Lorsque les feux de forêt ravageaient le nord du Québec, à l’été 2023, une équipe de néphrologues et d’autres prestataires de soins de McGill affrontait un défi de taille : évacuer les patients sous dialyse d’Eeyou Istchee (territoire cri) en maintenant les soins vitaux sans briser les liens communautaires. Nous avons discuté avec ces médecins qui ont aidé à résoudre la crise en mettant au point une stratégie efficace de dialyse en situation d’urgence. 

 

Heureusement, cette année, la saison des feux de forêt a été moins destructrice au Québec qu’ailleurs au Canada; ce n’était toutefois pas le cas à l’été 2023, alors que d’intenses feux de forêt menaçaient de vastes secteurs de la province – et les communautés qui y vivent, telles que les Cris de Mistissini et de Chibougamau. Les évacuations en régions éloignées ne sont pas une simple affaire, en particulier lorsqu’il y a des patients sous dialyse qui reçoivent périodiquement des traitements essentiels à leur survie. 

 

Les désastres naturels perturbent la vie de tout le monde, mais pour les personnes dépendant de soins médicaux continus, comme la dialyse, les enjeux sont encore plus grands. 

 

Devant la crise, une équipe dévouée, composée de membres du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et du Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie James (CCSSSBJ), est entrée en action. Aux commandes se trouvaient Laura Horowitz, M.D., professeure adjointe au Département de médecine, néphrologue au CUSM et directrice du programme de néphrologie dans les communautés nordiques, Catherine Weber, M.D., professeure agrégée au Département de médecine et directrice de l’Unité d’hémodialyse de l’Hôpital général de Montréal (HGM) et Rita Suri, M.D., professeure agrégée au Département de médecine et directrice de la Division de néphrologie au CUSM et à l’Université McGill. Elles se sont attelées à une tâche ardue : coordonner l’évacuation en veillant à ce que les patients déplacés reçoivent leurs soins sans interruption. 

 

« Les gens ne réalisent pas à quel point la dialyse demande beaucoup de ressources, explique la Dre Suri. Les médias décrivent très bien les ravages que ces catastrophes causent dans les communautés, mais les répercussions sont d’autant plus dangereuses pour les personnes dont la vie dépend de l’accès à un hôpital et à un traitement nécessitant des technologies et du personnel hautement spécialisés. » 

 

Une collaboration salvatrice et culturellement sécurisante

Lorsque les incendies ont menacé les communautés cries, l’équipe s’est immédiatement concentrée sur le déplacement des patients vers Montréal, plus de 700 km au sud, où ils pouvaient recevoir leur traitement sans interruption. L’opération nécessitait une logistique complexe et comprenait non seulement le transport des personnes, mais aussi la recherche de disponibilités à l’HGM et dans les autres unités d’hémodialyse de McGill, où la capacité d’accueil était déjà poussée à sa limite. 

 

« Nous avons envoyé certains de nos patients locaux vers d’autres centres de dialyse montréalais pour nous permettre de prendre en charge les personnes évacuées, relate la Dre Suri. Ces patients méritent notre reconnaissance et nos éloges pour la générosité et la flexibilité avec lesquelles ils ont accepté la réorientation vers d’autres centres. »

 

Nous devons la réussite de cette intervention d’urgence à la participation coordonnée de multiples équipes et individus. « Ce fut une collaboration fructueuse à de nombreux niveaux », souligne la Dre Weber. Au nombre des parties prenantes, on compte évidemment l’équipe de direction, mais aussi d’autres médecins, l’infirmière en chef Nancy Filteau, des pharmaciennes et pharmaciens comme Vlad Alexandru Rosu, le personnel infirmier des unités et du milieu communautaire ainsi que des travailleuses et travailleurs sociaux du CUSM et des communautés touchées. Le Centre de coordination des mesures d’urgence et plusieurs membres du CCSSSBJ ont également joué des rôles déterminants; mentionnons François Prévost, directeur des affaires et services médicaux, Kaviraj Gosal, M.D., directeur de la préparation aux urgences médicales et de la gestion des risques et professeur adjoint au Département de médecine de famille, Jason Coonishish, coordinateur des mesures d’urgence ainsi que Nii Helen Bélanger, directrice de Wiichihiituwin, une organisation qui coordonne les voyages pour raisons médicales des patients autochtones.

 

Le partenariat avec le personnel de la santé de la communauté a été d’une grande valeur, note la Dre Horowitz : « C’était émouvant de voir des patients très malades, et sinistrés de surcroît, avoir le soutien de toute leur équipe soignante pour traverser cette situation difficile. » 

Leçons à retenir et étapes à venir  

Par la suite, l’équipe a réalisé un bilan approfondi des interventions et de la situation afin d’actualiser ses plans de préparation aux urgences. « Nous avons appris comment mieux nous préparer à la prochaine urgence et nous avons immédiatement lancé la mise en œuvre des changements dans les autres communautés de notre réseau », note la Dre Horowitz. 

 

L’équipe a notamment relevé que des patients avaient été évacués sans avoir suffisamment de médicaments ou un dossier à jour et qu’il y avait des lacunes dans l’organisation et la communication entre les groupes. Pour y remédier, elle a apporté les améliorations nécessaires et désigné des responsables de la coordination des interventions d’urgence et de la communication. La Dre Weber se concentre sur les protocoles de l’HGM, tandis que la Dre Horowitz adapte ces stratégies aux communautés nordiques. 

 

« Nous nous servons maintenant de cette expérience pour corriger nos protocoles de préparation aux situations d’urgence et notre façon d’intervenir, de manière à agir avec plus d’efficacité et de confiance tout en gardant nos efforts centrés sur le patient », explique la Dre Weber. 

 

Préserver la communauté et la culture

Tout au long de l’intervention d’évacuation, l’équipe a voulu maintenir le sentiment de communauté et de continuité pour les patients sinistrés. Consciente de l’importance des liens culturels et sociaux, elle s’est efforcée de garder les patients avec leurs équipes de soins habituelles et, dans la mesure du possible, leurs pairs. 

 

La Dre Horowitz décrit un moment particulièrement touchant : « J’étais dans la chambre de l’un des patients évacués lorsque son infirmière est entrée pour commencer le traitement, se souvient-elle. Le visage du patient s’est illuminé quand il s’est rendu compte que, même s’il était loin de chez lui et dans un hôpital inconnu, subissant son traitement tout en traversant une période difficile, c’était son infirmière qui s’occupait de lui, une personne de sa communauté, qui le connaît. » 

 

En plus des soins médicaux, le CCSSSBJ a aussi organisé à Montréal des sorties dans des lieux traditionnels pour aider les patients à rester en contact avec leur culture en cette période bouleversante. 

 

« Nous voulions vraiment éviter d’infliger d’autres traumatismes, explique la Dre Suri. Notre objectif était de garder les familles unies et de veiller à ce que personne ne ressente de l’isolement ou le sentiment d’être à l’écart de sa communauté. » 

 

Un an après la crise, les patients sous dialyse ont depuis longtemps regagné leurs communautés, où se poursuivent les efforts de reconstruction suivant les feux de forêt. « Leur résilience est remarquable, note la Dre Suri. Ils ont fait confiance au personnel de l’hôpital et aux membres de leur équipe soignante pour prendre soin d’eux. » Si la crise a laissé de profondes cicatrices dans les communautés touchées, l’expérience a permis d’améliorer les processus de sorte que les patients sous dialyse vivant en communauté éloignée sont dans une meilleure situation.