La Dre Mamta Gautam est une accompagnatrice professionnelle, une auteure et une conférencière de renommée internationale. Coach certifiée en perfectionnement professionnel des médecins, elle a suivi la formation CoActive Coaching de Coaches Training International. La Dre Gautam a une perspective unique et une profonde compréhension de la réalité des médecins. Pendant 20 ans, elle a exercé la psychiatrie en pratique privée à Ottawa et été professeure clinique au Département de psychiatrie de l’Université d’Ottawa. Spécialiste en matière de santé et de bien-être des médecins, elle est surnommée « la docteure des docteurs ». Elle est la directrice fondatrice du Programme de promotion de la santé de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, qui a inspiré le centre pour la santé et le bien-être des médecins de l’Association médicale canadienne, où elle agit comme médecin-conseil. 
Le 27 février, la Dre Gautam sera à McGill pour donner deux conférences intitulées « Beyond Burnout to Resilience », de 9 h 35 à 10 h 25 dans l’Amphithéâtre Martin (salle 504) du Pavillon McIntyre des sciences médicales, et de 14 h à 15 h dans l’Amphithéâtre Osler (salle A6.105) de l’Hôpital général de Montréal.
La Dre Gautam nous a accordé une entrevue en prévision de sa visite.

Pourquoi la prévention de l’épuisement professionnel et le bien-être sont-ils des sujets si importants pour les étudiants en médecine et les médecins?

C’est important, parce que la santé en général dépend de la santé des médecins. Le système de santé compte sur les médecins, mais ne les aide pas efficacement à rester en santé et aptes à prendre soin de leurs patients. Selon des études récentes, jusqu’à 50 % des médecins et apprenants canadiens en médecine présenteraient des symptômes d’épuisement professionnel (ou burnout). C’est une épidémie silencieuse, mais incontestable. Nous ne pouvons accepter que ça devienne la normalité.

Même s’il ne s’agit pas d’un diagnostic psychiatrique, l’épuisement professionnel peut conduire à de graves problèmes : maladies physiques, problèmes relationnels, maladies mentales comme l’anxiété, la dépression ou le suicide. Le burnout affecte aussi notre travail : augmentation des erreurs, réduction de la satisfaction des médecins et des patients, difficultés de recrutement et de maintien en poste des médecins.

Depuis 1990, j’aide le milieu médical par mon travail clinique auprès de collègues médecins, en sensibilisant la population et en luttant contre la stigmatisation associée à la santé mentale, en créant et en développant des programmes pédagogiques, en conseillant à mes collègues de prendre soin d’eux en priorité, en offrant des formations et du mentorat sur les soins aux médecins, et en créant des programmes sur la gestion du stress, la résilience et la pleine conscience. L’accent a d’abord été mis sur les soins aux médecins, puisque pendant longtemps, seules les interventions individuelles étaient possibles. Pendant des décennies, j’ai rencontré des organisations et plaidé pour un meilleur soutien aux médecins qui y travaillaient. Je suis heureuse que nous ayons finalement atteint un point de bascule où nous pouvons arrêter de blâmer les médecins et enfin intervenir au niveau du système. Je prône l’adoption d’un modèle de responsabilité partagée où les médecins et apprenants en médecine travaillent de concert avec le système de santé pour que les médecins restent en santé et puissent continuer de vivre les joies de la profession médicale.

Pensez-vous qu’on néglige le sujet de l’épuisement professionnel, et si c’est le cas, pourquoi?

Assurément, le sujet de l’épuisement professionnel est souvent négligé. La stigmatisation liée à la maladie mentale et à la psychiatrie joue pour beaucoup, et elle frappe particulièrement fort en médecine. La culture médicale valorise le travail acharné, le perfectionnisme et la responsabilité qui mènent à constamment placer les besoins des patients avant les nôtres. Admettre qu’on a besoin d’aide est souvent vu comme une faiblesse ou un échec. Les médecins ignorent souvent leurs symptômes, et nient ou cachent des problèmes. Nous nous voyons comme des soignants, pas comme des bénéficiaires de soins.

On connaît aussi mal l’épuisement professionnel. De nombreux médecins me disent qu’ils se sentent comme cela depuis très longtemps et que tous leurs collègues ressentent la même chose – « c’est normal, non? » –, et beaucoup de mes collègues ne savent pas où chercher de l’aide. Pendant longtemps, on a blâmé les médecins pour leur incapacité à prendre soin d’eux-mêmes. Il est maintenant temps que le système accepte sa part de responsabilité pour les conditions de travail offertes, et prenne soin de ses médecins.

Qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser au mieux-être des médecins?

J’ai réalisé tôt dans ma carrière que le système médical n’était pas très favorable à la santé des médecins. Durant ma résidence en pédiatrie, après avoir travaillé toute une nuit et admis 12 patients, la mère de mon dernier patient m’a confié que j’avais l’air beaucoup plus malade que son enfant, que je venais d’hospitaliser. J’ai finalement dû prendre congé parce que je souffrais d’une pneumonie à mycoplasmes, qui a évolué en une encéphalite à mycoplasmes. Je soupçonne que mon directeur de programme savait que j’aurais besoin de temps pour me rétablir, mais j’ai tout de même dû appeler chaque jour, durant ma seule demi-heure d’éveil quotidienne, pour les informer que je ne pourrais pas me présenter cette journée-là.

Quelques années plus tard, résidente en psychiatrie et enceinte de jumeaux, j’ai souffert du syndrome HELLP et dû subir une césarienne d’urgence, après laquelle je suis tombée dans le coma pendant quelques jours. À cause des règles sur les congés durant la résidence, j’ai dû retourner au travail malgré une plaie abdominale ouverte qu’il fallait combler deux fois par jour. Lorsque j’ai compris que j’allais vraiment survivre, je me suis promis de défendre la santé des médecins. Je ne savais toutefois pas concrètement comment j’allais m’y prendre.

L’occasion s’est présentée peu après, alors que j’ai dû donner une présentation sur la dépression devant une salle remplie de collègues médecins, en remplacement d’un conférencier qui avait dû annuler à la dernière minute. Trois d’entre eux sont venus me voir après coup pour me dire qu’ils avaient aimé ma conférence et qu’ils avaient eu l’impression que je racontais leur histoire. Ils m’ont aussi demandé si je pouvais les prendre comme patients. C’était mes trois premiers patients médecins; le bouche-à-oreille ayant fait son œuvre, trois mois plus tard, toute ma pratique était axée sur les soins aux médecins.

Vous avez abondamment publié sur le sujet, dont deux livres. Sans vendre la mèche avant votre conférence, avez-vous des conseils clés que devraient suivre tous les médecins et étudiants en médecine pour rester en santé et éviter l’épuisement?

Rester en santé, ce n’est pas si compliqué. Voici trois conseils pour y parvenir :

  • Réconcilier l’intellect et les émotions. Nous savons tous intellectuellement ce que nous devons faire, mais il y a un fossé entre ce constat et ce que nous nous donnons la permission de faire, émotionnellement. Il faut réconcilier les deux, en faisant ce que nous conseillerions à un ami de faire dans la même situation.
  • Se rappeler que personne n’est immunisé. N’importe quelle personne en bonne santé et très performante, placée dans un environnement malsain, peut rapidement voir sa santé en souffrir. Ça peut arriver à chacun d’entre nous.
  • Prendre d’abord soin de soi-même. Ce n’est pas un luxe, ce n’est pas égoïste. C’est un investissement qui nous permet ensuite de mieux prendre soin d’autrui.

Le 22  février 2018