Une équipe de scientifiques de l’Université McGill basée à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM) a présenté les résultats d’une étude collaborative décrivant l’influence déterminante des facteurs socioéconomiques sur la propagation du VIH dans certaines régions d’Afrique du Sud. 

Selon les résultats de l’étude intitulée « Socioeconomic factors impact the risk of HIV acquisition in the township population of South Africa: a Bayesian Analysis », les personnes vivant dans des logements temporaires (telles que des foyers ou des habitations informelles) et celles qui n’ont pas de diplôme d’études postsecondaires sont plus susceptibles d’être infectées par le VIH. 

Sous la direction de Nitika Pant Pai, M.D., Ph. D., chercheuse principale de l’étude, professeure agrégée au Département de médecine et chercheuse à l’IR-CUSM, et de Cindy Leung Soo, ancienne étudiante à la maîtrise aujourd’hui à l’emploi de l’Agence de la santé publique du Canada, l’équipe a publié ses résultats dans la revue PLOS Global Public Health. 

Selon Mme Leung Soo, cette étude apporte de nouveaux éléments aux renseignements existants sur les infections par le VIH en Afrique du Sud : « Dans notre étude, nous avons utilisé des données issues d’un essai primaire mené auprès de personnes vivant dans les townships des environs du Cap, explique-t-elle. Nous avons constaté que même au sein de cette population relativement hétérogène, les groupes vivant différentes réalités socioéconomiques n’ont pas les mêmes taux d’infections par le VIH. Notre analyse, qui tient compte des facteurs comportementaux et individuels, indique que les facteurs socioéconomiques tels que l’éducation et les conditions d’habitation ont un effet sur la propagation du VIH. Nous avons stratifié les données en fonction du sexe afin de comprendre comment les facteurs socioéconomiques peuvent avoir des effets différents chez les hommes et les femmes, et nous avons constaté que ces deux groupes étaient soumis à des mécanismes distincts, ayant différents effets. » 

L’équipe s’est servie d’une analyse bayésienne, une méthode d’inférence statistique (nommée en l’honneur du mathématicien Thomas Bayes) qui permet de combiner des informations préexistantes, concernant un paramètre donné de la population, à des données provenant d’un échantillon pour guider le processus d’inférence statistique. « Nous avons employé l’approche bayésienne pour toutes nos analyses, car elle nous offre deux avantages majeurs, explique Mme Leung Soo. La première est la possibilité d’incorporer des données antérieures. Nous avons utilisé des informations tirées d’une étude portant sur les effets de l’âge et du sexe sur le taux d’infections par le VIH afin d’en approfondir notre compréhension. L’approche bayésienne permet également d’interpréter de manière intuitive les intervalles d’incertitude; les intervalles de 89 % qui sont indiqués dans notre étude ne correspondent donc pas des intervalles de confiance, mais plutôt à des intervalles de crédibilité, que l’on interprète différemment : dans notre cas, ils veulent dire qu’il y a une probabilité de 89 % que la valeur estimée se situe dans l’intervalle. » 

Conclusions de l’étude 

Les résultats montrent que les facteurs socioéconomiques influencent le taux d’infections par le VIH. « Même en tenant compte des facteurs comportementaux et individuels, nous avons constaté que les personnes qui n’ont pas de diplôme d’études postsecondaires étaient plus susceptibles d’être infectées par le VIH par un facteur de 82 %, comparativement aux personnes qui ont un diplôme d’études postsecondaires, rapporte Mme Leung Soo. Par contre, les mécanismes par lesquels les facteurs socioéconomiques agissent varient entre les femmes et les hommes. Chez les femmes, celles qui ont un faible niveau d’éducation semblent être plus susceptibles d’avoir certains comportements sexuels, comme celui d’avoir des relations sexuelles avec plusieurs partenaires. Par contre, les hommes dont les conditions d’habitation ne sont pas stables ou qui n’ont pas un niveau d’éducation élevé sont moins susceptibles de s’être soumis à un test de dépistage récent. Il semblerait que les facteurs socioéconomiques ont un effet sur leur recours aux services liés au VIH. »  

Selon la Dre Pant Pai, les données montrent que les comportements sexuels et les facteurs démographiques individuels ne suffisent pas à expliquer les infections par le VIH. « Même en présence d’un certain accès aux soins de santé, il faut composer avec les inégalités. Nos résultats nous invitent à repenser la lutte au VIH menée en Afrique du Sud en suggérant qu’il faudrait peut-être consacrer davantage d’énergie aux déterminants sociaux de la santé qui contribuent aux inégalités. » 

À l’heure actuelle, des tests de dépistage du VIH sont offerts gratuitement dans les cliniques locales d’Afrique du Sud. En outre, on offre le dépistage à tous les patients ayant reçu un diagnostic de tuberculose pulmonaire ainsi qu’à toutes les femmes qui allaitent ou qui reçoivent un diagnostic de grossesse et dont le statut d’infection par le VIH est inconnu ou était négatif, relève Aliasgar Ismail, M.D., cochercheur de l’étude et pneumologue au University of Cape Town Lung Institute. « Les services communautaires de dépistage du VIH sont limités. Par exemple, il y a des sites de dépistage autonomes dans les communautés où les taux d’infection sont élevés. Cependant, ces services ont l’inconvénient de perpétuer la stigmatisation des personnes infectées par le VIH. Le gouvernement local tente également de fournir des services de dépistage à domicile, notamment par la recherche des partenaires sexuels des personnes ayant obtenu un résultat positif au test de dépistage du VIH. C’est une stratégie efficace, mais qui nécessite beaucoup de ressources. » 

Les conditions sociales préexistantes ont un poids considérablement sur la prise en charge des infections par le VIH, avance la Dre Pant Pai. « L’Afrique du Sud est toujours confrontée aux conséquences du racisme et de l’apartheid. Par exemple, durant la pandémie de COVID-19, on a noté des différences régionales dans la distribution des rations alimentaires et des vaccins. En ce qui concerne le VIH, on constate que le taux d’infections augmente avec l’inégalité des revenus. Nous avons montré que le risque d’infection par le VIH varie dans les townships ainsi qu’entre les hommes et les femmes. Le risque d’infection dépend réellement de l’environnement socioéconomique, ce qui est lié au revenu, lui-même lié aux inégalités, qui sont liées au niveau d’éducation. » 

« Pour la prochaine étape, nous devons nous pencher sur le contexte socioéconomique. Nous devons déterminer ce qui favorise la propagation du VIH, en particulier chez les femmes qui sont sous le seuil de la pauvreté, qui vivent des relations abusives dont elles ne peuvent s’extirper, et qui sont aux prises avec une infection par le VIH. La recherche de Cindy rejoint ce dont les anthropologues parlent depuis très longtemps. Heureusement, toutes les informations que nous avons réunies permettent aux décisionnaires de constater qu’il est de la plus grande importance de s’attaquer aux inégalités, c’est-à-dire la distribution inéquitable des revenus et des soins de santé. » 

https://journals.plos.org/globalpublichealth/article?id=10.1371/journal.pgph.0001502