Des chercheurs de l’Université McGill et de l’Université de Montréal ont identifié un lien crucial entre la protéinogénèse et les troubles du spectre autistique (TSA), lequel pourrait faciliter la mise au point de nouveaux traitements. La protéinogénèse, aussi appelée traduction de l’ARN messager, est le processus par lequel les cellules produisent les protéines. Ce mécanisme influe sur tous les aspects du fonctionnement de la cellule et de l’organisme. Une nouvelle étude menée sur des souris a démontré que la production anormalement élevée d’un groupe de protéines neuronales, les neuroligines, entraîne des symptômes similaires à ceux observés chez les personnes souffrant de TSA. L’étude révèle également qu’il est possible de corriger les manifestations autistiques à l’aide de composés qui freinent la protéinogénèse ou de thérapies géniques ciblant les neuroligines. Les résultats de ces recherches sont publiés dans la revue Nature.
Les TSA englobent un vaste ensemble de troubles du développement neurologiques caractérisés par trois critères : troubles au niveau des interactions sociales, troubles de communication et gestes répétitifs ou stéréotypés. Selon les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies des États-Unis, 1 enfant sur 88 est atteint de TSA, des troubles qui sont signalés au sein de tous les groupes ethniques et socioéconomiques. Par ailleurs, les TSA sont cinq fois plus répandus chez les garçons (1 sur 54) que chez les filles (1 sur 252).
« Mon laboratoire est axé sur l’étude du rôle de la dérégulation de la protéinogénèse dans l’étiologie du cancer. Mon équipe a été surprise de découvrir que des mécanismes similaires intervenaient possiblement dans le développement des TSA, explique le professeur Nahum Sonenberg, du Département de biochimie de la Faculté de médecine de l’Université McGill et du Centre de recherche sur le cancer Goodman. Nous avons utilisé un modèle murin dans lequel un gène contrôlant l’initiation de la protéinogénèse avait été supprimé. La production de neuroligines a augmenté chez les souris étudiées. Les neuroligines jouent un rôle important dans la formation et la régulation des jonctions synaptiques établies entre les cellules neuronales et le cerveau, en plus d’être essentielles au maintien de l’équilibre de la transmission d’informations d’un neurone à l’autre. »
« Depuis la découverte des mutations de neuroligines chez les personnes souffrant de TSA, en 2003, le mécanisme moléculaire qui est en la source exacte demeure inconnu, affirme Christos Gkogkas, boursier postdoctoral et auteur principal. Nous sommes les premiers à établir une corrélation entre le contrôle traductionnel des neuroligines et la fonction synaptique altérée en lien avec les comportements autistiques chez les souris. L’élément clé est que nous avons réussi à inverser les symptômes similaires aux TSA chez les souris adultes. Dans un premier temps, nous avons réduit la protéinogénèse en utilisant des composés conçus au départ pour traiter le cancer. Ensuite, nous avons utilisé des virus ne pouvant se répliquer pour freiner la synthèse excessive de neuroligines. »
La modélisation informatique a contribué de façon importante aux recherches. « Nous avons conçu un algorithme informatique expressément pour répondre aux questions de M. Sonenberg et nous avons ainsi identifié les structures uniques des ARN messagers des neuroligines qui pourraient causer leur régulation spécifique », soutient François Major, chercheur à l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie et professeur au Département d’informatique et de recherche opérationnelle de l’Université de Montréal.
Les chercheurs ont découvert que la synthèse anormale de neuroligines provoque une hausse de l’activité synaptique, ce qui affecte l’équilibre entre l’excitation et l’inhibition synaptique des cellules cérébrales. Ces travaux ouvrent la voie à de nouvelles pistes de recherche qui pourraient dévoiler les secrets de l’autisme.
« Nous avons prévenu les comportements autistiques chez les souris en diminuant la production d’un type de neuroligine en particulier et en empêchant les changements d’excitation des cellules, indique Jean-Claude Lacaille, chercheur au Groupe de recherche sur le système nerveux central et professeur au Département de physiologie de l’Université de Montréal. En somme, nous avons manipulé les mécanismes régissant les cellules cérébrales et avons étudié l’influence de ceux-ci sur le comportement de l’animal. » Les chercheurs ont également été en mesure d’entraver les changements d’inhibition et d’accroître les comportements typiquement autistiques en modifiant une autre neuroligine. « Le fait que l’équilibre synaptique puisse être perturbé permet de croire que l’autisme pourrait être traité par des thérapies pharmacologiques ciblant les mécanismes étudiés », conclut M. Lacaille.
À propos de cette étude
Ces travaux ont été financés par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), l’organisme Autism Speaks et le Fonds de la recherche du Québec – Santé. M. Lacaille est titulaire de la chaire de recherche du Canada en neurophysiologie cellulaire et moléculaire.
Couverture sur le sujet (en anglais)
Nature
Bloomberg
Global News
Scientific American
io9
Pour la Science (en français)
21 novembre 2012