L’équipe, dont fait partie le professeur Jesse Shapiro de l’Université McGill, a mené l’une des plus importantes études génétiques consacrées à l’analyse de la relation dynamique entre la bactérie du choléra, les bactériophages et les antibiotiques
Il y a plusieurs milliards d’années, une course aux armements génétiques a commencé entre les bactéries et leurs prédateurs viraux. Cette lutte est toujours d’actualité et a une incidence sur des maladies qui tuent chaque année des dizaines de milliers de personnes dans le monde.
Une étude récente publiée dans la revue Science se penche sur les effets des bactériophages (ou phages) – des virus qui tuent les bactéries – sur la gravité du choléra, maladie diarrhéique d’origine hydrique. Chaque année, le choléra tue entre 21 000 et 143 000 personnes dans le monde. Cette maladie est liée à la pauvreté : elle affecte les régions où l’approvisionnement en eau potable et les services d’assainissement sont déficients.
L’équipe, dont fait partie Jesse Shapiro, professeur de microbiologie et d’immunologie à l’Université McGill, a mené ce qu’elle estime être l’une des plus importantes études génétiques consacrées à l’analyse de la relation dynamique entre la bactérie du choléra, ses bactériophages et les antibiotiques.
L’étude fait ressortir la possibilité de créer de nouvelles stratégies reposant sur l’utilisation de bactériophages pour tuer des bactéries résistantes aux antibiotiques présentes dans le choléra et dans d’autres maladies qui frappent l’humanité depuis des siècles. Ainsi, elle ouvre la voie à de nouveaux diagnostics et à de nouvelles solutions permettant d’atténuer la résistance aux antibiotiques.
« Transmis par l’eau, le choléra est une maladie dévastatrice qui touche des millions de personnes et cause des milliers de décès chaque année. Et on s’attend à ce que les changements climatiques fassent empirer la situation. La résistance aux antibiotiques est aussi de plus en plus inquiétante, et il faut réfléchir à d’autres traitements anti-infectieux », explique le Pr Shapiro.
Une prédation efficace
L’étude présente le concept de « prédation efficace ». Les scientifiques ont constaté qu’un ratio plus élevé entre les phages prédateurs et leurs proies bactériennes était associé à des cas moins graves de choléra. L’équipe dit être la première à montrer le fondement génétique de ce ratio.
En outre, ce ratio peut s’avérer utile pour les médecins au moment de décider d’un traitement en les aidant à déterminer la gravité de la maladie. Il pourrait également permettre de prédire la progression de la maladie.
Les scientifiques ont utilisé des techniques génomiques de pointe pour analyser les interactions entre la bactérie et les bactériophages dans 2 574 échantillons de selles prélevés chez des personnes atteintes du choléra au Bangladesh, l’un des pays les plus touchés par cette maladie (environ 100 000 cas par année). Les échantillons ont été prélevés en 2018 et en 2019.
Le Pr Shapiro a mené une analyse génétique d’échantillons avec Naïma Madi, Ph. D., auteure principale de l’étude et chercheuse postdoctorale à l’Université McGill.
La cueillette de données sur la course aux armements génétiques entre la bactérie et les phages est une quête difficile, ce qui complique l’étude du choléra et de la biologie des phages. Chaque organisme évolue pour tenter de percer la défense de l’autre. Quand l’un s’adapte, l’autre riposte. Lorsque les phages ont le dessus, la diversité génétique bactérienne augmente. Puis, la population des phages chute. Finalement, le virus s’adapte sur le plan génétique et parvient à prospérer de nouveau.
Le Pr Shapiro précise que davantage d’études, y compris un essai clinique, seront nécessaires avant que des traitements efficaces à base de phages soient mis au point. L’étude a reçu un soutien financier des National Institutes of Health et du programme de subventions Projet des Instituts de recherche en santé du Canada, notamment.
L’étude
L’article « Phage predation, disease severity, and pathogen genetic diversity in cholera patients », par Naïma Madi, Jesse Shapiro et coll., a été publié dans Science.