La Dre Joanne Liu veut mettre luniversité au service de la riposte sanitaire. « Mais il faut absolument éviter la double faute, celle de ne rien apprendre de nos erreurs, et celle de les répéter.» 

« On pourra dire merci à Omicron pour une chose : tout le monde réalise maintenant qu’il faut vacciner toute la planète pour sortir des vagues cycliques », raconte Joanne Liu, MDCM, professeure à l’École de santé des populations et de santé mondiale de l’Université McGill. « On ne peut pas contenter de fermer les frontières. »  

Dès son arrivée à la Faculté de médecine et des sciences de la santé en mai 2021, l’ancienne présidente internationale de Médecins Sans Frontières s’est assise avec le directeur de l’École,  Timothy Evans, M.D., pour mettre en place le Laboratoire d’interventions promptes en réponse à une pandémie ou à une situation d’urgence (PERL pour l’acronyme anglais).  

Ils ont vite convenu d’agir sur trois fronts : équité vaccinale, amélioration des connaissances sur la réponse et développement du leadership. « La gestion mondiale de cette pandémie a commis plusieurs fautes, dit-elle. Mais il faut absolument éviter la double faute, celle de ne rien apprendre de nos erreurs, et celle de les répéter. » 

Mieux vacciner 

Alex Stoljar Gold

La Dre Liu venait à peine d’arriver qu’un premier étudiant l’appelle. « Je tenais absolument à faire ma part en partie pour tout ce qui concerne les disparités vaccinales », dit Alex Stoljar Gold (B.A. & Sc. 2021), admis en première année de médecine après un baccalauréat en sciences cognitives.  

En effet, les pays à haut revenu ont largement administré au moins deux doses à leur population, alors que dans les pays à faible revenu, seulement 11 % de la population est vacciné – pour une seule dose. Or, explique la Dre Liu, ce déséquilibre favorise le développement de nouveaux variants.  

Au cours d’une première réunion avec l’étudiant, Joanne Liu évoque une vieille idée, celle d’un tableau de bord qui ferait le portrait des obstacles à la distribution du vaccin dans chaque pays et des solutions apportées. « C’est tellement simple que c’en est gênant, mais personne n’y avait pensé, semble-t-il », explique la Dre Liu. Ensemble, ils passeront l’été à conceptualiser ce qui deviendra le programme Ports To Arms (Du port au bras). « La Dre Liu m’a demandé si je pouvais faire la présentation à l’organisme African Vaccine Delivery Alliance, raconte Alex Stoljar Gold. La marche était un peu haute, mais la présidente était une amie à elle, alors ça m’a mis en confiance. »  

Ce programme vise deux objectifs : régler les problèmes de logistique, plutôt mal compris, et bâtir des alliances avec les communautés concernées.  

Les gens de bonne volonté souhaitent tous que le Canada, les États-Unis, l’Europe partagent leurs stocks vaccinaux. Mais cela ne suffit pas, explique Joanne Liu. Quand le vaccin arrive sur le tarmac de l’aéroport, le travail ne fait que commencer. Il faut dédouaner la marchandise, l’entreposer en assurant la chaine de froid, distribuer les vaccins dans les dispensaires, former le personnel pour le recevoir, mettre en place une campagne vaccinale et de sensibilisation, s’assurer qu’il y aura des seringues, les aiguilles. « Et les difficultés varient d’un pays à l’autre. Parfois, on se heurte à des rebelles qui bloquent les routes. Ou bien c’est le manque d’électricité ou de gaz qui coupe la chaine du froid. » 

La partie communautaire du programme sera assurée par African Alliance. Cette ONG sudafricaine, active dans les 54 pays du continent, a déjà mis en place un réseau communautaire assurant le suivi de la redistribution des antirétroviraux (contre le VIH) jusque dans les régions rurales. « Si on veut transformer des vaccins en vaccination, ça prend des gens pour surveiller le déroulement et trouver des solutions. »  

Apprendre de nos erreurs 

L’autre grand volet de PERL sera de développer un pôle de recherche sur les leçons apprises. À cette fin, la Dre Liu aimerait pouvoir financer entre six et douze boursiers de niveau postdoctoral qui réfléchiraient sur des thématiques précises. 

La liste des questions non résolues sur la gestion sanitaire est très longue. Quel est l’impact réel des fermetures de frontière, des couvre-feux? Et si leurs effets sont réels, engendrent-ils d’autres effets négatifs plus importants? Et que dire encore de l’hésitation vaccinale, toujours aussi mal comprise? « Pour soutenir la confiance dans le vaccin, ça ne prend pas que des outils. Ceux-ci doivent être acceptés et utilisés. Depuis 2000, c’est la sixième grande urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) et on continue d’avancer à tâtons. »  

Par ailleurs, il faut pouvoir appliquer correctement le peu que l’on sait déjà. Membre du Groupe indépendant sur la préparation et la riposte à la pandémie, créé par l’OMS, la Dre Liu explique qu’une douzaine de commissions et de groupes similaires se sont penchés sur les précédentes USPPI. « Or, seulement 10 % de leurs recommandations ont été mises en application. Personne n’était prêt. » 

Joanne Liu a été particulièrement déçue de la réponse politique à la pandémie. « Quand l’OMS a déclenché le plus haut niveau d’alerte du Règlement sanitaire international le 30 janvier 2020, quelques pays d’Asie ont réagi, mais l’Europe et l’Amérique se sont assis sur leurs mains et le mois de février a été un mois perdu. Et il a fallu que le directeur général de l’OMS imagine de faire une “déclaration de pandémie mondiale” le 11 mars pour que ça bouge. On a perdu six semaines cruciales. » 

Vers un meilleur leadership 

Ces carences de leadership les ont convaincus, elle et le Dr Evans, que le troisième champ d’action de PERL doit viser à développer un leadership en santé mondiale. La Dre Liu se réjouit d’ailleurs d’avoir pu s’entourer d’une équipe de jeunes dynamiques : avec Alex Stoljar Gold, Lily Yang (B. Sc. 2020), qui fait une maîtrise en épidémiologie, et Kaebri Ziolkowski, infirmière de formation et titulaire d’une maîtrise en santé publique de la London School of Hygiene and Tropical Medicine. Cette dernière compte une dizaine d’années d’expérience comme clinicienne à l’international et consultante gouvernementale en matière de contrôle des maladies transmissibles. « Il faut donner la place aux jeunes. Demain, ce seront eux qui seront aux commandes », affirme Joanne Liu.  

Lily Yang
Kaebri Ziolkowski

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Alex Stoljar Gold explique avoir acquis très tôt la conviction que les questions de santé publique mondiale doivent prendre une direction plus activiste, parce que les problèmes à surmonter ne sont pas que scientifiques ou techniques : ils sont également politiques, sociologiques et anthropologiques. « Le travail à faire ne peut pas reposer sur quelques experts obscurs bardés de diplômes. On n’a quand même pas besoin d’un diplôme en médecine pour saisir l’enjeu. » 

La Dre Liu donne un E pour échec au leadership mondial durant la pandémie, mais cette femme d’action préfère rebondir plutôt que de s’en navrer. « Une des leçons de l’épidémie Ebola avait été qu’il faut préparer l’avenir pendant la crise. Ce n’est pas facile quand tout le monde dit : “On est écœurés, on ne veut plus en entendre parler!” Mais si vous voulez vraiment ne plus en entendre parler, il faut bien finir le travail. » 

FMHS Focus