Par Jean-Benoît Nadeau
Les travaux ont repris le lundi 11 mai sur le chantier du Campus Outaouais de l’Université McGill, pour terminer la construction du bâtiment qui abritera les installations d’enseignement du programme d’études médicales de premier cycle de la Faculté de médecine. Le gouvernement provincial a décrété la suspension des travaux au Québec le 23 mars dernier en raison de la pandémie de COVID-19. Après huit semaines d’interruption, les équipes sont de retour sur le chantier pour exécuter les travaux de construction du Campus Outaouais et du Groupe de médecine familiale universitaire (GMF-U) de Gatineau, du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de l’Outaouais.
La construction des deux étages sera terminée d’ici la fin de l’automne, après quoi les locaux pourront être aménagés en vue d’une ouverture officielle. Malgré ce délai dans les travaux, la première cohorte de 24 étudiants du Campus Outaouais débutera sa formation le 18 août prochain, comme prévu. Les enseignants et administrateurs du Campus sont prêts et heureux d’accueillir leurs étudiants. La rentrée aura lieu au même moment que pour leurs collègues du Campus de Montréal.
La construction a débuté à l’automne 2018 et jusqu’au tout début de la pandémie, les travaux étaient supervisés par Sophie Brunet, gestionnaire de projet pour l’entrepreneur général Ed Brunet et Associés. Voici un portrait de Sophie, une diplômée en architecture de McGill qui a grandi en Outaouais.
Dans la roulotte du surintendant du futur Campus Outaouais de la Faculté de médecine de McGill, Sophie Brunet (M. Arch. 2009) discute du chantier devant une pile impressionnante de plans. Sur table inclinée, des centaines de feuilles sont étalées, mais l’architecte n’a aucun mal à s’y retrouver. Gestionnaire de projet pour l’entrepreneur général Ed Brunet et Associés – une entreprise installée dans la région depuis 1901! –, c’est elle qui tient le budget et l’échéancier, passe les commandes, demande des clarifications aux auteurs des plans, en plus de négocier les contrats et de coordonner une ronde insensée d’ouvriers, de machines.
Ce jour-là, le surintendant est aux prises avec le problème classique : un sous-traitant qui se plaint qu’il n’est pas payé assez cher. « C’est écrit sur le contrat? Alors je vais lui parler », dit Sophie. Elle explique son approche : « Quand il y a un différend à régler, l’essentiel est de ne pas confronter les gens, mais de chercher une solution. C’est mon approche. »
À 33 ans, elle nage comme un poisson dans l’eau dans l’univers très masculin de la construction. « Je n’ai pas trop de mal. Je trouve les gars respectueux. Il faut dire que je travaille là-dedans depuis que j’ai 15 ans », dit l’architecte. Membre du chapitre local de l’Association de la construction du Québec, elle est très fière du fait que son chantier compte entre trois et six femmes sur un total de 65 à 70 travailleurs – très nettement au-dessus de la moyenne de cette industrie, à 2,1 %. « J’espère que ça continuera d’augmenter. »
Sophie appartient à la cinquième génération de Brunet au sein de l’entreprise familiale, Ed Brunet et Associés, qui compte entre 50 et 80 employés selon les saisons. La firme de Gatineau, fondée par son arrière-arrière-grand-père Édouard il y a 119 ans, est le deuxième plus ancien entrepreneur général au Canada. Son arrière-grand-père Raymond a même été le maire de Hull de 1941 à 1948. Au siège social de la rue Dumas, dans un vieux parc industriel au bout de l’autoroute 50, ils sont cinq membres de la famille : son père Raymond, sa mère Murielle Brazeau, son frère Sébastien et son mari Ali Torabi. « Mais la majorité des associés sont des cadres qui ne sont pas de la famille », dit Sophie, qui gère son projet tout en préparant la prochaine génération de Brunet. Mère de deux enfants en bas âge, elle est enceinte de son troisième enfant – qui doit naître à la fin mai. Comme ses parents, elle ne poussera pas ses enfants à se joindre à l’entreprise. « Ils feront ce qu’ils veulent bien. De toute manière, il y aura de la relève! »
En tant que diplômée de McGill, Sophie est particulièrement fière de travailler à un projet de son alma mater dans sa région natale, qu’elle n’a quitté que temporairement pour ses études. « En Outaouais, nous avons toujours eu un problème de rétention de médecins, dit-elle. L’implantation d’un campus ici va nous aider à retenir les médecins dans le milieu. »
Sophie a choisi d’étudier à McGill pour sa réputation, mais aussi pour l’architecture patrimoniale de son campus. Elle y a trouvé son mari, mais aussi deux professeurs qui ont été de véritables mentors. « Adrian Sheppard était très technique, et son cours sur les gratte-ciels était mémorable. Ricardo Castro, qui nous a accompagnés pour un voyage en Grèce, m’a ouvert à la philosophie, à la littérature et à comprendre les facteurs externes qui influencent l’architecture. »
Des notions fort utiles quand on considère les contraintes du chantier qu’elle dirige. Il s’agit de construire simultanément un Groupe de médecine de famille et un campus universitaire au-dessus de l’urgence de l’hôpital de Gatineau, l’une des deux plus grosses urgences de la région et qui ne pouvait donc pas interrompre son activité pendant les travaux.
« Il a fallu organiser l’horaire du travail pour donner priorité à l’urgence, et réduire les nuisances sonores et vibratoires », dit-elle. Pas question de bloquer l’accès des ambulances avec la grue, ni de nuire aux patients et aux professionnels en rabotant le béton du toit quand il y a du monde dessous. « Et comme on ne pouvait pas défoncer le plafond pour passer la plomberie de l’étage au-dessus, nous avons dû installer un gros système de drainage sous vide pour les 60 lavabos, une première au Québec et au Canada pour un établissement de cette ampleur. »
« Par sa complexité, ce projet est d’une envergure similaire à plusieurs autres projets que j’ai eu la chance de gérer », dit Michel Leblanc, le directeur du projet, qui compte à son actif des projets tels que le Centre de recherche du CHUM à Montréal et le pavillon Jean et Marcelle Coutu de l’Université de Montréal accueillant entre autres la Faculté de pharmacie. Comme il doit livrer un campus « clé en main », il est important d’être proche de l’équipe de construction. Il discute quotidiennement avec Sophie, ainsi que les professionnels et la Société québécoise des infrastructures. « Il faut se coordonner avec les différents partenaires dont l’Université McGill, les ministères de la Santé et de l’Éducation, le CISSS de l’Outaouais et l’Université du Québec en Outaouais, qui va offrir l’année préparatoire en médecine. »
Au moins une fois par jour, Sophie tient une conférence avec le surintendant, Benoit Henri, un charpentier-menuisier de formation qui est entré chez Ed Brunet un an avant sa naissance. « Je ne sais pas ce qu’on ferait sans des employés d’expérience comme lui », dit-elle
Tous deux doivent composer avec le principal problème du milieu de la construction au Québec : le manque de main-d’œuvre, qui affecte tous les chantiers sans exception, mais particulièrement l’Outaouais à cause de la proximité de l’Ontario. Mais elle n’en fait pas non plus des insomnies : « Un bon chantier n’ira pas nécessairement plus vite s’il y a plus de monde, dit-elle, ça demande de la coordination. » Sophie a institué un système de gestion des travaux en cinq zones, qui permet de maximiser la productivité en déplaçant le personnel selon l’état d’avancement de chaque zone. « C’est ça, mon travail : trouver des solutions. »
Le 21 mai 2020