La Dre Joanne Liu, pédiatre urgentiste canadienne et ancienne présidente internationale de Médecins Sans Frontières (MSF), se joint à l’École de santé des populations et de santé mondiale (ÉSPSM) de l’Université McGill en qualité de professeure spécialiste des urgences pandémiques et sanitaires.

Par Jean-Benoît Nadeau pour FMHS Focus

2020 devait être une année « de rêve, d’écriture, de cours de cuisine » pour la Dre Joanne Liu, OQ, MDCM 1991, M MGMT 2014, DSc, après six ans à la présidence de Médecins Sans Frontières (MSF) International à gérer la réponse médicale aux pires urgences humanitaires et sanitaires de la planète. Puis vint la COVID. Forcée de rentrer au pays, la pédiatre est retournée à son port d’attache, le CHU Sainte-Justine. « Il y avait des bâches partout, des protocoles de circuit du patient et des consignes qui changeaient deux fois par jour. C’était comme à MSF », raconte la pédiatre qui compte plus de 20 missions à son actif. « Je devais être la seule à l’hôpital qui était bien là-dedans. »

Ce sont ces réflexes de praticienne que Joanne Liu mettra désormais à contribution au sein de l’École de santé des populations et de santé mondiale (ÉSPSM) de l’Université McGill, à laquelle elle vient de se joindre à titre de professeure spécialiste des urgences pandémiques et sanitaires. C’est d’ailleurs un retour aux sources pour cette native de Québec, qui a fait ses études en médecine à l’Université McGill parce qu’elle rêvait de faire de l’aide humanitaire. « Pour moi, McGill a toujours été un passeport pour le monde. C’est pour ça que je l’ai choisie. Ça m’avait frappé à 18 ans et c’est encore vrai maintenant : on pense large, à McGill. »

Pour ses premiers pas dans le monde académique, Joanne Liu se donne quelques mois pour écouter et observer. « Je veux voir comment mon bagage de praticienne dans la réponse et la préparation aux épidémies va compléter les ambitions et les missions de l’École. »

Elle espère pouvoir faire le pont entre la théorie et la pratique, pour que les études et les mémoires puissent être mis en application par le personnel soignant sur le terrain dans son équipement de protection individuel (ÉPI)  à 40 °C sans ventilation. « Au début de la pandémie, les gestionnaires ont sorti les mémoires : ça prend des zones froides, des zones chaudes. Ça veut dire quoi, on fait ça comment? Pour nous, dans l’humanitaire, c’est le B-A-BA. Ça prend donc une vulgarisation des études, un “prêt-à-utiliser” sanitaire. »

Riposte à la pandémie

Joanne Liu n’aura pas chômé pendant la COVID entre ses gardes à Sainte-Justine et dans deux CHSLD, et sa participation aux travaux du comité consultatif fédéral et du groupe de travail du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Auxquelles s’est ajouté en septembre 2020 le Groupe indépendant sur la préparation et la riposte à la pandémie, créé par l’Organisation mondiale de la santé, et qui a déposé son rapport le 12 mai dernier.

« Ma participation là-dedans consistait à examiner la réponse de l’OMS comme telle », raconte Joanne Liu, quelques jours avant le dévoilement du rapport final. « Nous avons voulu proposer des solutions réalisables, pas de grandes exhortations. »

Aux yeux de Joanne Liu, dire que les gouvernements n’étaient pas préparés à la pandémie relève de l’euphémisme, même si plusieurs grandes épidémies avaient pourtant marqué les esprits depuis 20 ans. Les gouvernements doivent donc établir des mécanismes pour répondre correctement la prochaine fois. « Des virus, il y en aura d’autres. Les épidémies sont inévitables. Le jeu est d’empêcher qu’une épidémie ne s’aggrave et monte au niveau pandémique. Il faut tuer ça dans l’œuf. »

Quant à la réponse québécoise, Joanne Liu, qui a travaillé dans un CHSLD en avril 2020, s’est indignée publiquement que le gouvernement eût interdit les visites de proches aidants auprès des résidents. « On a été pris dans une frénésie de protection, en oubliant que si on négligeait le reste, on ne protégeait rien, finalement », raconte-t-elle. Elle explique que le « principe de réciprocité » formulé par l’OMS suppose qu’une protection sanitaire adéquate ne doit jamais perdre de vue la nécessité de subvenir aux besoins vitaux, incluant la stimulation sociale et intellectuelle. « Au lieu de quoi, on a du monde qui sont morts de faim et de soif. »

Au plus fort de la crise de la première vague de la COVID, bien des gens se sont étonnés que le gouvernement du Québec n’ait pas fait appel aux services de Joanne Liu. « Le mot “frustration” serait un peu fort. Pour moi, l’essentiel était la démarche citoyenne. J’ai fait mes gardes, j’ai contribué à divers comités, j’ai participé à des conversations ad hoc avec le gouvernement. Peut-être que j’aurais pu jouer un rôle plus formel, mais le plus important était d’être là et de contribuer, d’agir pour la solidarité. J’étais là, je ne regrette rien. »

Une vocation dès l’adolescence

Joanne Liu avait six ans lorsqu’un groupe de médecins français a créé Médecins Sans Frontières en 1971. Fort d’un budget de plus de 1,6 milliard d’euros, MSF mobilise plus de 65 000 personnes dans 70 pays. Fascinée à l’adolescence par la coopération internationale, Joanne Liu a choisi la médecine parce qu’elle voulait participer à l’aventure de MSF.

Mais malgré une telle fibre humaniste, a-t-elle déjà connu le découragement, voulu tout lâcher? « Il y a des moments de pression. Après les bombardements aériens américains sur notre hôpital de Kunduz en Afghanistan en 2015, je me suis fait un ulcère d’estomac. Mais tout lâcher, non. Ce serait indécent. On se bat pour des populations délaissées. Les abandonner serait une indécence. »

Joanne Liu refuse d’utiliser le mot « fierté » pour parler de ses réalisations au sein de MSF, mais elle admet tirer une grande satisfaction de ses démarches, de concert avec la Croix-Rouge, pour amener le Conseil de sécurité de l’ONU à adopter une résolution à l’unanimité pour la protection des hôpitaux.

Présidente de MSF International pendant l’épidémie africaine, Joanne Liu a visité plusieurs fois les trois pays concernés pour négocier et faire avancer les dossiers politiques. Suivant son habitude, elle a insisté pour faire des visites médicales afin de saisir les vrais enjeux de terrain. Sept ans plus tard, elle reste marquée par le spectacle d’un enfant de deux ans inconsolable, malade, qui appelait sa mère. « Je me suis promis qu’on ne vivrait plus une autre épidémie d’Ebola sans vaccin ni traitement. Je n’étais pas la seule à le penser. On s’est tous promis ça. »

Le 19 mai, 2021