Cherie Strikwerda-Brown, Ph. D., est une stagiaire postdoctorale dans le laboratoire de Sylvia Villeneuve, Ph. D. Elle est première auteure sur le récent article, Association of Elevated Amyloid and Tau Positron Emission Tomography Signal With Near-Term Development of Alzheimer Disease Symptoms in Older Adults Without Cognitive Impairment, publié en-ligne le 30 juillet 2022, dans JAMA Neurology. Elle a répondu à nos questions sur son travail et sur l’importance de cet article.

Vous avez récemment publié un article dans la revue scientifique JAMA Neurology, dans lequel vous présentez une nouvelle façon de détecter la maladie d’Alzheimer à l’aide de marqueurs biologiques. La maladie d’Alzheimer et d’autres formes de démence sont un grave problème de santé publique, touchant près de 750 000 Canadiens. Pourquoi est-il si important de détecter la maladie de façon précoce ?

En plus du grand nombre de Canadiens actuellement touchés par la maladie d’Alzheimer, la prévalence augmente rapidement et est prévue de tripler d’ici 2050. À ce jour, il n’existe aucun traitement efficace capable d’inverser ou d’arrêter le déclin cognitif chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer à un stade avancé. Cela peut être dû aux dommages irréversibles qui se sont déjà produits aux stades avancés de la maladie. Traiter les patients à des stades précoces de la maladie d’Alzheimer peut donc s’avérer plus efficace pour prévenir ou ralentir le déclin cognitif. Afin de sélectionner les individus à cibler avec un traitement aussi précoce, nous devons détecter la maladie le plus tôt possible, idéalement chez ceux qui n’ont pas encore de déficience cognitive, mais qui finiront par la développer.

Que peuvent apporter les biomarqueurs à notre compréhension de la maladie et à la prise en charge des patients, par rapport aux évaluations cliniques standards utilisées pour détecter la maladie d’Alzheimer ?

Historiquement, la maladie d’Alzheimer était définie sur la base d’une estimation suite à l’évaluation clinique, car il n’était pas possible de déterminer avec certitude la pathologie à l’origine des symptômes cognitifs d’un patient avant l’autopsie. Désormais, nous disposons de biomarqueurs capables de détecter de manière fiable la pathologie de la maladie d’Alzheimer alors que le patient est encore en vie. Cependant, ces biomarqueurs ont été détectés même chez des personnes ne présentant pas les symptômes cognitifs de la maladie d’Alzheimer, ce qui soulève des questions quant à leur pertinence clinique. Notre étude a démontré que la présence de ces biomarqueurs de la maladie d’Alzheimer chez les personnes sans symptômes cognitifs était fortement associée au développement de troubles cognitifs dans un avenir très proche (dans les 2-3 ans suivants). Cela suggère que ces biomarqueurs sont en effet cliniquement importants chez les individus sans symptômes cognitifs actuels, car ils sont hautement pronostiques pour un déclin futur.

Quels biomarqueurs avez-vous étudiés dans votre étude et comment les avez-vous détectés ?

Nous avons utilisé la tomographie par émission de positrons (TEP) pour étudier le dépôt d’amyloïde et de tau, deux caractéristiques pathologiques clés de la maladie d’Alzheimer. Nous avons également utilisé de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) pour étudier la neurodégénérescence, qui est considérée comme un marqueur de la gravité de la maladie, mais qui n’est pas spécifique à la maladie d’Alzheimer. Si les individus avaient la présence de ces trois biomarqueurs, ils couraient un risque nettement accru de développer des symptômes cognitifs dans les 2 à 3 ans, par rapport à ceux qui n’avaient qu’un ou aucun de ces marqueurs.

Ce travail a été réalisé sur quatre sites distincts. Que pouvez-vous nous dire de votre collaboration avec les scientifiques de ces autres sites ?

Nous considérons notre utilisation de quatre cohortes indépendantes comme une force clé de notre étude, car elle nous a permis de reproduire nos résultats sur différents échantillons avec différents facteurs démographiques et différentes méthodologies. Le partage des données entre les sites va être crucial pour faire avancer le domaine de la maladie d’Alzheimer, nous permettant d’augmenter la taille de l’échantillon et la robustesse des résultats, et de répondre à des questions impossibles à résoudre au sein d’une seule cohorte. Collaborer, c’est aussi s’amuser ! C’est formidable de travailler et de partager des idées avec des collègues du monde entier.

De quelle façon pensez-vous que vos découvertes affecteront les futures avenues de recherche et les applications cliniques ?

Tout d’abord, nous espérons que nos résultats aideront à éclairer le recrutement pour de futurs essais cliniques sur la maladie d’Alzheimer impliquant des individus cognitivement normaux. En vue de nos résultats, les participants présentant des biomarqueurs amyloïdes, tau et de neurodégénérescence devraient être spécifiquement sélectionnés car ils sont les plus susceptibles de montrer les effets cognitifs de la maladie. Éventuellement, lorsque des traitements efficaces seront disponibles, ces biomarqueurs pourront être utilisés pour sélectionner les individus à traiter. En attendant, la recherche devrait également se concentrer sur la détermination de l’applicabilité de nos résultats à des échantillons plus diversifiés. Malgré l’utilisation de quatre sites indépendants, les participants étaient majoritairement blancs. Déterminer la généralisabilité de ces biomarqueurs pour prédire les troubles cognitifs chez les individus de différentes origines raciales/ethniques sera une piste importante pour les recherches futures.