Trois étudiants aux cycles supérieurs qui ont aidé à fabriquer les nouvelles trousses de test de dépistage de la COVID-19 faites à McGill en ont appris beaucoup sur la science, et sur eux-mêmes


Par Gillian Woodford

Les scientifiques ont l’habitude de travailler sur des projets durant de longues périodes, se penchant sur de petits éléments d’une vaste question scientifique, souvent durant de nombreuses années. Les projets qui passent du laboratoire au monde réel en l’espace de quelques mois seulement sont pratiquement inexistants. Pourtant, c’est exactement ce qu’un groupe d’étudiants aux cycles supérieurs a vécu récemment lorsqu’il travaillait à l’élaboration de trousses de test de dépistage de la COVID-19, un projet de l’Université McGill dirigé par les professeurs Martin Schmeing, directeur du Centre de recherche en biologie structurale (CRBS), et Don van Meyel, directeur du Centre de biologie translationnelle à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM).

La grande équipe de scientifiques du CRBS a livré ses 15 000 premières trousses faites à McGill au laboratoire de test du CUSM au début de juillet. Cette livraison a marqué l’aboutissement d’un projet pilote qui pourrait accroître la capacité de dépistage au Canada grâce à une collaboration avec le Conseil national de recherches du Canada.

« Tous les membres de l’équipe ont uni leurs forces et ont mené à bien ce projet à un rythme sans précédent, du moins durant ma carrière de deux ou trois ans », affirme Leo Shen, qui a été recruté par son superviseur, le professeur de biochimie Jerry Pelletier. Originaire de Vancouver, Leo vient tout juste de terminer sa maîtrise en biochimie et commencera ses études en médecine à l’Université Johns Hopkins à l’automne. Il n’aurait jamais cru que les choses pouvaient avancer si rapidement. « Quand je faisais ma maîtrise, je ne pensais pas que les notions que j’apprenais ou que les travaux que je faisais en laboratoire à l’époque pourraient être mis en pratique immédiatement en clinique. »

Une occasion de prêter main-forte

C’est également le cas de Kaleena Basran, doctorante de première année en chimie au laboratoire de Nathan Luedtke, qui a été l’un des premiers étudiants à se joindre au projet en mars. « Je n’aurais jamais cru que nous pourrions apporter notre soutien », affirme Kaleena, originaire d’Ottawa.
Quand le campus a été fermé le 13 mars, Kaleena, comme bien d’autres étudiants, s’est soudainement retrouvée dans l’impossibilité d’accéder à son laboratoire. Puis, elle a reçu un appel de Nathan Luedtke. « Comme je suis une novice dans le domaine de la chimie de l’ADN, il m’a dit que ce serait pour moi une occasion en or d’apprendre rapidement, explique-t-elle. J’étais vraiment enthousiaste. Ça me semblait une excellente occasion d’aider et de me remettre dans le bain du travail en laboratoire, ce que j’aime beaucoup. »

À l’instar de Kaleena, Andrew Bayne, doctorant de quatrième année et également originaire d’Ottawa, a été recruté au début du projet. « Je lisais les nouvelles et je regardai les statistiques de la santé publique, alors quand on a eu l’occasion de contribuer à un projet de ce genre, pour moi, la question ne se posait même pas », raconte Andrew, qui travaille au laboratoire de Jean-François Trempe, professeur en pharmacologie. « C’était le moyen idéal d’utiliser les compétences que j’ai développées au cours des dernières années. »

Leo admet qu’au début, il ne savait pas dans quoi il s’embarquait. « Je pensais que ça durerait deux ou trois jours et que je ferais seulement les tests RT-PCR », se souvient-il, en faisant référence à la partie du test de dépistage de la COVID-19 où l’on détecte le virus dans un échantillon. « Mais plus je discutais avec Martin, plus il m’est apparu clair qu’il s’agissait d’une entreprise titanesque, soit créer une trousse qui pourrait remplacer ce qu’on utilise au Canada en ce moment. »

En moins de deux, la fin de sa maîtrise a été remise à plus tard et il consacrait tout son temps au projet. Ce fut la même chose pour Andrew et Kaleena, qui ont également mis de côté leurs propres projets pour pouvoir se concentrer sur la trousse de test.

Un apprentissage intensif

On a bien sûr dû faire quelques ajustements.

