Selon de nombreux grands organismes internationaux en santé, dont les Centers for Disease Control and Prevention et l’Organisation mondiale de la santé, les changements climatiques représentent la plus grande menace pour la santé humaine au 21e siècle. « Cette menace ne fait aucun doute », acquiesce Lyndia Dernis, M.D., professeure adjointe au Département d’anesthésiologie de l’Université McGill et médecin anesthésiste au Centre hospitalier de St. Mary (CHSM). « En plus des événements météo extrêmes et des problèmes de santé liés à la chaleur, on voit une expansion des régions touchées par des maladies comme la malaria ou le virus du Nil occidental. »
La santé humaine est intrinsèquement liée à la santé de notre planète. Or, les systèmes de santé eux-mêmes présentent une énorme empreinte environnementale. Il n’est sans doute pas étonnant que les États-Unis arrivent au premier rang mondial pour l’empreinte écologique de son système de santé par habitant, mais le Canada n’est pas loin derrière, n’ayant été délogé du deuxième rang que récemment, lorsque le Japon a adopté les énergies fossiles dans la foulée de la catastrophe nucléaire de Fukushima.
« Étant donné la part des systèmes de santé dans les changements climatiques, il est tout naturel que le personnel de santé s’implique pour trouver des solutions », dit la Dre Dernis, qui a piloté la création du Comité anesthésie et environnement du CHSM, en 2020, surnommé « le comité vert » par le personnel de l’hôpital.
Suivant le principe des 4 R – repenser, réduire, réutiliser, recycler –, le comité vise à diminuer l’empreinte écologique de l’hôpital tout en réduisant les coûts. C’est une philosophie semblable à celle que prône Nick Watts, M.D., directeur du développement durable au National Health Service (NHS) du Royaume-Uni, qui s’est imposé comme chef de file mondial en la matière et vise la carboneutralité d’ici 2040.
« Le NHS a documenté très minutieusement les sources des émissions de gaz à effet de serre dans le système de santé, ce qui a révélé que les gaz anesthésiques représentent jusqu’à 5 % des émissions totales d’un hôpital, explique la Dre Dernis. C’est énorme, mais ça nous indique que même les petites spécialités comme l’anesthésie peuvent grandement aider à réduire l’empreinte carbone. Il s’agit de repenser nos pratiques. »
Par exemple, le desflurane, l’un des gaz anesthésiques les plus courants à l’heure actuelle, est aussi l’un des plus nocifs pour l’environnement. La majorité des gaz anesthésiques utilisés au bloc opératoire sont ensuite relâchés directement dans l’atmosphère. Selon le NHS, une seule bouteille de desflurane a le même effet de réchauffement planétaire que la combustion de 440 kilos de charbon. « Il s’avère qu’un autre gaz couramment utilisé, le sevoflurane, est 20 fois moins dommageable pour l’environnement, poursuit la Dre Dernis. Il exige un suivi un peu plus étroit par l’anesthésiste, mais l’effet sur les patients est très semblable. » Le CHSM a graduellement adopté le sevoflurane, avant d’abandonner complètement le recours au desflurane en 2019. Chaque année, en plus de réduire ses émissions de 300 tonnes d’équivalent dioxyde de carbone par année (l’équivalent de 210 voitures à essence), l’hôpital économise 32 000 $, le sevoflurane étant moins coûteux.
La Dre Dernis et le comité vert se penchent maintenant sur le recyclage au bloc opératoire, qui génère environ le tiers des déchets hospitaliers. « La plupart des déchets du bloc opératoire sont des emballages totalement stériles », précise la médecin. L’un des grands coupables : l’emballage bleu qui recouvre la plupart des objets utilisés au bloc opératoire. Au CHSM, on en jetait environ 400 kilos chaque mois, dont la plupart allait à l’enfouissement. « Nous pouvons désormais recueillir et recycler l’emballage bleu, se réjouit la Dre Dernis. Mais en plus, nous transportons dorénavant les instruments chirurgicaux dans des boîtes métalliques qui peuvent être nettoyées, stérilisées et réutilisées. »
Selon la Dre Dernis, le programme de réduction de l’empreinte carbone de l’hôpital va bon train et poursuit son essor. Un audit récent a révélé que les six salles d’opération du bloc opératoire produisent en tout 1,14 tonne de déchets par semaine, pour une moyenne de 10,9 kilos par patient en chirurgie. De ces déchets, 15,6 % sont recyclés, avec une précision de 96 %.
La plupart des solutions que mettent en place la Dre Dernis et le comité vert ne sont pas nouvelles, ni révolutionnaires – il faut simplement que des gens désirant changer les choses les mettent de l’avant. « C’est difficile de voir autant de plastique gaspillé et de fermer les yeux sur le problème. Nous avons démontré qu’il est possible de poser de petits gestes, à coût presque nul, qui ont pourtant un impact considérable. »
La Dre Dernis et le comité vert s’efforcent maintenant de faire passer le mot. « Plus on rassemble les gens et plus on parle de ces idées, plus on arrive à progresser, conclut-elle. J’essaie de suivre le conseil du Dr Watts, du NHS, et de parler des changements climatiques avec au moins une personne par jour, dans l’espoir que ça fasse avancer les choses. »