La multiplication des efforts de représentation en cours passe donc par une augmentation des financements et l’intensification des collaborations internationales

L’homme moderne (c’est-à-dire nous) est né en Afrique, c’est un fait avéré, et, selon une étude de 2009, considérée jusqu’à maintenant comme la plus exhaustive en génomique, l’Afrique est le continent le plus diversifié de la planète sur le plan génétique. En raison de l’histoire complexe des populations, de la variation spectaculaire du climat, des différents régimes alimentaires et de l’exposition aux maladies infectieuses, les descendants africains ont des niveaux plus élevés de variation génétique et phénotypique à ceux des peuples d’autres origines. Cette grande variété génétique constitue une source importante de recherche en génomique mondiale.

Néanmoins, ces populations sont grandement sous-représentées dans les études scientifiques. Pendant des décennies, les études d’association sur l’ensemble du génome reposaient sur l’analyse d’ensembles de données composés presque exclusivement d’individus d’ascendance européenne (78 %), laissant peu de place à tous les autres groupes ethniques, y compris les populations d’ascendance africaine. Du même coup, pour prédire le risque de maladie chez ces personnes, on se base essentiellement sur des données provenant de populations d’ascendance européenne. Il va sans dire qu’on ne peut ainsi obtenir des résultats fiables ou concluants.

Cette sous-représentation ethnique aboutit à un manque de précision en médecine

L’une des plus importantes « base de données biomédicales et ressource de recherche au monde, The UK biobank, qui contient des informations génétiques et sanitaires approfondies provenant d’un demi-million de participants britanniques », n’échappe pas à cette sous-représentation historique. Les individus d’ascendance noire et africaine constituent à peine 1,6 % de sa cohorte, composée à 94 % par des personnes d’origine européenne, même si ces dernières forment juste 74,4 % de la population totale du Royaume-Uni (selon le recensement de 2021). Dans les études du Royaume-Uni, « L’ethnie noire africaine présente une plus grande diversité génétique, mais la majorité des informations la concernant proviennent de petites études, principalement d’Afrique de l’Ouest ».

À l’échelon mondial, dans les ensembles de données génétiques, l’ADN africain ne compte que pour 2 %.ADN africain ne compte que pour 2 %

Ce manque de diversité nuit non seulement à la précision du diagnostic, mais aussi à la mise au point de médicaments et à la médecine de précision, et ne fait qu’exacerber les inégalités en matière de santé dans un monde où les crises se succèdent. En revanche, une pratique inclusive permettrait de fournir le bon médicament au bon patient au bon moment. À titre d’exemple, une étude incluant des participants nigérians et portant sur les facteurs de risque génétiques associés aux troubles neurologiques a révélé une nouvelle variation génétique susceptible d’être associée à la maladie d’Alzheimer dans les populations d’origine africaine. La recherche sur les variations génétiques liées à la maladie de Parkinson, à divers types de cancers comme le cancer de la prostateet la fibrose kystique fait ressortir des données probantes similaires.

Raisons historiques d’un problème urgent

Les populations d’ascendance africaine conservent une méfiance à l’égard de la recherche génomique qui les conduit à ne pas fournir leurs données pour améliorer la situation. Des raisons historiques expliquent une telle réticence, car l’étude, tristement célèbre, sur la syphilis de Tuskegee et le cas d’Henrietta Lacks ont marqué les esprits. De plus, les chercheurs ont trop souvent pratiqué des « recherches héliportées » sans impliquer les collectivités dans le processus.

Outre cette méfiance, l’absence d’une méthode normalisée pour catégoriser les données génomiques en fonction de l’ethnicité et de la race explique le manque de financement pour élargir les cohortes, de même que le faible nombre de chercheurs d’ascendance africaine.

Vers une recherche génomique inclusive, efficace pour tous

Le tableau n’est pas entièrement sombre, il y a une lueur d’espoir!

Des signes encourageants se manifestent, comme l’initiative mondiale de génétique psychiatrique, le projet NeuroGAP-Psychosis (Neuropsychiatric Genetics of African Populations-Psychosis), les biobanques innovantes comme 54Gene et des études avant-gardistes sur les variations du génome comme l’African Genome Variation.

En décembre 2022, le gouvernement britannique a annoncé un investissement de 175 millions de livres sterling en recherche génomique, sous la direction du ministre de la Santé de l’époque, Will Quince. Une partie de ce financement est destinée à soutenir un programme de séquençage génomique incluant jusqu’à 25 000 participants d’ascendance non européenne et à mener des initiatives pour « établir des relations de confiance avec des groupes traditionnellement exclus, comme les patients atteints de drépanocytose, sous-représentés dans les études. »

Dans d’autres pays, les collaborations évoluent également dans la bonne direction, comme les programmes Million Veteran et All of Us aux États-Unis, le consortium Human Heredity and Health in Africa (H3Africa), en Afrique du Sud, et le Three Million African Genomes project 3MAG au Nigeria et l’étude NeuroDev en Afrique du Sud et au Kenya. Au Canada, un autre exemple encourageant concerne l’initiative Canada–Royaume-Uni de trois ans. Celle-ci vise à « créer des scores de risque polygénique, multiethniques et équitables, pour améliorer les soins cliniques », dans le cadre d’une initiative sur l’intelligence artificielle dirigée par le Conseil de recherche économique et sociale (ESRC) du Royaume-Uni.

Comme l’a mentionné Pui-Yan Kwok, spécialiste de l’analyse du génome à l’Université de Californie de San Francisco, « un individu ne saurait incarner le monde à lui seul », et, pour instaurer un système de santé juste et égalitaire, il faut diversifier les ensembles de données génomiques.

La multiplication des efforts de représentation en cours passe donc par une augmentation des financements et l’intensification des collaborations internationales.

* Environ 200 millions de personnes se considérant d’ascendance africaine vivent en Amérique. Des millions d’autres vivent dans diverses régions du monde, et ce en dehors du continent africain.

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