Tout d’abord, ils ont dû s’habituer à la nouvelle façon de travailler dans le laboratoire : masques, équipement de protection individuelle, distanciation physique, protocoles de sécurité. « Je tenais pour acquis le fait de pouvoir me rendre dans un autre laboratoire et simplement demander : “Je peux utiliser cette machine?”, remarque Andrew. Maintenant, il y a beaucoup de nouvelles procédures de réservation des locaux pour limiter le nombre de personnes. »

Puis, il y avait les compétences techniques à proprement parler. « Au début, il y avait beaucoup de choses à apprendre, raconte Kaleena. Par exemple, quand tu as l’ARN viral dans l’échantillon d’un patient, tu dois pouvoir l’extraire des cellules. J’ai donc eu l’occasion de fabriquer ces nanoparticules magnétiques, ce qui est totalement en dehors de mon champ d’expertise en chimie. Mais je me suis dit que je pouvais le faire. Et ça se déroule très bien. » Dans sa vie d’avant la pandémie, Kaleena travaillait sur une sonde qui s’allume lorsqu’elle est liée à certaines séquences d’ADN du génome bactérien, un outil qui permettrait aux laboratoires des hôpitaux de repérer rapidement les brins d’ADN bactérien.

« Il nous a fallu acquérir de nouvelles compétences », ajoute Andrew, qui étudie les mécanismes des mitochondries afin de mieux comprendre les maladies neurodégénératives, comme la maladie de Parkinson, et de mettre au point un traitement contre ces affections. « Ces compétences techniques sont très facilement transférables, même si les avenues étudiées sont complètement différentes. »

Leçons de vie

Les compétences que ces étudiants aux cycles supérieurs ont acquises ont grandement dépassé le cadre du travail en laboratoire, souvent de manière surprenante.

Ils ont tous été impressionnés par l’ampleur de la charge de travail liée à la coordination d’un projet comme celui-là, auquel participaient des équipes de la Faculté de médecine et de la Faculté des sciences, ainsi que des laboratoires d’hôpitaux et des fournisseurs externes. « Curieusement, ce projet m’a rendu plus efficace en laboratoire et meilleur pour communiquer au sein des équipes et entre celles-ci pour faire avancer les choses », indique Andrew.

Kaleena soutient quant à elle que l’expérience lui a donné un aperçu du travail dans l’industrie. « Je me charge de commander toutes les fournitures dont nous avons besoin pour les amorces et les sondes que nous fabriquons, ainsi que les billes. J’ai donc vraiment dû apprendre sur le tas comment passer les commandes et toutes les autres tâches, raconte-t-elle. J’envisageais de travailler dans l’industrie, alors c’était formidable de pouvoir en faire l’expérience tout de suite. »

Cette expérience a également été très révélatrice pour ces étudiants qui ont pu voir ce qui se passe lorsqu’un projet quitte le laboratoire.

« Nous, les scientifiques, sommes souvent coupés de cette réalité, soutient Leo. De notre point de vue, on a l’impression que notre travail est l’élément le plus important et qu’ensuite, le traitement est prêt à être administré sur-le-champ. Mais ce n’est pas du tout le cas. Après, il y a encore beaucoup d’embûches à surmonter et il faut travailler avec plusieurs organismes gouvernementaux. Et quand on produit quelque chose à cette échelle, on doit gérer les ressources humaines. »

Un retour à la normale

Maintenant que les trousses de test ont été livrées, les étudiants retournent tranquillement à leurs projets ou se lancent dans de nouvelles aventures.

Leo a dû terminer un peu plus tôt afin de pouvoir passer du temps avec sa famille sur la côte ouest avant de commencer ses études en médecine. « Je ressens un sentiment doux-amer à l’idée de partir plus tôt, confie-t-il. Martin et Don m’ont beaucoup appris. Et je suis reconnaissant à mon superviseur, Jerry, de m’avoir laissé participer même si c’était au détriment de l’avancement de mon projet. C’était vraiment un privilège de prendre part à cette entreprise. »

Kaleena, qui continue de travailler sur le projet, mais qui reprendra graduellement son doctorat au cours des prochaines semaines, a le sentiment d’avoir participé à quelque chose d’historique. « Plus tard, je pourrai dire aux gens qui découvriront ce projet en étudiant l’histoire que nous avons contribué à la lutte contre ce virus, dit-elle. C’est vraiment formidable. »

 

 

Le 18 août 2020