Par Lisa Dutton

Le Pr Howard Steiger dirige le Programme des troubles de l’alimentation (PTA) de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, seul programme d’envergure spécialisé dans le traitement d’adultes ayant un trouble de l’alimentation au Québec. Le clinicien, professeur et chercheur a publié de nombreux articles de nature clinique, scientifique et théorique sur les troubles de l’alimentation (TA).

Il a bien voulu répondre à quelques questions avant la présentation accréditée du Bureau de développement professionnel continu de McGill qu’il donnera le 6 février et qui s’intitule « Meals, Molecules and the Media: Understanding and Treating Eating Disorders ». Les médecins de famille, d’autres spécialistes, les étudiants en médecine, les résidents et autres professionnels de la santé que la présentation intéresse peuvent y assister en personne ou en ligne. On peut s’inscrire dès aujourd’hui.

 

  1. Quelle crédibilité accorde-t-on à l’idée voulant que les troubles de l’alimentation découlent d’une dynamique familiale problématique ou des préoccupations personnelles des parents vis-à-vis du poids?

On a déjà tenu les familles responsables des troubles de l’alimentation de leurs enfants, à partir d’hypothèses erronées concernant des mères surimpliquées, des pères absents et d’autres erreurs de parents. Le soutien empirique pour de telles idées est inexistant. Les données indiquent plutôt que les troubles de l’alimentation résultent de l’activation de vulnérabilités héréditaires (associées à certaines tendances génétiques) par des facteurs de stress environnementaux qui agissent tout au long de la vie (même avant la naissance) et par des effets néfastes sur le fonctionnement psychologique de la malnutrition ou la détresse alimentaire.

  1. Que révèlent les études de génétique moléculaire sur les TA?

Les conclusions récentes d’études de génétique moléculaire associent le risque d’anorexie mentale à des gènes qui influent sur :

1) des traits psychologiques, dont la tendance anxieuse, une préférence obsessionnelle pour l’ordre, etc.

2) des fonctions métaboliques liées à la masse corporelle et au métabolisme énergétique (par ex., la fonction insulinique, le métabolisme lipidique, etc.)

3) la fonction immunitaire, expliquant peut-être une association connue entre les troubles de l’alimentation et d’autres maladies auto-immunes (comme l’arthrite rhumatoïde, le lupus, le syndrome du côlon irritable, etc.).

Des études d’épigénétique montrent que les stress de la vie et la malnutrition influent sur le fonctionnement de gènes qui agissent dans ces trois mêmes domaines — activant et désactivant divers effets contrôlés génétiquement. L’ensemble de ces constatations met en relief l’idée voulant que les troubles de l’alimentation résultent de l’activation environnementale de susceptibilités physiques réelles qui sont bien au-delà du contrôle conscient des personnes affectées.

  1. Est-ce vrai qu’après un certain temps, un trouble de l’alimentation risque de devenir chronique et intraitable?

Comme pour toute dysfonction, les données montrent qu’une intervention précoce dans les cas d’apparition récente peut contribuer à empêcher le renforcement d’un trouble de l’alimentation et, dès lors, le risque de son passage à la chronicité. Cela dit, des résultats de recherche démontrent que les pourcentages de personnes qui guérissent d’un TA augmentent systématiquement à mesure que le suivi post-traitement se prolonge — avec un taux de rémission déclaré dans le cas de l’anorexie mentale de 29 % après 2,5 ans, et de 68 % à 84 % après une période de huit à 16 ans. Dans la même veine, les taux de rémission déclarés dans le cas de la boulimie nerveuse après un an sont de 27-28 %, tandis qu’ils dépassent 70 % après dix ans et plus. Autrement dit, il n’est jamais nécessaire d’accepter de vivre avec un trouble de l’alimentation ou d’en mourir. Avec le temps, lutter avec persévérance contre la maladie augmente les probabilités de guérison.

  1. Que faire lorsqu’une personne se présente à votre cabinet avec un trouble de l’alimentation?

L’un des principaux rôles d’un médecin de famille consiste à évaluer le risque et à assurer la sécurité. Cela implique en général une bonne connaissance des signes avant-coureurs, ainsi que des façons de parler aux gens afin de les encourager à prendre des décisions qui sont au mieux de leurs intérêts. Un médecin devrait connaître l’essentiel de la prise en charge comportementale de patients manifestant un trouble de l’alimentation et pouvoir amorcer des interventions de faible intensité propres à aider les gens à se libérer de leurs habitudes alimentaires inadaptées. Adoptez une approche collaborative et un langage qui encourage l’acceptation de soi et la sécurité en entreprenant un traitement. Vous voudrez probablement choisir un système de soins partagés faisant intervenir une équipe locale en santé mentale ou des services spécialisés dans les troubles de l’alimentation — comme le Continuum de soins dans ce domaine de l’Institut Douglas.

D’après les données actuelles, un traitement doit, autant que faire se peut dans les limites de la sécurité, être non coercitif, flexible et fondé sur des principes établis de pratiques exemplaires. Il est important de placer la personne en traitement (et ses proches) au cœur des décisions cliniques. Par la suite, dans des limites réalistes, un traitement doit être offert d’une manière qui est collaborative, informative, tolérable et propice à l’engagement personnel. L’objectif ultime est de mobiliser chez la personne traitée le désir de changer, et de lui donner le pouvoir d’apporter des changements adaptatifs de façon librement choisie.

Afin de s’inscrire à la conférence accréditée du Pr Steiger et/ou de découvrir les prochaines causeries accréditées du Bureau de DPC de McGill, veuillez consulter la programmation. Les présentations durant la session d’hiver 2020 sont gratuites pour les étudiants et résidents de la Faculté de médecine de McGill. 
En recherche, le Pr Steiger étudie les corrélats des troubles de l’alimentation qui sont d’ordre développemental, neurobiologique et génétique, ainsi que la psychopathologie y étant fréquemment associée. Avec des chercheurs de son laboratoire, il examine des facteurs qui prévoient les réactions pendant et après des traitements spécialisés — dont des facteurs de nature développementale et génétique, des facteurs de stress de la vie courante, la motivation de patients, l’alliance de traitement en cours et d’autres facteurs. 

Le 24 janvier 2020