Cet article est paru à l’origine dans FMHS Focus
Le Campus Outaouais veut rapprocher ses étudiants et étudiantes de la réalité des communautés autochtones et susciter des vocations chez les Autochtones – une œuvre et un voyage à la fois.
Le Campus Outaouais de l’École de médecine de l’Université McGill peut se vanter d’être l’une des rares institutions à détenir un Monnet – avec deux N, comme dans Caroline Monnet. Comme le hasard fait bien les choses, cette artiste multidisciplinaire d’origine franco-anichinabée (algonquine), qui à l’âge de 37 ans est déjà l’une des artistes contemporaines canadiennes les plus intéressantes et polyvalentes de sa génération, a grandi à Gatineau. « C’est un peu un retour à la maison pour moi. J’en suis très contente. »
L’œuvre, intitulée Alexandre, figure en bonne place dans la réception du Campus Outaouais. La photographie représente un jeune Atikamekw coiffé d’un masque cubique qui repose sur ses épaules. Le cube est un lacis de formes diverses en noir et blanc qui représentent des motifs traditionnels autochtones se superposant au tracé des terres seigneuriales de l’ancien régime colonial. « L’idée, c’est que nous voyons toujours le monde à travers notre propre expérience », explique Gwendolyn Owens, directrice de la collection d’arts visuels de l’Université McGill.
« Quand nous investissons dans une œuvre, je la mets dans mon bureau pour voir si je peux la regarder pendant plusieurs jours. C’était difficile de voir partir Alexandre. »
Aux yeux de Gilles Brousseau, doyen associé et directeur du Campus Outaouais, cette œuvre est une autre manière de renforcer l’implantation régionale de l’École de médecine de McGill. Le don de la Fondation Ed Brunet, qui a permis cette acquisition, sert également à financer des voyages de familiarisation des étudiants et étudiantes à la communauté anichinabée de Kitigan Zibi, située près de Maniwaki, à moins de deux heures de route de Gatineau. « Tous les étudiants y vont et y retournent. C’est important de leur faire comprendre la vie et les usages des communautés autochtones. »
Ce don de 12 000 dollars de la Fondation Ed Brunet s’inscrit dans son mandat de soutenir des causes liées à l’éducation, la pauvreté et la santé dans la région. « Depuis le début, la Fondation était résolue à faire quelque chose avec les Autochtones de la région et la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université McGill », explique Sophie Brunet, directrice de projets chez Ed Brunet Entrepreneur général, et qui a elle-même supervisé la quasi-totalité du chantier de construction du Campus Outaouais.
Une artiste primée
« Les objets me parlent beaucoup », dit l’artiste multidisciplinaire Caroline Monnet, dont l’œuvre Alexandre est désormais exposée au Campus Outaouais, grâce à un don de la Fondation Ed Brunet.
Aux yeux de Sarah Konwahahawi Rourke, directrice du Programme autochtone des professions de la santé à la Faculté de médecine et des sciences de la santé et membre de la nation kanien’kéhaka d’Akwesasne, Gwendolyn Owens ne pouvait pas mieux choisir. « J’admire le travail de Caroline Monnet. Il est magnifique et stupéfiant. C’est une œuvre puissante qui nous rappelle combien notre espace est colonisé. Les Autochtones n’étaient pas acceptés dans le monde médical, mais nous ne sommes plus dans l’ombre de personne. La peur, l’effacement, les complexes, c’est fini. C’est ce que je vois dans son travail. »
Gwendolyn Owens explique que l’intérêt du travail de Caroline Monnet dépasse très largement les frontières puisque sa production est exposée partout aux États-Unis et en Europe. Non seulement travaille-t-elle aussi bien en peinture qu’en sculpture ou en photo, avec des matériaux aussi variés que le ciment, la laine isolante ou le polystyrène, mais elle a également réalisé depuis 2009 une douzaine de films, surtout des courts métrages, dont plusieurs primés, mais aussi un long métrage de fiction, Bootlegger, qu’elle a entièrement filmé à Kitigan Zibi, la communauté d’origine de sa mère.
« Caroline est une fontaine d’idées. Elle essaie tout, dit Gwendolyn Owens. Elle n’a pas peur d’avoir une vision globale du patrimoine autochtone et de l’art contemporain. Pour elle, son art n’a pas de limites. »
Caroline Monnet, née de mère anichinabée et de père français, a grandi avec un pied au Québec et l’autre en Bretagne, avant de faire des études en communication à l’Université d’Ottawa et en sociologie à Grenade, en Espagne. Comme sa sœur aînée, la dramaturge Émilie Monnet, elle a baigné dans un univers culturel fait de musique et de cinéma.
« Nous sommes la preuve vivante que les politiques assimilationnistes ont été un échec. »
Celle qui se destinait à une carrière de journaliste – elle a même débuté à Radio-Canada – est plutôt devenue une plasticienne et cinéaste autodidacte et touche-à-tout. « L’écriture m’intimide, dit-elle, mais les objets me parlent beaucoup. » Elle explique choisir son médium selon son propos. « Quand j’ai voulu toucher à la dépossession culturelle et linguistique, j’ai ressenti que je devais passer par la sculpture. »
En tant qu’artiste, elle est très consciente que sa production peut être interprétée de multiples façons.
