Kelley Kilpatrick, inf., Ph. D., aime à dire que ses recherches rendent l’invisible visible. Reconnue internationalement pour ses recherches sur les rôles de pratique infirmière avancée et leur incidence sur les équipes interprofessionnelles et la qualité des soins, elle est professeure agrégée à l’École des sciences infirmières Ingram (ÉSII) et titulaire de la Chaire de recherche en sciences infirmières et pratiques innovatrices Susan E. French. Les rôles d’infirmière clinicienne spécialisée (ICS) et d’infirmière praticienne spécialisée (IPS) sont souvent mal compris, explique-t-elle – non seulement du public, mais aussi bien souvent des décideurs et des équipes de soins. Publiés dans des revues à comité de lecture, ses résultats de recherche font évoluer les perceptions, ici et à l’étranger. Nous avons parlé à la professeure Kilpatrick de l’impact de ses travaux, des défis que représente la recherche infirmière et des aspects les plus gratifiants de ce domaine. 

Parlez-nous de votre parcours en sciences infirmières. 

La profession infirmière m’a attirée parce qu’on y aborde les soins de façon très concrète. Après mon baccalauréat, j’ai travaillé plusieurs années aux soins intensifs, et j’adorais ça. À l’unité de soins intensifs, on fait partie d’une équipe qui prend soin de patients instables tout en accompagnant leurs familles dans des situations éprouvantes. C’est pour continuer d’explorer ces dynamiques que j’ai voulu faire des études supérieures en sciences infirmières. Après avoir obtenu à McGill en 2010, j’ai fait un postdoctorat à l’Université McMaster, l’année suivante, au programme de chaire de recherche en pratique infirmière avancée Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé/Instituts de recherche en santé du Canada. J’ai ensuite poursuivi mes recherches comme membre du corps professoral de l’Université du Québec en Outaouais, avant d’être recrutée à l’Université de Montréal. Je me suis jointe à l’École des sciences infirmières Ingram en 2019. 

Qu’est-ce qui vous a attirée à l’ÉSII? 

Avec le soutien de M. Richard Ingram et du conseil d’administration de la Fondation Newton, l’École a créé la Chaire de recherche en sciences infirmières et pratiques innovatrices Susan E. French. La vision du donateur, que je partage entièrement, était de mettre en valeur la contribution vitale des infirmières et infirmiers aux soins de santé. Cette chaire dotée nous a permis, à mon équipe et moi, de développer et de valider des outils visant à mesurer l’incidence des rôles de pratique infirmière avancée qui sont bien conçus et bien implantés dans les milieux, puis de publier nos résultats dans des revues prestigieuses à comité de lecture. Maintenant que la chaire est renouvelée pour un deuxième mandat de cinq ans, nous souhaitons poursuivre sur cette lancée. Par exemple, à l’heure actuelle, il y a un manque de données de recherche pour étayer la prise de décisions sur la charge de travail des infirmières praticiennes spécialisées, ou IPS. Mon équipe a cerné plusieurs facteurs qui déterminent le temps nécessaire pour évaluer un patient – s’il s’agit d’une première visite, la raison de consultation, la présence de problèmes de santé mentale, etc. Nous essayons de comprendre les effets de la charge de travail sur les soins aux patients pour aider à déterminer le nombre optimal de patients que devraient voir les IPS par jour. 

Quels sont les aspects les plus gratifiants d’une carrière en recherche infirmière? 

C’est très gratifiant d’interviewer des patients et leurs proches et d’entendre à quel point ils ont apprécié les soins du personnel infirmier en pratique avancée, qui a pris le temps de répondre à leurs questions. Nous avons vu que bien souvent, les patients qui se sentent compris et bien soutenus ont de meilleurs résultats cliniques. Les infirmières et infirmiers en pratique avancée ont le profil idéal pour offrir aux patients à la fois les connaissances spécialisées et le soutien dont ils ont besoin. Il est tout aussi gratifiant d’entendre les autres membres de l’équipe de soins expliquer que le personnel infirmier en pratique avancée soutient le fonctionnement général de l’équipe. Comme professeure, j’adore aussi superviser les projets de recherche étudiante et donner un cours de maîtrise sur le leadership et les politiques de santé, où j’encourage mes étudiantes et étudiants à choisir les enjeux à explorer.  

Quelle est la découverte la plus surprenante qui découle de vos recherches? 

J’ai été étonnée de découvrir à quel point les rôles de pratique infirmière avancée qui sont bien implantés peuvent avoir une incidence sur l’équipe de soins et les résultats cliniques. Les résultats de notre étude sur les IPS en soins de longue durée, publiés dans les revues Journal of Advanced Nursing, BMC Nursing et Nursing Outlook, révèlent qu’un suivi constant par des IPS entraîne une diminution de 12 % de la médication chez les patients fragiles, ce qui permet à la fois de réduire les complications (chutes, recours à la contention, transferts à l’urgence, etc.) et de réaliser des économies importantes pour le système de santé. Dans ce genre de contexte, on a vu certains patients reconnaître leurs proches pour la première fois depuis très longtemps! Une étude similaire que nous avons réalisée en soins à domicile a mené à un constat semblable : les suivis planifiés par des IPS diminuent le nombre de transferts à l’urgence.  

Quels sont les aspects les plus difficiles d’une carrière en recherche infirmière? 

L’incertitude et la compétitivité des processus de financement de la recherche représentent un grand défi. C’est pourquoi je suis profondément reconnaissante envers M. Ingram et la Fondation Newton d’avoir financé la Chaire Susan E. French.  

Quelle est votre plus grande fierté, et pourquoi? 

Nous sommes encore en train de définir le champ d’activité des IPS, ici au Québec, et ce rôle commence à peine à émerger ailleurs dans le monde. Je suis fière que le travail de mon équipe aide à orienter les politiques d’intégration des infirmières et infirmier en pratique avancée dans le système de santé. Nous avons récemment réalisé deux grandes synthèses des recherches existantes sur les rôles en pratique infirmière avancée et presque tous les indicateurs sont favorables à l’intégration d’IPS et d’ICS dans les équipes de soins.  

À lire aussi :  

“A mixed methods quality improvement study to implement nurse practitioner roles and improve care for residents in long-term care facilities.” 

www.bmcnurs.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12912-019-0395-2 

“Patient and family views of team functioning in primary healthcare teams with nurse practitioners: a survey of patient-reported experiences and outcomes.” 

www.bmcprimcare.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12875-021-01406-y 

“Identifying indicators sensitive to primary healthcare nurse practitioner practice: A review of systematic reviews.” 

www.journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0290977