Sarah Konwahahawi Rourke, D. Éd., membre de la nation mohawk d’Akwesasne, a récemment été nommée directrice du Programme autochtone des professions de la santé (APS) et chargée d’enseignement au Département de médecine de famille. Incitée à poser sa candidature par la docteure Ojistoh Horn, médecin de famille ayant fait sa résidence à McGill et membre de la communauté d’Akwesasne, la professeure Rourke nous parle de ses objectifs pour le Programme APS, de l’importance de créer un milieu qui tient compte des traumatismes pour les apprenants et le corps professoral autochtones, et du sens de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation à ses yeux.

Vous êtes entrée en poste il y a quelques semaines. Comment se déroule votre mandat jusqu’ici? Tout d’abord, je tiens à exprimer tout mon respect et à rendre hommage au Dr Kent Saylor [directeur fondateur du Programme APS] pour le travail remarquable qu’il a réalisé. Je suis très honorée et reconnaissante de pouvoir prendre part aux efforts qu’il a lancés avec ses homologues. Il a travaillé sans relâche pour tracer la voie et créer ce programme et ces réseaux pour les étudiantes et étudiants autochtones, et je suis très reconnaissante de pouvoir y prendre part. Je souhaite aussi saluer le travail extraordinaire que font Alex [Allard-Gray, gestionnaire de programme] et Romina [Pace, directrice associée] au service de la communauté étudiante et du programme. C’est tellement gratifiant de travailler avec eux – je ne pourrais pas y arriver sans cette équipe solide.

Vous avez travaillé surtout en éducation et dans le milieu des relations communautaires, en particulier avec des projets et des groupes de femmes autochtones. Comment cette perspective vous guidera-t-elle comme directrice du Programme APS? Ces expériences sont toujours avec moi; j’agis en tenant compte des traumatismes et j’essaie d’aller à la rencontre des gens, avec bienveillance. Mon approche est ancrée dans les principes de justice sociale et les enseignements traditionnels. J’ai travaillé pour l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées [ENFFADA]. Je cherche des moyens concrets d’éliminer la violence systémique, en imprimant un élan progressif et positif au mouvement. Le fait de me joindre au Programme APS et de travailler avec les membres du corps professoral et étudiant d’une très belle manière, dans un bel état d’esprit, pour créer du contenu d’enseignement, tisser des liens solides et des relations de confiance, c’est pour moi une continuité du travail du Dr Saylor et de ses homologues.

Dans vos nouvelles fonctions, vous définirez et mettrez en œuvre un plan stratégique facultaire visant à soutenir toutes les personnes autochtones qui sont actuellement membres de la population étudiante, du corps professoral ou du personnel, ou qui pourraient le devenir. Cette réflexion a-t-elle commencé? En ce moment, je m’imprègne de tout ce que je dois savoir dans le cercle autochtone et je crée un espace pour les gens qui partagent leurs connaissances avec moi. La priorité dans notre planification stratégique, c’est la création d’un milieu sûr et l’éducation pour la communauté étudiante, l’éducation et le soutien pour le corps professoral, et l’établissement de relations de confiance avec ceux et celles qui s’investissent dans le soutien et la réussite des étudiants et étudiantes. Nous faisons aussi appel à nos partenaires et nos réseaux, en plus de rassembler d’autres personnes autochtones qui travaillent à McGill et qui souhaitent soutenir notre cercle, l’élargir et le renforcer. Voilà ce qui m’occupe en ce moment.

Nous compilons aussi tous les appels à l’action de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, les appels à l’action en santé et éducation de la Commission de vérité et réconciliation, ainsi que ceux du Principe de Joyce, du Principe de Jordan et du projet de loi 96. Nous voulons que tous nos enseignants et enseignantes connaissent l’impact de ces politiques et de ces lois dans les communautés autochtones – ce que savent déjà la plupart des étudiants et étudiantes autochtones. Tous ces éléments formeront le cadre de notre plan stratégique.

