Jennifer Turnbull, Gillian Morantz et Robin Cardamore sont à Haïti dans le cadre de l’Initiative d’études en aide humanitaire pour les résidents de McGill. Par l’entremise de lettres, elles racontent leur expérience dans ce pays dévasté, lettres que vous pouvez consulter ici.

Ci-dessous, Jennifer Turnbull décrit ses premières impressions au sujet du peuple haïtien et explique comment ses collègues et elle mettent leurs connaissances médicales en pratique.


Je travaille sur ce courriel épique depuis environ une semaine. Il est difficile de tout saisir et de décrire tout ce qui s’est passé, mais voilà…

Gillian et moi sommes arrivées dans la ville de Fonds-Parisien jeudi, vers 16 heures. Nous travaillons dans le plus vaste hôpital à ciel ouvert d’Haïti. Il se trouve à 45 minutes, à l’est de Port-au-Prince, et à 15 minutes de la frontière avec la République dominicaine. L’endroit est magnifique comparativement à la capitale détruite. Nous sommes installés sur le terrain d’un orphelinat appartenant à quelques Américains. Il s’agit d’un terrain vague de 24 acres, sur lequel se trouvent quelques petits édifices, autrefois des salles de classes, et nous sommes entourés de collines. Une centaine de tentes ont été érigées sur dix rangées. Le maximum de patients par tente est de quatre, auxquelles s’ajoute la famille (techniquement, un seul membre de la famille par patient, mais c’est difficile à contrôler). Il y a aussi deux grandes tentes (du type de celles qui sont utilisées lors de mariages ou de petites cérémonies de remise de diplômes) que nous utilisons comme unités de triage et de soins post-anesthésie. Nous avons aussi deux salles d’opération (des tentes ressemblant à des igloos, les seules qui soient climatisées). On compte entre 15 et 20 médecins dans le camp, et beaucoup plus d’infirmières.

<strong>Photo: Jennifer Turnbull</strong>
Photo: Jennifer Turnbull

Depuis le 12 janvier, environ 730 patients sont passés par le camp. De ce nombre, environ 250 sont présentement des patients admis à l’hôpital (dans les tentes). Au total, par contre, on compte plus de 600 personnes vivant dans le camp, si on ajoute les membres des familles. Au bas de la route, qui fait 6,5 km, se trouvent le camp des PDI (personnes déplacées à l’interne). À l’heure actuelle, nous ne sommes pas certains de leur nombre, mais ce sont des personnes « en santé » qui sont sorties de Port-au-Prince parce qu’elles sont sans abri.

Le mandat original du camp de Fonds-Parisien est de délivrer des soins chirurgicaux et post-chirurgicaux. Toutefois, à mesure que les nouvelles à propos de notre hôpital traversent le pays, les gens y viennent à pied, en camion, en tap-tap (taxi) et depuis le camp des PDI. Ces personnes souffrent d’une vaste gamme de problèmes médicaux que nous soignons présentement. Un grand nombre d’enfants et d’adultes très malades sont souvent précipités à l’arrière de camions et laissés dans notre tente de triage.

Nos patients en chirurgie et post-chirurgie arrivent (souvent sans être annoncés) par divers moyens de transport. Le navire USS Comfort envoie de cinq à 15 patients par jour, deux à quatre à la fois, par hélicoptère. Des autobus scolaires et des camions arrivent eux aussi remplis de patients en provenance des hôpitaux de la République dominicaine. Mais cela tend à diminuer à mesure que le temps passe.

Nos journées vont d’environ 7 h à 19 h. Le personnel étranger et certains membres du personnel haïtien qui ne vivent pas dans la ville située à proximité vivent dans une ville de tentes au sein du même territoire. Jusqu’à maintenant, il n’y a pas eu de problème de sécurité important, sauf des tentes déchirées. Les installations de douches consistent en planches métalliques et en bâches bleues fixées autour de structures faites de branches de bois. Pour nous doucher, nous remplissons un seau de cinq litres avec de l’eau et nous nous aspergeons à l’aide d’une bouteille d’eau coupée en deux. Cela fonctionne assez bien! Nous sommes aussi chanceux d’avoir accès aux toilettes munies de chasse d’eau des bâtiments originaux.

La journée commence à 7 heures par une réunion du personnel où nous discutons des problèmes, assignons les tâches de la journée, etc. Ensuite, nous nous mettons tout de suite au travail. Nous travaillons sans relâche toute la journée, jusqu’à la réunion du personnel de 19 h. Puis, le triage est cédé à l’équipe volante, vers 20 h. Les professionnels de soins de santé de l’hôpital sont divisés en équipes qui se chargent chacune de deux rangées. Des visites sont effectuées une ou deux fois par jour. C’est le moment où les vêtements sont changés, où l’on se penche sur les problèmes de douleur et où l’on discute des nouvelles problématiques. Ces visites se déroulent dans une combinaison de français, de créole, d’anglais, d’espagnol et de portugais! J’ai été responsable de ces visites pendant trois jours et je les ai trouvées épuisantes. Heureusement, je n’ai pas eu à utiliser les services d’un interprète la plupart du temps, puisque la majeure partie des gens comprend le français et que je comprends le créole de mieux en mieux chaque jour. Un grand bravo, toutefois, à ceux et celles qui font ce travail chaque jour!

J’ai travaillé au triage pendant la première semaine. J’y suis encore, mais je suis présentement en train de monter un programme de surveillance que nous pouvons utiliser pour effectuer sous peu des rapports au ministère de la Santé et à la grappe de Santé publique sur les maladies comme la diarrhée et les infections des voies respiratoires. Robin Cardamore (également de l’Initiative d’études en aide humanitaire pour les résidents – HSIR) travaille fort pour implanter un système de détection électronique pour nos patients, système qui pourra aussi effectuer une surveillance de la maladie. Robin et d’autres personnes ont adapté le système de registres électronique d’un hôpital californien qui pourra être utilisé sur les iPhone de manière à sauvegarder les renseignements démographiques et les données relatives aux patients. La technologie permet des réalisations vraiment fabuleuses! De mon côté, je prépare le chiffrier sur papier qui sera utilisé quand nous ferons la transition au mode électronique. Il servira aussi aux proches des patients, à la clinique et au camp des PDI, ainsi qu’à une clinique gérée par les Haïtiens qui existait déjà avant le tremblement de terre, là où nous nous trouvons. Gillian gère le service de protection des enfants. Elle a eu la responsabilité de retracer et, en espérant que cela soit possible, de réunir tous les jeunes non accompagnés au camp. Elle a aussi travaillé de temps en temps pour une clinique située aux limites de Port-au-Prince et pour celle du camp des PDI.

J’ai aussi eu la chance de visiter la clinique du camp des PDI. Elle est installée au milieu du camp, sous une tente basse en demi-cercle. Elle est gérée par trois infirmières et un médecin haïtiens. Les patients commencent à faire la file en matinée, et l’on travaille jusqu’à ce qu’ils commencent à repartir. J’ai vu 42 patients en trois heures, la plupart inquiets et capables de marcher, mais aussi des cas de diarrhée et de possibilité de fièvre typhoïde, de pneumonie, de cellulite et de blessures infectées. J’ai même effectué des examens prénatals de base!

J’aurais tellement plus à dire, mais je pense que mon témoignage est assez long pour le moment. Gillian et moi allons prendre finalement une journée de congé, dimanche prochain. Nous avons un ami qui vit à Port-au-Prince et allons lui rendre visite. Nous visiterons aussi la ville.

À la prochaine!

Jen