La découverte des processus sous-jacents à cette neuropathie débilitante et difficile à traiter pourrait mener à la mise au point de nouvelles thérapies

Arkady Khoutorsky

La douleur neuropathique est une affection courante résultant de lésions nerveuses causées par un traumatisme ou une maladie comme le zona et le diabète. Touchant de 7 à 17 % de la population, elle provoque des douleurs débilitantes, de l’engourdissement, des picotements, une sensation de brûlure ou de décharge électrique ou encore une douleur fulgurante chez les personnes qui en sont atteintes. Ces douleurs ne répondent pas aux analgésiques classiques. « De tous les types de douleur chronique, la douleur neuropathique est la plus difficile à traiter », explique Arkady Khoutorsky, D.M.V., Ph. D., professeur agrégé au Département d’anesthésie de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de même qu’à la Faculté de médecine dentaire et des sciences de la santé orale de l’Université McGill, et membre de l’Unité de gestion de la douleur Alan-Edwards. « On ne connaît pas les processus fondamentaux sous-jacents à la douleur neuropathique et, par conséquent, il est impossible de mettre au point un traitement pouvant les cibler. »

En collaboration avec un groupe de chercheurs dirigé par Jeffrey Mogil, Ph. D. (Département de psychologie), d’autres collègues de McGill ainsi que des chercheurs à l’Université Laval, en Grèce et au Royaume-Uni, le groupe de recherche du Dr Khoutorsky a récemment publié dans la revue Science les résultats d’une nouvelle étude qui démystifient ces processus. L’équipe espère que ses découvertes permettront de créer de meilleures options thérapeutiques pour les personnes aux prises avec la douleur neuropathique.

Il nous arrive tous de ressentir de la douleur, mais bien peu sont conscients de la complexité du processus qui associe la blessure et la douleur. « Les signaux de la douleur provenant de la peau, des os et des articulations arrivent dans la moelle épinière, où ils sont traités par un réseau complexe de cellules appelées neurones, explique le Dr Khoutorsky. À l’issue de ce traitement, le signal est transmis au cerveau par un très petit nombre de neurones, les neurones de projection. On croit que ces cellules, parmi d’autres, sont responsables de la cognition des informations sur la douleur. »

Cependant, la douleur neuropathique (c’est-à-dire la douleur causée par une lésion ou une maladie touchant le système nerveux) n’est pas comme les autres types de douleur. Les thérapies habituelles contre la douleur ne fonctionnent pas, et jusqu’à tout récemment on ne savait pas pourquoi.

« Dans le cadre de notre étude, nous avons découvert qu’un sous-ensemble de neurones de projection est enrobé de structures en forme de treillis; ce sont les réseaux périneuronaux et ils régulent étroitement l’activité de ces neurones, explique le Dr Khoutorsky. Nos travaux ont montré qu’après une lésion nerveuse, les réseaux périneuronaux sont dégradés par des cellules immunitaires de la moelle épinière, les microglies. Sans régulation, les neurones de projection accroissent leur activité et transmettent davantage de signaux de douleur. »

On avait déjà étudié le rôle des réseaux périneuronaux dans d’autres maladies, mais jamais dans la douleur neuropathique. Shannon Tansley, étudiante à la maîtrise dans le laboratoire du Dr Khoutorsky et autrice principale de l’article, a décidé de se pencher sur la question. « Elle a remarqué que les réseaux périneuronaux enveloppent une très petite population de neurones de grand diamètre dans la moelle épinière, explique le Dr Khoutorsky. Il nous a fallu deux ans de recherche pour déterminer que ces réseaux enrobent exclusivement les neurones de projection et pour montrer qu’ils sont absents chez les personnes ayant des douleurs neuropathiques. » Cette découverte a d’abord surpris les membres de l’équipe, qui ne s’attendaient pas à cette sélectivité pour une petite population de neurones de projection. Le Dr Khoutorsky ajoute : « Une telle organisation permet probablement d’augmenter très spécifiquement le signal de la douleur sans altérer les autres sensations, comme le toucher. »

Il reste quelques questions auxquelles l’équipe du Dr Khoutorsky aimerait trouver réponse, notamment comment la dégradation des réseaux périneuronaux mène à l’augmentation de l’activité des neurones et si cette dégradation se maintient sur des périodes prolongées, entraînant une douleur persistante. « Nous ne savons pas non plus pourquoi seule une très petite population de neurones de projection est enveloppée de ces réseaux. »

L’équipe est déjà passée à la prochaine étape de ses recherches et les expériences de suivi ont possiblement identifié une enzyme exprimée par la microglie qui contribue à la dégradation des réseaux périneuronaux. L’étape suivante consiste à trouver le moyen de bloquer ce processus et, espérons-le, de soigner la douleur. « Nous envisageons de mettre au point des outils pharmacologiques qui inhiberont l’enzyme et préviendront la dégradation des réseaux périneuronaux et la douleur », explique le Dr Khoutorsky.

Pour lire l’article décrivant les résultats de l’étude :

Microglia-mediated degradation of perineuronal nets promotes pain. Shannon Tansley, Alba Ureña Guzmán, Weihua Cai, Calvin Wong, Kevin Lister, Einer Muñoz-Pino, Noosha Yousefpour, Brian Roome, Jordyn Heal, Neil Wu, Annie Castonguay, Graham Lean, Elizabeth M. Muir, Artur Kania, Masha Prager-Khoutorsky, Ji Zhang, Christos G. Gkogkas, James W. Fawcett, Luda Diatchenko, Alfredo Ribeiro-Da-Silva, Yves De Koninck, Jeffrey S. Mogil and Arkady Khoutorsky. Science, 26 May 2022 First Release

DOI: 10.1126/science.abl6773