Une étude conjointe menée sur trois ans par des scientifiques de l’Université McGill et de l’Université de Colombie-Britannique a révélé dans des modèles précliniques que l’alanine, un supplément alimentaire, est efficace dans le traitement de certains cancers agressifs tels que le carcinome à petites cellules de l’ovaire de type hypercalcémiant (COPCH), une tumeur rare et mortelle qui survient principalement chez les femmes dans la mi-vingtaine.
Le COPCH se caractérise par des mutations inactivantes récurrentes dans le gène SMARCA4, qui fournit les instructions pour la synthèse de la protéine BRG1, un suppresseur de tumeur empêchant la prolifération exagérée ou incontrôlée des cellules. En plus d’avoir un gène SMARCA4 inactif, les cellules tumorales du COPCH n’expriment pas le gène SMARCA2, qui code la synthèse d’une autre protéine suppresseur de tumeur (et étroitement liée à BRG1), BRM. La double inactivation de SMARCA4 et SMARCA2 est également observée dans d’autres tumeurs malignes, y compris dans certains cancers du poumon. À l’heure actuelle, il existe peu de traitements efficaces pour ces cancers associés à un double défaut de SMARCA4 et SMARCA2, qui sont souvent très résistants aux chimiothérapies traditionnelles et ont des issues très défavorables.
Selon Sidong Huang, Ph. D., professeur agrégé au Département de biochimie ainsi qu’à l’Institut du cancer Rosalind et Morris Goodman de l’Université McGill et co-auteur principal du rapport récemment publié dans la revue Nature Communications : « Essentiellement, ce que nous avons découvert, c’est que ces cellules tumorales ont une dépendance métabolique. Le défaut de SMARCA4 et SMARCA2 déclenche un changement métabolique faisant en sorte que ces cellules cancéreuses préfèrent utiliser la glutamine plutôt que le glucose comme source principale de carbone pour alimenter le cycle de l’acide tricarboxylique (cycle TCA, ou cycle de Krebs) et soutenir la phosphorylation oxydative. Par conséquent, elles sont très sensibles aux inhibiteurs ciblant la phosphorylation oxydative (déjà accessibles en milieu clinique) ainsi qu’à la supplémentation en alanine, qui fait concurrence à l’importation de glutamine. Nous avons donc de multiples options thérapeutiques potentiellement efficaces contre ces tumeurs malignes difficiles à traiter. »
« Au moyen d’un criblage non biaisé à l’échelle génomique, nos équipes ont réussi à décrire le changement métabolique clé qui permet le développement des cancers agressifs associés à un défaut de SMARCA4 et SMARCA2 », ajoute Yemin Wang, Ph, D., chercheur au British Columbia Cancer Research Institute, professeur associé à l’Université de Colombie-Britannique et autre co-auteur principal de l’étude. « Cette découverte nous aide non seulement à mieux comprendre la biologie de ces cancers, mais elle a également ouvert la porte à bon nombre de stratégies thérapeutiques potentielles (à utiliser seules ou en association avec la chimiothérapie ou l’immunothérapie) qui devront être validées en milieu clinique. »
On trouve l’alanine, comme les autres acides aminés, dans la viande et la volaille, le poisson, les œufs et les produits laitiers, ainsi que dans certains végétaux riches en protéines. Les détaillants de produits santé la vendent également sous forme de supplément alimentaire en poudre; on lui connaît un effet de stimulation du système immunitaire et elle est populaire chez les culturistes.
Après avoir montré l’efficacité de l’alanine en laboratoire, le professeur Huang est impatient de passer aux essais cliniques. « La prochaine étape majeure repose sur les essais cliniques en bonne et due forme qui nous indiqueront si les traitements sont efficaces ou pas. Aussi, bien que les suppléments en alanine soient tout à fait sécuritaires pour la plupart des gens, ils représentent peut-être des risques pour les personnes ayant des troubles sous-jacents (comme une maladie du métabolisme). Nous voulons nous assurer que les patients peuvent en tolérer des doses élevées. Vous devez absolument parler à votre médecin avant de commencer à prendre de tels suppléments. »
Les chercheurs travaillent à la diffusion des résultats de leurs recherches aux oncologues. « Nous espérons que les résultats de notre étude susciteront assez d’intérêt pour lancer une étude clinique, alors que nous continuons d’approfondir notre compréhension du mode d’action par lequel l’alanine est efficace contre les tumeurs en combinaison avec d’autres traitements tels que l’immunothérapie », explique le Pr Huang.