Spécialiste de renom en matière de dépression et de suicide, le Dr Gustavo Turecki, directeur du Département de psychiatrie de l’Université McGill et chef de psychiatrie au CIUSSS Ouest-de-l’Île-de-Montréal, ainsi que psychiatre et chercheur à l’Institut universitaire de santé mentale Douglas, fait part de quelques conseils et réflexions sur la façon de composer avec le stress et l’anxiété en ces temps extraordinaires. Il nous a parlé par téléphone depuis son bureau au Douglas le 24 mars.

Quelles sont, à vos yeux, les principales sources de stress que les gens éprouvent face à la pandémie?

Selon moi, l’une des grandes sources de stress est le contexte d’alerte, de changement et d’inconnu que vit notre société en ce moment. Cela génère du stress et de la peur – qui sont des réactions normales. Nous aimons avoir des routines et quand nous en sortons, cela nous affecte. La question est de savoir comment nous gérons les choses individuellement et cela dépend beaucoup de la compréhension et de l’interprétation que chacun a de ce qui se passe.

Quelles sont les mesures à prendre pour gérer son niveau de stress?

La première est d’établir autant que possible une routine dans cette nouvelle réalité. Permettez-vous de participer à des activités agréables pendant votre temps libre, prenez un peu de recul, faites des choses qui permettent à votre cerveau de décrocher. Faites autant d’activités physiques que possible, allez marcher ou courir dehors, restez actifs physiquement. Et bien que ce soit difficile à cause de l’éloignement social exigé, essayez d’être avec des gens que vous aimez.

Il est important de se rappeler qu’à chaque jour suffit sa peine. Je pense aussi qu’il est important d’accepter que notre anxiété augmente et que c’est normal. Nous devrions essayer de comprendre ce qui cause le plus clair de notre anxiété et examiner les mécanismes qui permettent de dédramatiser autant que possible.

Comment peut-on composer avec le sentiment que la situation est hors de notre contrôle?

Il s’agit en grande partie de reconnaître ce que nous pouvons ou ne nous pouvons pas contrôler. Si vous vous inquiétez, par exemple, de ne pas pouvoir faire les choses que vous aimez parce que tout est fermé, c’est complètement inutile. Concentrez-vous sur les choses que vous pouvez contrôler – comme vous protéger du virus – plutôt que sur celles qui sont hors de votre contrôle.

Avez-vous des conseils à donner aux personnes qui se sentent déçues par la situation de leur travail ou de leurs études – par exemple, les chercheurs et les résidents/stagiaires qui ne peuvent pas accéder à leurs laboratoires?

C’est hors de leur contrôle – les laboratoires sont fermés. Ne vous inquiétez pas, ça ne sert à rien de vous en faire. Sachez que des solutions seront trouvées, soit par les organismes de financement qui s’adapteront, soit d’une autre façon. Vous n’êtes pas la seule personne, beaucoup de gens sont dans la même situation.

Les prestataires de soins de santé sont-ils particulièrement vulnérables?

Je travaille dans le domaine de la santé mentale et je peux vous dire que les gens sont anxieux, et j’entends mes collègues d’autres domaines dire que les gens sont inquiets. Mais je pense que les gens s’en sortent bien dans l’ensemble.

Selon le travail que vous effectuez, il existe différents niveaux de stress supplémentaires. Si vous êtes un travailleur de la santé de première ligne, vous devez faire face à de nombreux changements en ce moment, à beaucoup d’incertitude. Nous vivons une crise en ce moment, évidemment, mais le pire reste à venir et je pense que cela fait naître beaucoup de ces sentiments d’anxiété. La situation est alarmante, on lit ce qui se passe en Italie, donc on sait que quelque chose de grave va se produire.

Quel est votre propre niveau de stress en ce moment, Dr Turecki?

Mon niveau de stress est intense. Je peux dire qu’il est plus élevé que d’habitude, comme tout le monde, mais il demeure gérable.

Quel est l’impact sur votre routine quotidienne?

Nous avons dû prendre le relais de collègues qui sont en quarantaine – par exemple, je suis de garde ce soir. J’ai également de nombreuses responsabilités administratives pour les services cliniques; de plus, la présente situation nous a poussés à procéder à nombre de réorganisations pour adapter nos pratiques aux besoins actuels, afin d’accroître l’éloignement social et la protection contre le virus.

Comment les superviseurs ou les chefs de service doivent-ils s’adresser à leur personnel, aux résidents et aux étudiants pour les aider à réduire le stress?

Il est important pour les personnes qui sont des supérieurs hiérarchiques de parler régulièrement à leur personnel, de veiller à ce qu’il dispose d’informations appropriées et de s’assurer qu’il va bien. Je pense qu’une grande partie de l’anxiété vient de la désinformation et d’informations contradictoires. Il est donc important de fournir les bonnes informations, de manière claire et régulière. Le ministère de la Santé diffuse des communiqués et c’est l’information que les gens devraient consulter.

Est-il risqué de rendre les gens plus anxieux en les submergeant d’informations?

C’est vrai qu’il y a beaucoup de courriels, d’où l’importance pour les personnes occupant des postes de direction de parler aux gens qui relèvent d’elles, par Zoom ou par téléphone, et de veiller à résumer l’information et à la rendre accessible. Les gens peuvent ensuite aller la valider ou trouver leurs propres sources. C’est une façon de diminuer l’anxiété.

Comment parler de la pandémie à ses enfants?

Il est important que les parents informent les enfants de ce qui se passe, d’une manière qu’ils comprendront. L’information doit être précise, mais proposée dans un langage que les enfants peuvent traiter. Il faut aussi leur faire comprendre qu’ils sont protégés, qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter et que les choses vont revenir à la normale.

Que doivent faire les personnes qui souffrent déjà de dépression ou d’anxiété?

Les personnes qui en souffrent ont du mal à maîtriser leurs réactions émotionnelles dans ce genre de situation et les choses ont donc tendance à s’amplifier. C’est pourquoi je pense qu’il est important que les services restent accessibles et que les gens cherchent de l’aide quand c’est nécessaire.

Devrions-nous nous inquiéter des effets d’un isolement social prolongé?

L’isolement social n’est probablement pas la meilleure expression à utiliser. Nous devons désigner cela différemment. Quand vous êtes la seule personne à être isolée, c’est une chose. Mais lorsque tout le monde se trouve dans la même situation, on se sent moins mal. Par ailleurs, bien que les gens soient isolés de tout contact physique et que leurs routines aient changé, ils sont toujours en contact par les réseaux sociaux, le téléphone, toutes sortes de moyens. Et c’est temporaire. Ce n’est pas la même chose que d’être isolé quand vous n’avez pas de réseau social sur lequel compter et que vous ne pouvez pas partager des choses – c’est une chose très différente. Je serais prudent quant aux éventuels effets à long terme.

Avez-vous quelques derniers judicieux conseils?

Nous devrions nous rappeler que la situation va passer. Elle durera encore quelques semaines ou quelques mois, mais la vie reprendra un cours normal.

 

 

Le 27 mars 2020