Sylvie Lambert est professeure agrégée et directrice associée (recherche) à l’École des sciences infirmières Ingram (ÉSII), scientifique principale au Centre de recherche de St. Mary et titulaire d’une chaire de recherche du Canada de niveau 2. Fondées sur son expérience en sciences infirmières, les recherches de la professeure Lambert ont pour but de soutenir les personnes qui sont proches aidantes de patients atteints d’un cancer ou d’une autre maladie chronique, par la conception et l’évaluation d’interventions d’autosoins et d’autogestion de la maladie abordables et durables. Son équipe adapte également ces interventions fondées sur des données probantes aux besoins des personnes issues de la diversité culturelle et linguistique. Elle a d’ailleurs obtenu l’an dernier une subvention de recherche pour l’équité en santé de 300 000 $ (https://cancer.ca/fr/research/for-researchers/funding-results/health-equity22) de la Société canadienne du cancer pour un projet visant à améliorer la communication entre les patients atteints de cancer issus de la diversité culturelle et linguistique et le personnel clinique. Plus récemment, elle s’est vu octroyer une subvention de 760 000 $ sur 4 ans par voie de concours par les Instituts de recherche en santé du Canada pour poursuivre ses travaux afin d’optimiser la prestation d’un programme en ligne d’activités physiques et psychosociales pour les hommes atteints d’un cancer de la prostate et leurs proches.  

Comment votre bagage en sciences infirmières influence-t-il vos recherches sur le cancer?  

J’ai fait mes études de premier et de deuxième cycle à McGill, où j’ai appris à connaître le Modèle McGill des soins infirmiers, qui est devenu plus tard l’Approche des sciences infirmières et de la santé fondées sur les forces. Cette approche consiste à reconnaître, mobiliser, entretenir et développer les forces de chaque personne pour promouvoir la santé et favoriser la guérison. On renforce ainsi le pouvoir d’agir des patients et de leur famille, mais aussi de l’équipe clinique, des praticiens et praticiennes, ainsi que du personnel de gestion et de direction. Ces valeurs fondamentales ont façonné ma façon d’exercer ma profession d’infirmière et continuent de se refléter dans mes recherches. Je vois le patient ou la patiente et la personne proche aidante comme une dyade pour examiner comment les aider du mieux possible à composer avec les défis quotidiens qui viennent avec le cancer et les autres maladies chroniques. 

Quelle est la découverte la plus surprenante qui découle de vos recherches sur le cancer? 

De nos jours, nous avons davantage conscience de toute la détresse que vivent les personnes proches aidantes, mais cela n’a pas toujours été le cas. De 2009 à 2011, alors que j’étais étudiante au postdoctorat en Australie, j’ai observé et décrit les répercussions du rôle de personne proche aidante. J’ai été étonnée de constater que ces personnes ressentent encore plus d’anxiété que les patients et qu’en l’absence d’interventions, le degré d’anxiété qu’elles rapportaient restait inchangé, même des années après le diagnostic. C’est ce qui a inspiré le titre d’un de mes articles : Distressed caregivers do not recovery easily (La détresse des personnes proches aidantes n’est pas facile à soulager). Les personnes proches aidantes ont un lourd fardeau à porter et pendant des décennies, elles ont dû se débrouiller pratiquement sans soutien. Les rendez-vous médicaux durent de moins en moins longtemps et bien entendu, ils sont axés sur les traitements et les prochaines étapes. Cela ne laisse pas beaucoup de place à la discussion sur les conséquences physiques et psychosociales de ces traitements, dans la vie de tous les jours, sur les personnes malades et leurs proches. Ils doivent attendre la rencontre clinique suivante, souvent plusieurs semaines plus tard. Je voulais combler cette lacune sur le plan des connaissances et des mesures de soutien, en élaborant des interventions visant précisément à soulager la détresse des patients et des personnes proches aidantes.  

Quels sont les aspects les plus difficiles d’une carrière dans la recherche en sciences infirmières? 

La conciliation travail-vie personnelle est toujours complexe. Il y a également le financement de la recherche qui repose sur des subventions, un processus extrêmement compétitif. Les scientifiques doivent forcément consacrer beaucoup de temps à la soumission de demandes de subventions et à la recherche de nouvelles occasions de financement.  

Quels sont les aspects les plus gratifiants d’une carrière dans la recherche en sciences infirmières? 

C’est très gratifiant de constater les retombées concrètes de notre travail sur les patients et leurs proches, à court et à long terme. Il s’écoule souvent 10 ans ou plus avant que les résultats de la recherche soient intégrés dans la pratique. Cela peut être décourageant, surtout pour des infirmières et infirmiers qui ont l’habitude d’observer les effets de leurs interventions de jour en jour, voire d’heure en heure. Heureusement pour moi, tous les patients et leurs proches qui participent à nos recherches en bénéficient d’une façon ou d’une autre, que ce soit simplement en ayant la possibilité de parler à quelqu’un des épreuves qu’ils traversent ou en récoltant les bienfaits d’une nouvelle intervention que nous testons. Les résultats de nos études montrent clairement que ces interventions sont utiles à l’échelle individuelle. En tant que scientifiques, notre rôle est de continuer à publier, présenter et diffuser ces connaissances, afin que d’autres patients et personnes proches aidantes puissent bénéficier de nos découvertes.  

Quelle est votre plus grande fierté et pourquoi? 

Je suis extrêmement fière de mon équipe. J’ai beaucoup de chance d’avoir eu de grandes sommités comme mentors, sur qui j’ai pu m’appuyer pour évoluer. Aujourd’hui, je suis entourée d’une équipe dévouée dont les membres sont déterminés à poursuivre ce travail important, que ce soit par leur travail en gestion, coordination ou assistance de recherche, ou dans leurs études. Sans tous ces gens, je ne pourrais pas réaliser ces recherches.  

À l’échelon stratégique, je suis également ravie de siéger au comité de direction de l’Observatoire québécois de la proche aidance (CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal |Observatoire québécois de la proche aidance – www.ciussscentreouest.ca). Établi par le ministère de la Santé et des Services sociaux en 2020, l’Observatoire est un carrefour pour la production et la transmission de connaissances fiables, essentielles et pertinentes visant à sensibiliser la population et à améliorer la compréhension de la proche aidance, dans le but de mieux soutenir toutes les personnes qui assument ce rôle exigeant.