Inconnu, dessin d’artiste du Médithéâtre. 1967. Source : site web Expo 67 in Montreal. http://expo67.ncf.ca/expo_man_and_health_p2.html

En 1965, un jeune chercheur en immunologie nommé Phil Gold a réalisé avec Samuel Freedman, son directeur de thèse, ce que plusieurs ne considéraient qu’un rêve illusoire : ils ont découvert le premier biomarqueur du cancer au monde. La découverte de la protéine antigène carcinoembryonnaire (ACE) chez des patients atteints du cancer colorectal a mené à la toute première analyse sanguine visant à dépister et surveiller les cellules cancéreuses. L’ACE, retrouvé par la suite dans 70 % de toutes les tumeurs cancéreuses, a changé à jamais la recherche sur le cancer et le traitement de cette maladie.

Peu de gens savent néanmoins que, dans la foulée de sa grande découverte, le Dr Gold a été invité à représenter McGill à Expo 67. L’arrivée tardive de Montréal dans l’arène de l’exposition universelle a aussi été considérée comme un défi impossible, mais encore une fois, les détracteurs ont eu tort. L’Expo demeure une des plus réussies à ce jour et elle a conféré à Montréal sa réputation internationale. Le Dr Gold, encore médecin résident à l’époque, a participé à la conception du pavillon l’Homme et la Santé, une attraction immensément populaire dont les images d’opérations sanglantes enchantaient les visiteurs.

 

Sensibilisation à la médecine

« Je leur montrais l’ACE », se rappelle l’immunologiste et conteur affable qui, à 80 ans, enseigne toujours et continue de voir des patients. « Les années 60 étaient particulièrement passionnantes en médecine. Nous étions passés de l’époque des voitures à cheval à celle de la génétique. Nous savions que nous nous propulsions dans une toute nouvelle ère avec la compréhension du fonctionnement cellulaire, de la capacité qu’ont les gènes à activer et désactiver différentes choses et parce que nous pouvions analyser les changements dans le génome. Tout cela allait améliorer la médecine. »

L’objectif du pavillon était d’initier le public à ce meilleur des mondes dans son espace multimédia unique. « Ce qui rendait l’Homme et la Santé si attrayant était l’architecture de l’édifice, déclare le Dr Gold. Elle était superbe. » Le bâtiment bas de forme hexagonale composé de poutres de bois en quinconce était centré autour du Médithéâtre, faiblement éclairé. Six scènes présentaient des comédiens qui simulaient des interventions médicales tandis que trois écrans géants projetaient des images de vraies opérations ainsi que des entretiens avec des médecins. Il y avait aussi cinq halls d’exposition, dont un où l’on pouvait voir la présentation du Dr Gold sur l’ACE.

Le Dr Gold explique qu’un autre objectif important de l’Homme et la Santé était d’humaniser la profession médicale, qui se spécialisait rapidement. « Même dans les années 60, seulement 20 % des membres de la profession étaient des spécialistes. Les autres étaient tous médecins de famille. Puis les choses se sont inversées et ça a créé une situation un peu malaisée. Selon la mentalité de l’époque, on pouvait s’identifier à son médecin généraliste, mais quand on allait voir un spécialiste, c’était une expérience plutôt froide et transitoire. Ce n’était pas vrai, mais c’était la perception. »

L’Homme et la Santé visait en grande partie à changer cette perception, dit le Dr Gold. Et ça a fonctionné. « Lorsque je parlais aux gens à la sortie, ils disaient avoir un sentiment positif envers la médecine qu’ils n’avaient pas auparavant. Les chirurgiens ne se cachaient pas simplement derrière leur masque. Ils se souciaient réellement de leurs patients. » Selon le Dr Gold, la conception du pavillon aidait à renforcer ce sentiment. « Le théâtre donnait cette impression d’être étreint par la médecine puisque le visiteur en était complètement entouré. »

Meredith Dixon, Pavillons thématiques d’Expo 67 – L’Homme dans la Cité et l’Homme et la Santé. 1967, photographie. Source : Collections numériques, Bibliothèque de l’Université McGill, Collection de diapositives d’Expo 67, ID344.

Certains visiteurs, cependant, ressentaient davantage l’horreur que l’étreinte. « On avait des gens de l’Ambulance Saint-Jean sur place parce que certains s’évanouissaient en voyant le sang gicler à l’écran », se rappelle le Dr Gold. De vraies images d’une opération à cœur ouvert sur un « bébé bleu » et d’une césarienne se sont avérées insupportables pour les nombreuses personnes qui s’évanouissaient chaque jour dans le Médithéâtre.

L’Homme et la Santé jouait également un rôle de sensibilisation aux enjeux de santé publique. « Nous parlions de plein de choses, comme le fait que les cigarettes sont mauvaises pour la santé, que nous avons des façons de dépister le cancer tôt, que les antibiotiques sont maintenant disponibles pour une panoplie de choses. » Le Dr Gold, ardent défenseur d’un mode de vie sain, avoue joyeusement qu’il continue d’importuner les gens sur le campus avec sa ferveur anti-tabagisme. « Quand ils me voient, ils disent «vite, éteins ta cigarette, il arrive!» »

 

L’évolution du traitement du cancer

Le Dr Gold est extrêmement fier de l’ACE, qui est principalement utilisé pour surveiller la récurrence du cancer après la chirurgie, mais paradoxalement, il attend avec impatience sa disparition. « Mon grand désespoir quant à l’ACE est que je croyais qu’on l’aurait laissé tomber il y a longtemps et que de bien meilleurs tests l’auraient remplacé complètement, dit-il. On parle d’une découverte de 1965 – c’était primitif. » Il est heureux d’annoncer qu’on peut maintenant attaquer l’ACE ainsi que d’autres antigènes à l’aide d’une méthode utilisant des inhibiteurs du point de contrôle immunitaire. « Ôter les freins contre le cancer », voilà comment le Dr Gold décrit cette méthode qui a déjà, nous dit-il, amélioré de façon importante le taux de survie au mélanome et au cancer du poumon non à petites cellules.

Pour le Dr Gold, l’euphorie de son moment « eurêka » avec l’ACE est aussi vive aujourd’hui qu’il y a 52 ans. Il partage régulièrement l’histoire avec ses étudiants :

J’avais rapporté ce gel à la maison et l’avais rempli de substances que je devais observer (ça s’appelle une bande antigénique), et je l’avais placé dans un endroit où les enfants n’y auraient pas accès. C’était le vendredi soir. J’ai dit à mon épouse : « Demain matin, ma chérie, nous irons voir. » Puis le lendemain matin elle m’a dit : « Allons jeter un coup d’œil. » J’ai dit : « Non, prenons d’abord notre café. Juste au cas où ça n’ait pas fonctionné. » Alors nous avons pris notre café et puis elle m’a demandé : « Maintenant? » J’ai dit : « Ok, maintenant. » Et voilà. Les bandes étaient là.
Et je dis aux étudiants, je ne sais pas si vous savez pourquoi vous faites de la recherche, mais moi j’ai découvert ce jour-là pourquoi je fais de la recherche. Parce que pendant tout un week-end, je savais quelque chose que personne d’autre au monde ne savait. Et c’était une sensation remarquable. Puis le lundi je suis allé le dire à qui voulait bien l’entendre!

 

Le 19 juillet 2017