Une équipe de l’IR-CUSM fait un pas de plus vers la médecine de précision et cible un biomarqueur de l’efficacité des inhibiteurs CDK4/6 contre le cancer du sein, y compris le cancer du sein triple négatif

 

Très agressif et enclin à récidiver, le cancer du sein triple négatif (CSTN) est un sous-type de cancer du sein qui touche souvent des femmes de moins de 50 ans. Les taux de survie sont bas, dû au manque de traitement ciblé pour ce cancer. Or, selon une étude de laboratoire réalisée à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM) et publiée dans Molecular Cancer, les inhibiteurs CDK4/6 — des médicaments qui ont révolutionné les soins pour un type de cancer plus répandu, le cancer du sein avancé à récepteurs hormonaux positifs (HR+) — pourraient s’avérer efficaces contre le CSTN lorsque certains gènes sont présents.

 

À l’aide de la technologie CRISPR, qui permet d’isoler des gènes et de les « éteindre » un par un pour comprendre leur fonction individuelle, l’équipe de recherche a identifié des gènes prédisant l’efficacité du palbociclib, un inhibiteur CDK4/6 très utilisé, et a démontré qu’une forte expression du gène TGFb3, en particulier, pouvait augmenter l’efficacité du palbociclib contre le CSTN. L’étude suggère aussi que le recours à un médicament accroissant l’expression du gène TGFb3 permettrait d’obtenir un effet thérapeutique synergique. Ces résultats pourraient permettre d’identifier, chez les personnes atteintes de CSTN ou d’autres tumeurs solides, celles qui sont porteuses de gènes associés à l’efficacité des inhibiteurs CDK4/6, afin de personnaliser leur traitement.

 

« Les inhibiteurs CDK4/6 ne sont pas proposés aux personnes souffrant de CSTN, car on considère qu’ils ne sont pas efficaces dans ce sous-type de cancer, explique la première auteure de l’étude Sophie Poulet, Ph.D., qui était étudiante au doctorat à l’IR-CUSM au moment de l’étude. Or, comme des données récentes nous ont porté à croire que la réalité était plus nuancée, nous avons cherché un moyen de prédire quelles tumeurs du CSTN pouvaient répondre à ce type d’inhibiteurs. »

 

« Il s’agit de la première étude publiée ayant utilisé le système CRISPR in vivo pour sonder les 20 000 gènes humains afin d’identifier ceux qui sont importants pour prédire la réponse des cellules cancéreuses aux inhibiteurs CDK4/6, dit Jean-Jacques Lebrun, scientifique senior au sein du Programme de recherche sur le cancer de l’IR-CUSM et professeur de médecine à l’Université McGill, qui a dirigé l’étude. Nous espérons que nos découvertes fort encourageantes seront confirmées dans d’autres études et mèneront au développement d’essais cliniques. »

 

Le fonctionnement des inhibiteurs CDK4/6

 

Les protéines CDK4/6, présentes à la fois dans les cellules saines et dans les cellules cancéreuses, contrôlent la vitesse de croissance et de division des cellules. Dans le cas du cancer du sein, ces protéines peuvent devenir trop actives et entraîner une croissance et une division incontrôlées des cellules. Les inhibiteurs de CDK4/6 interrompent l’action de ces protéines afin de ralentir, voire d’arrêter la croissance des cellules cancéreuses.

 

 

« Initialement, les inhibiteurs de CDK4/6 ont été testés dans tous les sous-types de cancer du sein et les cancers du sein triples négatifs se sont révélés résistants à ces médicaments. On a longtemps supposé que cela était dû au fait que les CSTN étaient déficients en Rb, une protéine présente dans les cellules qui dépendent de CDK4/6 pour survivre et qui répondent aux inhibiteurs de CDK4/6 », explique Sophie Poulet.

