Paula Jofre (Photo: Allen Mcinnis)

Par Gillian Woodford

Le concept des soins centrés sur le patient est sur toutes les lèvres en médecine depuis une dizaine d’années. On connaît toutefois moins le rôle de pionnières en la matière des spécialistes mcgilloises des soins infirmiers, qui ont introduit un modèle de soins centrés sur le patient dès les années 1950.

Le Modèle McGill des soins infirmiers reposait sur l’idée d’un partenariat d’égal à égal entre les infirmières, les patients et les familles en ce qui a trait au soutien, à l’information et à la défense des intérêts du patient. Les patients et leurs proches étaient traités avec respect et écoutés en tant que personnes ayant leur personnalité, leurs préférences et leur histoire propres. Il est difficile aujourd’hui de comprendre à quel point ces idées étaient révolutionnaires à l’époque.

« Je croyais que tout le monde pensait ainsi, mais ces idées étaient vues comme vraiment radicales », se souvient la Pre Laurie Gottlieb, de l’École de sciences infirmières Ingram de l’Université McGill, titulaire de la Chaire de sciences infirmières Flora Madeline Shaw. La Pre Gottlieb a travaillé avec la Pre Moyra Allen pour décrire et évaluer l’approche de soins infirmiers mcgilloise, que la Pre Allen appelait « soins infirmiers adaptés à la situation » (Situation-Responsive nursing). C’est à partir de ces travaux qu’a été élaboré le Modèle McGill de soins infirmiers. On était au milieu des années 1970 et la Pre Allen, qui s’était jointe au corps professoral en 1954, constatait qu’avec l’avènement de l’assurance maladie universelle dans les années 1960 et l’évolution rapide de la médecine, le temps était venu d’élargir le rôle des infirmières.

La Pre Gottlieb se rappelle cette époque, où les soins infirmiers se trouvaient à la croisée des chemins au Canada. Certaines plaidaient pour un rôle de remplacement qui appellerait les infirmières à assumer beaucoup des tâches exécutées par les médecins, tandis que d’autres privilégiaient le maintien du rôle d’assistante du médecin. « À McGill, nous croyions qu’une voie différente s’imposait », explique la Pre Gottlieb. « Nous voulions devenir des infirmières pour les familles. Notre rôle ne se limitait pas au diagnostic et au traitement : nous regardions comment les gens réagissaient à leur diagnostic, comment ils se remettaient de leur maladie et comment nous les aidions à rester en santé dans la communauté. »

Une génération d’infirmières formées selon le Modèle McGill des soins infirmiers sont devenues des chefs de file de leur profession et ont formé les cohortes suivantes. Le modèle a été adopté dans des hôpitaux partout au Canada et à l’étranger. La Pre Gottlieb a par la suite mené l’évolution du Modèle McGill en développant les soins infirmiers fondés sur les forces, une philosophie et une approche axées sur des valeurs fondamentales pour guider cliniciens, dirigeants et enseignants. Le nom de l’approche renvoie aux forces que les infirmières, les patients et leur famille sont encouragés à reconnaître et à entretenir, en eux-mêmes et dans leur entourage, pour promouvoir la santé et favoriser la guérison.

La professeure adjointe Catherine Gros, de l’École de sciences infirmières Ingram, qui a étudié sous la direction de la Pre Allen, soutient qu’avec la spécialisation rapide en sciences infirmières, l’arrivée de nouvelles technologies et le volume phénoménal de connaissances médicales, d’autres types de tâches ont gagné du terrain, au détriment des aspects relationnels des soins infirmiers. Dans certains cas, il reste très peu de temps pour s’arrêter et tenir la main d’un patient, échanger avec les proches, ou simplement écouter.

Les principes d’origine des soins centrés sur le patient font toutefois un retour en force depuis quelques années dans la discipline, notamment avec la publication de l’ouvrage synthèse Strengths-Based Nursing Care de la Pre Gottlieb, en 2013, traduit en français sous le titre Les soins infirmiers fondés sur les forces, et en plusieurs autres langues. En prenant appui sur le parcours et les témoignages d’infirmières travaillant dans le système de santé canadien – la plupart ici même à Montréal –, ce manuel aujourd’hui largement utilisé présente une philosophie et une approche actuelles axées sur des valeurs fondamentales.

« Cet automne, nous mettons en place un programme d’études de premier cycle révisé qui repose sur la philosophie des soins fondés sur les forces », indique Maria Di Feo, chargée de cours et coordonnatrice des stages cliniques à l’École de sciences infirmières Ingram. Mme Di Feo ajoute que la prochaine étape consiste à encourager les cliniciennes enseignantes et les superviseures en milieu clinique à s’inspirer de l’approche fondée sur les forces. « L’idéal, ce serait que l’École et les milieux cliniques partagent une même philosophie de soins infirmiers. » En association avec ses partenaires cliniques, l’École élabore actuellement des modules en ligne à l’intention des infirmières superviseures. Ces modules porteront sur l’approche de soins infirmiers fondés sur les forces et sur l’utilisation des valeurs et principes sous-jacents pour guider l’enseignement aux étudiantes en sciences infirmières dans les milieux cliniques.

Selon la Pre Gottlieb, les infirmières mcgilloises sont très bien placées pour aider à guider l’intérêt nouvellement redécouvert du milieu médical pour les soins centrés sur le patient, puisqu’elles les ont intégrés à leur pratique depuis des décennies. De plus, comme le signale la Pre Gros, les recherches ont démontré ce que les adeptes du Modèle McGill des soins infirmiers et maintenant des soins infirmiers fondés sur les forces savent depuis longtemps : que ce genre d’approche relationnelle des soins améliore les résultats cliniques et la satisfaction des patients, ainsi que la satisfaction professionnelle des infirmières. « McGill a été une véritable figure de proue de l’enseignement des soins centrés sur le patient », conclut la Pre Gros.

Le 12 mai 2017