Par Gillian Woodford

À la fin des années 1950, une jeune et brillante étudiante nommée Dorothy Thomas Edding, son diplôme d’études secondaires en poche, a décidé de devenir physiothérapeute. Pour ce faire, elle devait quitter sa Jamaïque natale, où aucun programme de physiothérapie n’était offert. Inspirée par le meilleur ami de son père, diplômé mcgillois, elle a choisi l’Université McGill et troqué le soleil de son île pour le froid montréalais. Trente ans plus tard, elle aidait à fonder la première et seule école universitaire de physiothérapie de son pays d’origine, à la University of the West Indies, à Kingston, permettant ainsi aux physiothérapeutes en devenir d’étudier et de travailler sans s’exiler.

C’était en 1990. Alors professeure agrégée à l’École de physiothérapie et d’ergothérapie de la Faculté de médecine de McGill, la Pre Thomas Edding agissait comme évaluatrice externe pour l’Association canadienne de physiothérapie (ACP), qui lui avait confié l’évaluation d’un programme de diplôme en physiothérapie offert dans une école de Kingston. « Dans mon évaluation, j’ai recommandé le recrutement de plus de professeurs et la création d’une école ou d’un département de physiothérapie au sein de la faculté des sciences médicales de la University of the West Indies », relate-t-elle.

La Pre Thomas Edding a vite réalisé que compte tenu de son intérêt et de son expérience de formation et de conception pédagogique en physiothérapie, et de son désir d’aider les étudiants de son pays natal, elle était bien placée pour s’atteler elle-même au projet.

Peu après, elle s’est retrouvée face à l’imposante tâche de rédaction d’une demande de subvention à l’Agence canadienne de développement international (ACDI). L’objectif était de financer la révision du programme de diplôme afin de répondre aux normes du baccalauréat ès sciences. La subvention a été accordée deux ans plus tard, en 1992. « Ils étaient très prudents dans l’octroi de ces subventions, donc c’était toute une réussite pour moi ».

Durant la période de subvention de l’ACDI, de 1992 à 1999, la Pre Thomas Edding s’est rendue souvent à Kingston, pour négocier avec le gouvernement et la faculté des sciences médicales de la University of the West Indies afin que le grade de B. Sc. puisse être octroyé, pour rencontrer le corps enseignant du programme existant et bâtir du tout au tout un programme de baccalauréat. « Nous ne pouvions pas leur imposer le programme de McGill », explique la Pre Thomas Edding. « J’ai fait une analyse des handicaps les plus courants et des établissements de réadaptation dans les Caraïbes pour que le programme reflète la pratique qui attendait les futurs physiothérapeutes ». L’expérience de la Pre Thomas Edding au sein du comité de programme à l’École de physiothérapie et d’ergothérapie de McGill et sa participation à l’agrément de programmes de physiothérapie partout au Canada pour le compte de l’ACP lui ont été très utiles.

Dans son propre enseignement, la Pre Thomas Edding mettait l’accent à la fois sur les aspects pratiques de la discipline et le plaisir d’apprendre, des principes qu’elle souhaitait insuffler au nouveau programme. Les physiothérapeutes diplômés de McGill se souviennent de la Pre Thomas Edding pour ses méthodes d’enseignement parfois peu orthodoxes. « Ma spécialité était l’orthopédie, un domaine où l’évaluation de la démarche prend une place importante », explique-t-elle. « Si on veut analyser la démarche des gens et traiter les problèmes qui s’y rattachent, il faut savoir quels muscles bougent au niveau de la hanche, du genou et de la cheville, et quand et comment ils bougent. Je revêtais donc mon léotard et, debout à l’avant de la salle, je faisais les mouvements. J’avançais la hanche et leur demandais de me dire quels muscles s’activaient réellement au niveau de la hanche, du genou et de la cheville. Mes anciens étudiants me disent n’avoir jamais oublié la scène! »

La Pre Thomas Edding a organisé la venue à McGill de plusieurs membres du corps enseignant du programme de diplôme de Kingston pour se perfectionner avant le lancement de la nouvelle école. « Tout le monde était très coopératif et prêt pour le changement. En tout, environ neuf personnes sont venues à McGill – trois pour faire une maîtrise et les autres pour des spécialisations comme la gérontologie. Les hivers ont été durs, mais tout le monde a survécu! » Elle a convaincu McGill de libérer les membres du groupe pour retourner enseigner en Jamaïque au besoin. « Le corps professoral de McGill a été merveilleux. Plusieurs se sont aussi rendus en Jamaïque pour donner les cours nécessaires. »

L’infrastructure présentait certains défis à Kingston, se rappelle la Pre Thomas Edding, mais l’acquisition de livres pour la bibliothèque et d’ordinateurs pour tous les membres du personnel a provoqué des changements importants.

En 2001, onze ans après que l’idée soit venue à l’esprit de la Pre Thomas Edding, la University of the West Indies a admis la première cohorte du nouveau baccalauréat en physiothérapie. À la première collation des grades du programme, en 2004, la Pre Thomas Edding a ressenti une énorme fierté. Pendant les premières années, il y a eu beaucoup d’allers et retours entre la nouvelle école et McGill, mais les besoins se sont graduellement estompés, le programme prenant de la maturité. Pleinement intégrée à la faculté des sciences médicales en 2006, l’école offre maintenant une maîtrise en physiothérapie, en plus du baccalauréat. En 2009, l’établissement a présenté une plaque à la Pre Thomas Edding en remerciement de tous ses efforts.

« J’y repense aujourd’hui en me disant, en effet, c’était toute une entreprise », lance-t-elle en riant. « Durant les sept ans de la subvention, je me rendais sur place deux ou trois fois par année – et ce n’était pas pour profiter du soleil ».

La Pre Thomas Edding a pris sa retraite il y a plusieurs années mais demeure active à McGill, comme membre du comité des retraités de l’Association des professeur(e)s et bibliothécaires de McGill et directrice de l’Association des diplômées de McGill. Elle est aussi très active dans la communauté; elle préside le Comité de sélection des bourses de l’Association médicale des personnes de race noire du Québec et copréside la section Éducation du Cercle canadien des femmes de Montréal.

La Pre Thomas Edding est fière du travail qu’elle a accompli pour redonner à son pays natal. « C’était très gratifiant. L’effort a valu le coup, non seulement parce que l’effectif étudiant a augmenté, mais aussi parce que le corps professoral a gagné en efficacité. Ça a donné l’occasion d’étudier sur place à des gens qui n’auraient peut-être pas pu aller se former à l’étranger – pour des raisons financières, ou familiales. Les personnes qui ont étudié et enseigné dans le programme expriment elles-mêmes l’avantage que ça a représenté pour elles. Un grand merci au Canada, à l’École de physiothérapie et d’ergothérapie de McGill et à toutes les personnes qui ont rendu ce projet possible. »

Le 23  février 2018