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Par Ryan Adessky et Annie Lalande
Durant six semaines, à l’été 2015, trois étudiants en médecine de l’Université McGill ont pris part à un programme d’échange avec l’Université du Rwanda. Se déroulant trois semaines à Montréal et trois semaines à Kigali, l’entente comprenait un stage en chirurgie de soins intensifs, de la formation au centre de simulation, un cours de dissection au laboratoire d’anatomie de l’Université McGill et un projet de recherche.

La beauté du « pays des mille collines » est à la fois saisissante et déroutante. Chaque sommet offre à la vue le splendide paysage de ce petit pays enclavé. Chaque détour de la route rappelle l’autobus aperçu plus tôt, couché sur le flanc après avoir négocié le virage trop vite.

C’est le dernier autobus de la soirée en partance de Butare, dans le sud du Rwanda. Les femmes à ma gauche rigolent en constatant que mes camarades, parties aux toilettes avant le trajet de deux heures, ont raté le bus.

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20150720_160458_Richtone(HDR)Le projet a commencé lorsque des étudiants en médecine de l’Université du Rwanda ont demandé au doyen de pouvoir coopérer avec une autre École afin de grossir l’effectif de leur association d’étudiants en chirurgie.

Le doyen les a mis en contact avec les docteurs Dan Deckelbaum et Tarek Razek, chirurgiens traumatologues à l’Université McGill et codirecteurs du Centre de chirurgie mondiale au Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Le Centre de chirurgie mondiale collabore depuis cinq ans avec le Centre Hospitalier Universitaire Kigali (CHUK) à des projets de formation de chirurgiens rwandais. Pendant des mois, des étudiants en médecine de l’Université McGill ont collaboré avec des homologues rwandais à la création d’un projet d’échange en chirurgie mondiale à l’intention d’étudiants intéressés par une carrière en chirurgie.

Très vite, nous accueillions Phillippe, Hubert et Kelly à l’Hôpital général de Montréal.

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Dès leur arrivée à Montréal par un soir frais et pluvieux, nous avons mis le cap sur le Festival de jazz. Montréal est une ville intéressante, nous ont-ils confié, mais le temps est affreux. Existe-t-il façon plus succincte de résumer le sentiment qu’éprouvent la plupart des Montréalais pour leur ville?

Nous hébergeons les trois étudiants chez nous, pour que chacun puisse échanger et apprendre de la culture et des champs d’intérêt d’autrui. Durant la semaine, nous alternons entre le Centre de simulation médicale Arnold et Blema Steinberg de l’Université McGill, où nous apprenons un savoir-faire chirurgical de base et suivons des ateliers d’anatomie chirurgicale en laboratoire, et l’Hôpital général de Montréal, où nous passons du temps avec l’équipe de traumatologie. En soirée, nous commençons à planifier un projet de recherche à mener à Kigali.

Nous profitons d’un week-end au chalet de l’un de nous, d’un autre pour célébrer la fête du Canada à Ottawa, et du dernier week-end pour nous amuser à La Ronde. C’est particulier de partager sa vie de famille avec les étudiants rwandais. Ils s’efforcent de s’adapter au nouvel environnement autant que faire se peut. Nous nous buterons sous peu à des difficultés similaires.

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Adaptation. La découverte des particularités et des coutumes d’un lieu réserve des surprises.

Nous aimons bien nous plaindre du manque de fiabilité de la STM. À Kigali, le bus applique une règle très simple : le départ a lieu lorsque le conducteur juge satisfaisant le nombre de passagers (en général, trois de plus que la capacité maximale). S’il estime ne pas avoir assez de passagers, il fait débarquer tout le monde, fait demi-tour et effectue le trajet en direction opposée. Ce n’est pas grave, une bonne brise et une jolie vue agrémentent le retour à pied chez nous.

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IMG_0622Kira!, s’exclame le Dr Antoine en m’entendant éternuer. Cet équivalent de l’expression « à vos souhaits » signifie littéralement « rétablis-toi – et c’est un ordre ». C’est très impressionnant d’observer un chirurgien en train de réparer l’intestin gravement atteint d’un patient qui souffre d’une infection typhoïde avancée, d’expliquer savoir et savoir-faire aux étudiants et résidents, sans oublier de faire des demandes musicales à l’infirmière de la salle d’opération.

C’est pourtant tout à fait normal pour cet homme qui a quitté une carrière fructueuse en Europe afin de revenir à Bujumbura. Ce natif du Burundi a fait sa résidence en chirurgie générale en France, où il a amorcé sa carrière. Après y avoir travaillé cinq ans comme chirurgien traitant, il a regagné sa patrie. Mais la violence qui règne à l’occasion de la campagne électorale au Burundi l’a poussé à enseigner et à opérer temporairement au Rwanda voisin. Il compte y demeurer jusqu’à ce que la situation politique se stabilise et que les conditions de travail soient plus sécuritaires dans la capitale burundaise.

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Vivre dans une ville où l’on ne comprend pas la langue est exigeant et épuisant. Grâce à quelques phrases utiles en kinyarwanda sommaire et à un mélange de français et d’anglais, on arrive à se tirer d’affaire la plupart du temps. La formation médicale se donnant en anglais ou en français à l’hôpital, cela facilite la communication.

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Dévisager. À Montréal, établir un contact visuel avec une personne qui vous dévisage déclenche inévitablement chez cette dernière le réflexe de prétendre qu’elle cherchait quelqu’un du regard. Ici, pas vraiment. Phillippe rit de notre confusion. « C’est normal. Les Rwandais fixent aussi longtemps qu’ils le désirent quelqu’un qui pique leur curiosité. Ce n’est pas impoli! » Au fil des jours, nous nous habituons à cette coutume.

Nous rions encore de bon cœur en pensant aux écoliers aux trousses de Ryan qui criaient d’un air excité « Mustacha, mustacha! » et réclamaient une photo, un à la fois. Cinq minutes de gloire… éphémère et révolue.

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Il est 5 h 45, un autre jour se lève. De notre table de cuisine, face aux fenêtres avant de la maison, nous contemplons chaque matin l’horizon qui s’embrase au lever du jour.

La conférence matinale commence. Les chirurgiens traitants questionnent les résidents de garde durant la nuit sur leur manière d’aborder les opérations d’urgence qu’ils ont pratiquées.

C’est un exercice d’humilité.

Or, chaque conférence matinale confirme l’ingéniosité et la motivation des résidents et chirurgiens de l’hôpital.

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La journée progresse on ne peut mieux. Les six salles d’opération fonctionnent bien. L’un de nous assiste le DAntoine pour une thyroïdectomie, un autre assiste le résident senior qui réalise une greffe cutanée substantielle sur un enfant blessé dans une collision automobile.

À l’approche de la fin de la journée, les activités cessent peu à peu. Le patient suivant, qui doit être transporté depuis l’unité de soins intensifs, n’est pas encore arrivé. On nous informe que l’équipement d’assistance respiratoire ne fonctionne pas. À l’arrivée du patient, l’intervention chirurgicale est retardée un peu, en raison du manque de personnel en anesthésie à la salle d’opération. Encore quelques minutes de retard, car l’hôpital ne dispose pas d’eau courante aujourd’hui et les réservoirs d’eau qui servent au lavage chirurgical des mains sont vides.

C’est dans ce genre de moments qu’on réalise que la formation d’un effectif qualifié est indissociable du développement de l’infrastructure lorsqu’on vise à influer véritablement sur la prestation des soins de santé.

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Avant même de le réaliser, c’est déjà le moment de rentrer à Montréal.

Nous reviendrons.

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