique tenaient à ce que toutes les décisions soient prises en ayant à l’esprit « le quartier d’abord ». Cette clinique serait ancrée dans une mobilisation de la population locale, menant à une éventuelle prise en charge par cette dernière, trouvant son inspiration dans les mouvements pour les droits civiques de l’époque et dans l’organisation des populations pauvres et marginalisées prêtes à défendre énergiquement leurs intérêts.

Au printemps 1968, on organisa une réunion avec des parents dans une école primaire du quartier. Cette réunion visait à leur présenter l’idée d’une clinique de soins primaires locale, de connaître leur opinion sur la question et de lancer une discussion plus large sur ce qu’ils considéraient comme les priorités à traiter – les besoins à combler dans la communauté en matière de services de santé ou sociaux. S’ils étaient favorables à l’idée d’une clinique dans l’ensemble, en tant que parents de jeunes enfants ils avaient bien entendu d’autres préoccupations, tout aussi importantes. L’absence d’activités structurées pour leurs enfants en été se trouvait au sommet de leur liste. On prit donc la décision d’organiser un programme d’activités estivales, le Camp d’été de ruelle, avec l’entière collaboration des parents. Ces mêmes parents sont graduellement devenus une fenêtre ouverte sur la communauté, guidant la mise en place de la clinique à ses débuts.

Le soutien du corps professoral

Très tôt, les étudiants ont demandé les conseils et l’appui de plusieurs membres du corps professoral de McGill. Les Drs Elizabeth Hillman et Nick Steinmetz, de l’Hôpital de Montréal pour enfants, ont été des alliés des premiers instants, en collaborant à la demande de subvention et surtout, en trouvant d’autres professeurs qui agiraient bénévolement à titre de superviseurs médicaux et de mentors pendant les heures d’ouverture de la clinique. La première subvention, au montant de 25 000 $, a été déposée dans un compte de la Faculté de médecine avec l’aide du Dr Maurice McGregor, alors doyen de la Faculté. Ces fonds ont servi à louer le local commercial et à embaucher Barbara Stewart comme infirmière à temps plein. Certains soirs étaient réservés aux consultations en pédiatrie, en médecine interne et en gynécologie. Pendant les neuf mois qui ont suivi, en plus de consacrer bénévolement du temps chaque semaine à la clinique, les médecins mentors apportaient des fournitures dont on avait grand besoin. Au début de 1969, Peter Katadotis, un organisateur communautaire, a été engagé à temps partiel et travaillait en équipe avec Betty-Ann Affleck, une diplômée de McGill en travail social (sous la supervision de Sheila Goldbloom). Avec Barbara, ils offraient des services sociaux pendant la journée. Roger Stronnell, Collis Wilson, Robert Robson, Robert Remis et Elizabeth Robinson faisaient partie des étudiants en médecine qui se sont ensuite impliqués en 1969, en plus de Charles Larson.

Grâce à une subvention du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social du Canada, la clinique a pu enfin embaucher un médecin à temps plein en 1969 : le Dr Francois Lehman, diplômé de McGill, y a travaillé pendant les dix années qui ont suivi. En 1970, la Fondation McConnell fit un don de 20 000 $. John Monroe, alors ministre de la Santé, rendit visite à la clinique cet été-là et lui accorda une seconde subvention, d’une valeur de 75 000 $, pour l’exercice financier 1970-1971. La clinique disposait désormais des fonds nécessaires pour employer une infirmière et un médecin à temps plein. À l’automne 1970, la Student Health Organization de McGill confia officiellement la gouvernance de la clinique à un conseil d’administration formé de membres de la communauté.

Gérée par la communauté, d’hier à aujourd’hui

L’objectif initial du projet était de créer un centre de santé communautaire où travailleraient bénévolement des étudiants, mentors et professeurs de médecine, mais aussi d’embaucher à plein temps des médecins, du personnel infirmier et des organisateurs communautaires rémunérés. Dès le but, l’intention était également de remettre la clinique entre les mains de la communauté, sous la gouverne d’un conseil d’administration élu. C’est en 1970 que cette ambition se concrétisa. Un peu plus tard, le modèle jouera un rôle précurseur dans la création des Centres locaux de services communautaires (CLSC) au Québec. Pendant la décennie suivante, la clinique a rejeté à répétition les demandes du ministère de la Santé et des Services sociaux, qui souhaitait qu’elle soit gouvernée par le réseau des CLSC du gouvernement. On tenait fermement à son mode de fonctionnement axé sur une gestion par la communauté locale, qui prévaut encore à ce jour.

Lors d’un gala dans Pointe-St-Charles soulignant le 50e anniversaire de la clinique réunissant plus de 2 000 alliés, le rôle fondateur des étudiants en médecine de McGill a été souligné, en hommage à l’impact que peut avoir l’activisme communautaire étudiant. Après toutes ces années, les sentiments de gratitude et de reconnaissance envers ces étudiants sont demeurés intacts et n’ont jamais cessé d’inspirer ceux qui leur ont succédé.

 

À lire aussi :

Les fondateurs de la clinique ont produit une publication intitulée Contact, qui raconte la mise sur pied et l’évolution de la clinique et d’autres initiatives communautaires, et qui contient des photos, des dessins et des poèmes. Pour lire les trois premiers numéros (PDF) :

Contact, no 1

Contact, no 2

Contact, no 3

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