« Je voulais mélanger les traits physiques et les formes géométriques pour voir l’interférence entre les deux. Le message est que même avec un moule sur la tête, on peut choisir son identité. »
Elle croit cependant que le simple fait que son tableau soit accroché dans une faculté de médecine et des sciences de la santé fournit une autre clé d’interprétation.
« On peut y voir aussi l’opposition entre la science cubique et la philosophie autochtone, qui est circulaire. Dans la pensée autochtone, tout part du cercle. Notre relation aux autres, nos vies sont non linéaires. On débute enfant et on finit enfant. Le passé, le présent, le futur, tout est connecté. »
Les arts autochtones à McGill
Alexandre s’inscrit dans une série de six tableaux qui sont maintenant exposés dans diverses unités sur les campus de McGill. (Sur l’image : Swaneige)
Le passage de Caroline Monnet à McGill a été l’occasion de plusieurs premières. En 2021, elle a été la première artiste autochtone en résidence, un programme financé par la fondation Andrew W. Mellon. « C’était un magnifique cadeau, une belle reconnaissance de mon travail, mais la COVID a été le côté moins plaisant, avec toutes les rencontres en ligne plutôt qu’en personne. » Ce séjour s’est conclu par la décision de la collection d’arts visuels d’acquérir non pas un, mais six tableaux de sa série Fragments et de les accrocher dans quatre autres unités du campus du centre-ville de Montréal (École de musique Schulich, Faculté des arts, Faculté de droit et Faculté de gestion Desautels) en plus du Campus Outaouais.
Caroline
« En disposant des œuvres sur nos campus, nous envoyons le message que les Autochtones sont ici », dit Gwendolyn Owens, qui raconte n’avoir entendu aucune mention d’artistes autochtones pendant ses études. « Il y a 50, 70 ans, ceux qui connaissaient l’art autochtone étaient des anthropologues. C’était du tissé, sur peau, perlé. On supposait que cela avait peu d’attrait pour les non-Autochtones. »
Gwendolyn Owens explique que ce travail avec Caroline Monnet s’inscrit dans un effort global et systématique pour donner plus de visibilité aux travaux de femmes artistes et de personnes racisées. « Et plus de visibilité pour les arts en général. Tout le monde n’a pas le temps d’aller au musée. Et puis, les œuvres d’art ne devraient pas toutes être au musée. Il faut amener l’art là où les gens travaillent et vivent. »
André
Les premières notions
Caroline Monnet se dit touchée par le fait que le même don qui a permis l’acquisition de son œuvre serve aussi à organiser des voyages étudiants à Kitigan Zibi.
« C’est une belle initiative. Il faut que les étudiants aillent sur place, et pas seulement les Autochtones qui se déplacent. Les vrais échanges se font des deux bords. »
Sophie Brunet explique que toute la famille Brunet y tenait énormément, d’autant que l’entreprise centenaire – Ed Brunet Entrepreneur général a été fondée en 1901 – travaille depuis longtemps avec et dans les communautés. « Nous sommes en coentreprise avec un entrepreneur général de Kitigan Zibi, Decontie Construction, et nous favorisons l’embauche de main-d’œuvre autochtone sur nos chantiers. »
Pour Sarah Konwahahawi Rourke, ce type de voyage de familiarisation donne un excellent exemple, car les étudiants et étudiantes en sciences de la santé doivent se familiariser avec les nuances des cultures autochtones.
« Toutes les communautés ne sont pas identiques, ni ceux qui y vivent d’ailleurs. Certains valorisent une médecine très occidentale, par exemple, et d’autres une approche plus holistique. »
Même si elle n’a jamais vécu dans la communauté d’origine de sa mère, Caroline Monnet y a souvent retrouvé ses cousins, à l’occasion de visites, de mariages et de funérailles – et pendant le tournage de son dernier film. Moins au fait des questions médicales à proprement parler, elle se passionne néanmoins pour deux enjeux fondamentaux à la santé autochtone : le logement et l’eau potable.
« Les maisons, dit-elle, devraient être traitées comme des corps humains. Une maison insalubre va avoir de gros impacts sur la santé physique et mentale des personnes qui y logent. Et je ne peux pas tolérer qu’à Kitigan Zibi, l’eau courante ne soit pas potable alors qu’elle l’est à Maniwaki, qui se trouve juste à côté. À moins de deux heures de route de la capitale fédérale, c’est inacceptable et scandaleux! »
Sur les 360 étudiants et étudiantes autochtones qui fréquentent McGill, une cinquantaine sont inscrits en médecine et en sciences de la santé, et reçoivent le soutien du Programme autochtone des professions de la santé, explique-t-elle. « Nous avons fait un bon bout de chemin. À mon avis, il ne faudrait pas voir que les mauvais côtés, mais au contraire partir de ce qui se fait de bien », dit Sarah Konwahahawi Rourke, qui se décrit comme une idéaliste. « Il s’agit de créer un espace sûr pour les Autochtones et, pour les non-Autochtones, de savoir comment être un bon allié. Les flèches regroupées seront toujours plus fortes. »