Des recherches menées par l’éthicien pédiatrique Franco Carnevale examinent une approche efficace de la promotion de la santé mentale qui aide les jeunes sans leur donner l’impression d’être des patients

Au siècle dernier, la sagesse populaire voulait que l’on « voie les enfants, mais qu’on ne les entende pas ». De nos jours, la plupart des parents se méfient de cet adage, bien que les enfants ne participent manifestement pas à ce que l’on considère souvent comme des conversations d’adultes. C’est particulièrement le cas dans le domaine des soins de santé, où l’on s’attend à ce que les jeunes gens respectent les décisions prises par leurs parents et par le personnel médical.

« Il y a une perception d’immaturité, explique Franco Carnevale, inf. aut. Ph. D., professeur à l’École des sciences infirmières Ingram de l’Université McGill et chercheur à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM). « Immaturité » est un mot que je n’aime pas utiliser, car il exclut la prise en compte des jeunes gens en tant que parties prenantes des décisions qui les concernent – cela peut être traumatisant et avoir une incidence sur la santé mentale. Selon le professeur Carnevale, les jeunes s’intéressent nettement plus aux décisions qui les concernent et sont beaucoup plus en mesure d’y participer que ce que l’on croit. Il faut tout simplement leur offrir le bon environnement pour qu’ils s’ouvrent et pour qu’ils dévoilent ce qu’ils pensent et ressentent, dit-il. Ce dont un enfant a besoin est rarement qu’on ait une bonne conversation avec lui, mais plutôt qu’on l’écoute attentivement. »

Franco Carnavale, inf. aut., Ph. D., est chercheur au sein du Programme en santé de l'enfant et en développement humain à l’IR-CUSM et professeur à l’École des sciences infirmières Ingram de l’Université McGill (photo : CUSM).
Franco Carnavale, inf. aut., Ph. D., est chercheur au sein du Programme en santé de l’enfant et en développement humain à l’IR-CUSM et professeur à l’École des sciences infirmières Ingram de l’Université McGill (photo : CUSM).

Depuis qu’il a commencé à travailler dans le domaine des soins intensifs pédiatriques, il y a une trentaine d’années, le professeur Carnevale a été témoin à maintes reprises du scénario décrit précédemment. Ses expériences de travail l’ont inspiré et l’ont incité à aller chercher une formation en éthique clinique pédiatrique et à diriger la création de Voix de l’enfant: Études interdisciplinaires en éthique de l’enfance. Ce programme de recherche explore divers moyens d’être plus attentifs à ce que vivent les jeunes, afin de les inciter à s’exprimer, que ce soit dans les domaines des soins de santé, des études, de la protection de la jeunesse ou dans un autre volet de leur vie.

Inciter les jeunes à s’exprimer est crucial lorsqu’il faut soutenir ceux et celles d’entre eux qui sont le plus à risque, comme les victimes d’intimidation, de violence ou de crimes haineux. Selon le Programme de déclaration uniforme de la criminalité du gouvernement du Canada, « [l]e nombre d’enfants et d’adolescents victimes de crimes haineux violents a augmenté de 174 % » entre 2015 et 2021. En raison des événements récents en Israël et dans la bande de Gaza, l’antisémitisme et l’islamophobie ont atteint de nouveaux sommets. Le mois dernier, à Windsor, des centaines d’élèves du secondaire ont participé à une marche, au cours de laquelle ils ont demandé que l’on prenne davantage de mesures pour offrir du soutien aux élèves traumatisés par cette crise humanitaire.

« Les écoles doivent assumer des responsabilités qui leur demandent beaucoup sur le plan scolaire; il est par conséquent difficile pour elles de répondre aussi aux besoins psychologiques et émotionnels des élèves, ajoute le professeur Carnevale. De plus, les soins en santé mentale peuvent impliquer des interventions susceptibles de susciter de l’inconfort chez certains jeunes. » Des programmes communautaires visant le développement des jeunes peuvent en conséquence jouer un rôle important pour ce qui est de soutenir ce groupe, de prévenir la violence et de faire la promotion du développement positif. Peu de programmes ont connu plus de succès que le programme montréalais LOVE Québec (Vivre sans violence). Ce programme propose des activités artistiques visant essentiellement les jeunes qui ont entre autres vécu de la violence; les participantes et les participants ont rapporté une diminution de 80 % des actes de violence et une augmentation du pourcentage de persistance scolaire. Le professeur Carnevale et son équipe de Voix de l’enfant ont voulu comprendre ce qui explique que LOVE ait obtenu autant de succès.

« Nos recherches démontrent que LOVE a recours à l’ensemble des stratégies de promotion de la santé mentale connues, identifiées dans de nombreux travaux de recherche, explique-t-il. Pour ce faire, on crée un microcosme où les participantes et les participants sont encouragés à discuter de sujets délicats et à exprimer leur vulnérabilité, et ce, sans être jugés. Essentiellement, on crée un environnement où les participantes et les participants se sentent à l’aise de s’ouvrir et où ils peuvent apprendre en écoutant la rétroaction de leurs pairs et des membres de l’équipe de coordination de LOVE. »

Bien que l’environnement constitue un élément clé du succès, l’ambiance l’est tout autant. « C’est un élément important de l’aspect ludique, que personnifie l’équipe de LOVE, poursuit le professeur Carnevale. Le résultat est une approche de la promotion de la santé mentale et du bien-être qui n’est pas clinique, qui aide les jeunes sans qu’ils se sentent comme des patientes ou des patients. »

Depuis sa création il y a une trentaine d’années dans un sous-sol du collège Dawson, en tant que projet de photojournalisme, le projet LOVE a pris de l’expansion sur le plan géographique; on a ouvert d’autres sections LOVE dans d’autres provinces. Le mandat du programme s’est aussi élargi; LOVE vise maintenant aussi les jeunes aux prises avec d’autres types de problèmes d’exclusion et d’identité.

Le professeur Carnevale estime que bon nombre de jeunes gens pourraient bénéficier du programme LOVE dans leur vie. « Je suis convaincu que nous devrions considérer le bien-être des jeunes comme une priorité en matière de santé publique et que l’État devrait offrir plus de soutien et mobiliser davantage la population autour de cet enjeu, conclut-il. Nous avons beaucoup appris des études réalisées par LOVE quant aux approches qui mobilisent les jeunes et qui les aident à participer activement à des programmes où ils peuvent exprimer leurs préoccupations. » LOVE propose un modèle très percutant; ce programme pourrait constituer la prescription parfaite pour composer avec certains des enjeux auxquels sont confrontés les jeunes de nos jours.

Lectures additionnelles suggérées

« Time to be free »: Playful agency in LOVE’s in-school programme for at-risk youth, Children and Society https://doi.org/10.1111/chso.12803 [en anglais seulement]

Can we play to address violence? Feeling vulnerable while free (at school) with LOVE: article du blogue pour poursuivre vos lectures [en anglais seulement]

Voix de l’enfant : Études interdisciplinaires en éthique de l’enfance

LOVE Québec