 

« Nous avons émis l’hypothèse que ce n’était pas la bonne explication, car jusqu’à 70 % des CSTN n’ont pas de déficience en protéine Rb. De plus, des études récentes ont montré que les cellules du CSTN peuvent être sensibles aux inhibiteurs de CDK4/6. À partir de là, notre objectif était de mieux définir ce qui rend une cellule sensible ou résistante à l’inhibition de CDK4/6, au-delà de la simple utilisation du statut Rb », ajoute-t-elle.

 

La recherche de biomarqueurs prédisant l’efficacité des inhibiteurs de CDK4/6 est importante, non seulement pour permettre l’identification de sous-groupes de patients susceptibles de bénéficier du traitement, mais aussi pour cibler ceux à qui on devrait offrir une alternative. En somme, la découverte de biomarqueurs peut aider les médecins à proposer à leurs patients les thérapies les mieux adaptées à leur situation individuelle, en vue de prendre les meilleures décisions cliniques possibles.

 

Exploiter le potentiel de l’approche CRISPR

 

Grâce au système de manipulation génétique CRISPR, les chercheurs ont d’abord obtenu une liste de 205 gènes capables de sensibiliser les cellules à l’action du palbociclib. Ceux-ci ont ensuite été croisés avec 38 lignées cellulaires de cancer du sein, classées en fonction de leurs niveaux de sensibilité/résistance au palbociclib. Cela a permis aux chercheurs de s’assurer que les gènes trouvés étaient pertinents dans le contexte plus large du cancer du sein, et non seulement du CSTN.

 

Les chercheurs ont alors vérifié l’action de huit d’entre eux au laboratoire, dans un modèle préclinique de CSTN. Lorsque l’équipe a manipulé l’expression du gène TGFb3, il est apparu clairement qu’une plus forte expression entraînait une meilleure réponse au palbociclib.

 

En examinant la littérature scientifique, l’équipe a découvert qu’une thérapie basée sur le TGFb3 (l’avotermine) avait fait l’objet d’essais cliniques pour la prévention de la cicatrisation. Elle s’est donc procuré un produit similaire (recombinant TGFb3 de type humain), et a entrepris de mesurer son efficacité thérapeutique lorsque combiné au palbociclib.

 

« Nous avons non seulement découvert que des niveaux élevés de TGFb3 amplifiaient la réponse au palbociclib, mais que le médicament stimulant le TGFb3 travaillait en synergie avec le palbociclib, ce qui permettait une meilleure efficacité tout en utilisant des doses plus faibles de chacun, dit Jean-Jacques Lebrun. La science nous réserve parfois de belles surprises et nous espérons poursuivre nos travaux pour valider nos résultats dans des échantillons de tumeurs du sein provenant de patientes dont on connait la réponse au palbociclib ou à d’autres inhibiteurs de CDK4/6. »

 

Pourquoi le CSTN est-il difficile à soigner avec les traitements actuels ?

 

Contrairement à d’autres cancers du sein, les cellules des CSTN, qui représentent 10 à 15 % des cas de cancers du sein, ne sont pas dotées des récepteurs hormonaux et de la protéine HER2 pour lesquels des traitements ciblés existent. Le CSTN est donc principalement traité par chimiothérapie, chirurgie, radiothérapie et immunothérapie, mais les taux de récidive et de mortalité demeurent élevés. La recherche fondamentale, qui permet de mieux comprendre les mécanismes cellulaires et génétiques en jeu dans le développement et le traitement des maladies, est essentielle à la découverte de traitements efficaces.

 

À propos de l’étude

 

L’étude Genome-wide in vivo CRISPR screenidentifies TGFβ3 as actionable biomarkerof palbociclib resistance in triple negative breastcancer a été réalisée par Sophie Poulet, Meiou Dai, Ni Wang, Gang Yan, Julien Boudreault, Girija Daliah, Alan Guillevin, Huong Nguyen, Soaad Galal, Suhad Ali et Jean-Jacques Lebrun.

 

L’étude a été financée par les Instituts de recherche en santé du Canada. Sophie Poulet a reçu des bourses d’études de l’IR-CUSM et de l’Université McGill au cours de ses études doctorales.