Avez-vous remarqué des différences marquantes entre le domaine de la santé et celui de l’éducation? Dans le langage médical, tout semble très tranché, il y a peu de nuances. Parce que je viens du domaine de l’éducation, j’essaie de recadrer le discours dominant, celui des disparités qui nuisent aux populations autochtones – taux élevé de diabète, d’alcoolisme ou de maladies X, Y ou Z –, pour parvenir à un discours qui souligne nos réussites, notre résilience et notre essor en dépit des difficultés. Je pense que ce changement de discours sera utile et enrichissant dans les programmes d’enseignement.

Quelles sont vos priorités pour les étudiantes et étudiants autochtones dans les professions de la santé? J’estime très important de soulager la pression qui s’exerce sur les étudiantes et étudiants autochtones en classe, où on s’attend à ce qu’ils fassent œuvre pédagogique auprès des autres. On leur demande par exemple « C’est quoi, ‘‘avoir le statut’’? », ou « Grandir dans une réserve, c’est comment? » Les étudiants autochtones n’ont pas tous grandi dans une réserve, et ne savent pas tous ce que cela signifie de vivre selon les traditions. Nous ne sommes pas un bloc monolithique. C’est très stressant d’arriver en classe en subissant une telle pression, en plus de celle que ressentent tous les étudiants – surtout dans les professions de la santé, où l’on prend soin de personnes qui luttent pour leur vie ou qui ont des problèmes de santé mentale.

C’est déjà difficile de quitter sa communauté et d’être dans un lieu qui, historiquement, nous a rejetés. Le milieu universitaire, honnêtement, n’a pas été très accueillant historiquement pour les Autochtones parce qu’il est fondé sur les mêmes structures coloniales que les pensionnats. L’arrivée dans ce milieu déclenche donc souvent pour les personnes autochtones tout un retour de ce traumatisme intergénérationnel. Quand on demande aux étudiants d’expliquer leur identité aux autres, c’est un autre élément déclencheur.

Que peut faire le Programme autochtone des professions de la santé pour améliorer la situation? Je souhaite que nous aidions à soulager cette pression. C’est très important pour ces étudiantes et étudiants d’avoir des gens qui défendent leurs intérêts, et de savoir qu’ils n’ont pas à être « la voix autochtone » en classe. Qu’ils peuvent tendre la main vers quelqu’un qui va aider à tisser des liens positifs avec leurs enseignants. Il n’y a rien de négatif dans tout ça – tout le monde met la main à la pâte avec de bonnes intentions. Nous apprenons tous ensemble comment créer un milieu sûr, où on peut mieux tenir compte des traumatismes.

Comment pouvez-vous aider les membres du corps professoral à mieux tenir compte des traumatismes? Je rassemble les éléments qui nous aideront à renforcer l’organisation en consolidant les bases, pour nous aider à pérenniser le soutien offert. Si un enseignant ou une enseignante vient à nous en nous disant « J’ai besoin de soutien parce que j’ai des étudiants autochtones qui sont en difficulté. Pouvez-vous m’aider à avoir un bon dialogue avec eux? », ou « Puis-je mettre mes étudiants en contact avec vous pour qu’ils puissent obtenir le soutien dont ils ont besoin? », nous pourrons alors leur répondre « Absolument, nous pouvons vous aider ». C’est ainsi que nous nous débarrasserons de l’éléphant dans la pièce pour pouvoir agir de façon positive et dialoguer en toute honnêteté.

Cette année se tient la deuxième Journée nationale de la vérité et de la réconciliation. Que signifie cette journée pour vous? Chaque jour est une journée de réconciliation pour nous comme Autochtones. Je pense à mes tantes et mes oncles – quatre d’entre eux sont allés à la Thomas Indian School [dans l’État de New York], et ça a eu de grandes répercussions dans ma famille et ma communauté. Alors quand je pense à la réconciliation, je suis reconnaissante des efforts de conscientisation du grand public au Canada à l’égard du traitement des peuples autochtones. Il faut que tout le monde sache ce qui s’est vraiment passé et qu’on brise le silence sur ces enjeux – qui ne sont pas si historiques que ça. J’espère qu’il y aura des « ramatriements » (je préfère ce terme à « rapatriements » parce que je viens d’une communauté matrilinéaire et je crois que tout revient à la mère) lorsque nos enfants seront retrouvés et que les familles pourront amorcer leur processus de guérison.

Complément d’information :

Sarah Konwahahawi Rourke nommée directrice du Programme autochtone des professions de la santé