Les patients subissent souvent des interventions douloureuses peu utiles sur le plan scientifique
Dans un récent commentaire publié dans le Journal of the National Cancer Institute, le professeur mcgillois Jonathan Kimmelman et des collègues avancent que certaines interventions douloureuses réalisées dans le cadre d’essais cliniques, comme des séries de biopsies chez des patients à la recherche d’un traitement contre un cancer de stade avancé, sont mal avisées et représentent un fardeau inutile pour les patients participants.
En cette ère de médecine personnalisée, de mise au point ciblée de médicaments et de thérapies cellulaires, de plus en plus d’essais cliniques incluent des interventions de recherche risquées et douloureuses qui ne présentent aucun bienfait pour les patients qui les subissent. Les chercheurs pratiquent ces interventions dans l’espoir qu’elles les aident à répondre à des questions scientifiques.
De concert avec des collègues de l’Université de Chicago, de l’Université Harvard et du National Institute of Environmental Health Sciences des États-Unis, le Pr Kimmelman soutient que ce genre d’étude devrait répondre à des normes éthiques très strictes.
« J’ai toujours cru que les essais incorporant des interventions douloureuses peuvent être importants pour faire avancer la médecine », précise le Pr Kimmelman, directeur de l’Unité d’éthique biomédicale de la Faculté de médecine de l’Université McGill. « Et bien sûr, les patients peuvent toujours refuser de participer à ce genre d’étude, mais cela risque de limiter leur accès à des médicaments prometteurs. »
Selon le Pr Kimmelman, « il arrive que ces interventions confèrent aux essais une image de recherche de pointe, mais elles s’avèrent souvent superflues et leurs résultats éclairent rarement la mise au point de médicaments. Nous soutenons qu’avant de demander aux patients de se soumettre à des interventions douloureuses sans but thérapeutique dans le cadre d’essais cliniques de médicaments, il faut évaluer ces essais minutieusement pour s’assurer qu’ils satisfont les normes scientifiques les plus strictes. Or, mes coauteurs et moi sommes d’avis que de telles normes ne sont pas toujours respectées. »
La position des auteurs est étayée par une étude de l’Université de Chicago dirigée par le Dr Mark Ratain (coauteur du présent article) et publiée l’an dernier dans le Journal of Clinical
Oncology, qui démontrait que la réalisation de biopsies dans des essais cliniques de phase 1 sur le cancer n’avait eu aucun effet tangible sur la mise au point subséquente de médicaments. Bien que l’étude se soit limitée aux essais en cancérologie, « on trouve des exemples comparables dans les essais cliniques pour la plupart des maladies », selon le Dr Ratain.
Par exemple, certains essais de thérapies cellulaires en cardiologie comportent des biopsies de moelle osseuse ou encore des injections de liquide placebo dans le cœur. Ces interventions incommodantes, même si elles ne menacent habituellement pas la vie des patients, sont néanmoins risquées. On peut se demander si les évaluateurs font toujours preuve d’assez de prudence lorsqu’ils évaluent si les résultats des interventions invasives sont susceptibles d’orienter concrètement l’évaluation d’un nouveau médicament ou d’une nouvelle thérapie cellulaire.
« Tous conviennent que les risques de ces interventions doivent toujours être clairement expliqués aux participants potentiels, et justifiés par les gains potentiels sur le plan des connaissances scientifiques », note le Pr Kimmelman. « Nous craignons cependant que les comités d’éthique, les organismes subventionnaires, les commanditaires et les organismes de réglementation ne posent pas toujours les questions nécessaires sur le bien-fondé des études qui incluent des interventions douloureuses, et les connaissances précises que l’on souhaite en tirer. Nous ne sommes pas contre ce type d’intervention – nous plaidons plutôt pour une meilleure justification scientifique lorsqu’elles sont employées. »
« Les patients sont contraints de se soumettre à ces interventions risquées pour avoir accès à de nouveaux traitements prometteurs, puisqu’elles sont souvent exigées par les commanditaires des essais, à la fois les entreprises pharmaceutiques et le National Cancer Institute », ajoute le Dr Ratain. « Ces études peuvent générer des avancées importantes si elles sont bien conçues, mais elles sont souvent lancées sans plan statistique ni contrôles suffisants – et pourraient donc être considérées contraires à l’éthique. »
Le 22 février 2017