Photo: Hôpital de Montréal pour Enfants
Photo: Hôpital de Montréal pour Enfants

Originaire de Winnipeg, au Manitoba, le Pr Robert Platt, des départements de pédiatrie et d’épidémiologie, biostatistique et santé au travail de la Faculté de médecine de l’Université McGill, et titulaire inaugural de la Chaire Albert Boehringer (1er) en pharmacoépidémiologie, est depuis longtemps fasciné par les chiffres.

Cette fascination l’a mené à McGill, où il a obtenu un baccalauréat en mathématiques, en 1990. Il est ensuite rentré chez lui, au Manitoba, où il a décroché une maîtrise en statistique en 1993, avant de s’installer à Seattle, où il a obtenu une seconde maîtrise et un doctorat en biostatistique à la University of Washington, en 1995 et 1996, respectivement. Hésitant quant à son plan de carrière, il envisageait des options dans l’industrie pharmaceutique et le monde universitaire aux États-Unis lorsqu’une occasion s’est présentée à McGill. L’attrait d’un retour au Canada l’a convaincu.

Trouver sa place en suivant son cœur

Nommé au Département de pédiatrie de McGill, le Pr Platt a obtenu une double affectation au Département d’épidémiologie, biostatistique et santé au travail, ce qui lui a permis de mener des recherches statistiques tout en travaillant en santé infantile, aux côtés de pédiatres. « À l’époque, j’ai choisi ce poste parce qu’il m’offrait beaucoup de flexibilité, se rappelle-t-il. Je me disais que si ça ne me plaisait pas, je pouvais toujours opter pour l’industrie pharmaceutique, ou retourner à un rôle universitaire plus traditionnel. Ça me laissait beaucoup d’options. » Peu après son arrivée, il a commencé à travailler avec des spécialistes comme le Dr Michael Kramer, l’un de ses collaborateurs réguliers, dans des études liées à la grossesse. Après quelques années, il a réalisé qu’il ne quitterait jamais.

« Je crois que le milieu de l’épidémiologie et de la biostatistique à McGill, très dynamique, offre beaucoup d’interaction entre des statisticiens d’orientation très théorique, des chercheurs très axés sur le côté clinique, et d’autres points de vue intermédiaires, fait remarquer le Dr Platt. J’aime beaucoup me situer quelque part entre les deux : lorsque je participe à une étude pharmacoépidémiologique, j’apprends beaucoup sur le sujet à l’étude et je peux m’orienter davantage du côté clinique, ou du côté méthodologique. Il y a beaucoup de marge de manœuvre personnelle, et beaucoup de gens très intelligents avec qui travailler. »

Contrôler l’innocuité des médicaments sur le marché

La pharmacoépidémiologie, soit l’étude des effets bénéfiques et néfastes des médicaments dans leur usage réel, est un domaine qui touche directement la population. Avant d’être vendus sur le marché et prescrits par des médecins, les médicaments font l’objet d’essais cliniques randomisés et passent par un processus d’approbation mené par Santé Canada ou, aux États-Unis, par la Food and Drug Administration. « En pharmacoépidémiologie, notre travail consiste à étudier comment les médicaments sont utilisés concrètement, dans la vraie vie, puis à voir s’il y a des effets secondaires, des événements indésirables ou des bienfaits inattendus qui sont liés aux médicaments », explique le Pr Platt.

Pour illustrer l’impact de telles études, il suffit de citer le cas du Vioxx : les essais randomisés n’avaient rien révélé d’anormal, mais après la mise en marché, on a observé une augmentation du risque de maladie cardiovasculaire qui a forcé le retrait du médicament. « C’est notre rôle de déceler les risques accrus d’événements indésirables ou d’effets secondaires graves qui peuvent se produire après la mise en marché d’un médicament, poursuit le Pr Platt. Si les essais cliniques randomisés n’ont pas de très grandes cohortes – quelques milliers ou dizaines de milliers de personnes –, et si l’événement indésirable est rare, il risque de ne pas survenir dans un échantillon de cette taille. Ce n’est que quand des millions de personnes commencent à prendre le médicament qu’on peut déceler des liens avec les effets secondaires rares. »

Un service à la nation

Le Pr Platt souligne que McGill a une longue tradition de travaux remarquables en pharmacoépidémiologie, menés par des spécialistes comme le Pr Samy Suissa, qui pilotent le programme depuis longtemps. Avec plusieurs autres collègues, les Prs Platt et Suissa – qui est chercheur principal –travaillent dans le cadre du Réseau canadien pour les études observationnelles sur les effets des médicaments (RCEOEM), dont le centre de coordination est à McGill. Ensemble, les membres du RCEOEM cherchent généralement à élucider les questions soulevées lorsque Santé Canada soupçonne un lien entre un médicament et un résultat particulier pour la santé. Le groupe a mené de nombreuses études jusqu’à maintenant, dont une sur l’effet des statines sur les reins et le diabète. Ils ont prouvé que lorsqu’ils sont pris à doses élevées, ces médicaments peuvent avoir des effets secondaires indiquant qu’il serait utile de mieux ajuster l’ordonnance.

« D’un autre côté, certaines de nos études ont également prouvé l’innocuité des médicaments, mentionne le Pr Platt. C’est une chose de se demander si le médicament cause un effet secondaire particulier, c’est autre chose de prouver que non. Le plus récent exemple est l’étude sur les incrétines, une relativement nouvelle classe de médicaments de pointe contre le diabète de type 2. On soupçonnait qu’elles pourraient avoir des effets indésirables liés aux maladies cardiaques et au pancréas, mais une série d’études ont prouvé à divers degrés que ces médicaments sont sécuritaires, qu’ils n’augmentent pas le risque de maladies cardiovasculaires, de cancer du pancréas ou de pancréatite. Nous pouvons donc prouver que la prescription des incrétines est sécuritaire, et que leurs bienfaits l’emportent sur leurs effets indésirables. »

Un faible pour les mégadonnées

Le Pr Platt a été attiré par la pharmacoépidémiologie non pas en raison d’une étude, d’un médicament ou d’antécédents particuliers, mais plutôt à cause des méthodes de recherche. « Pendant longtemps, j’ai collaboré à ce type d’études en tant que biostatisticien, explique-t-il. Elles reposent sur de grands fichiers de données qui exigent beaucoup d’analyse statistique, et mon rôle était d’améliorer le processus de l’étude pour obtenir des résultats plus probants. En d’autres mots, peu importe le médicament à l’étude, il s’agit de trouver la meilleure façon de concevoir l’étude et d’analyser les résultats pour obtenir la meilleure réponse possible. »

En pharmacoépidémiologie, les mégadonnées présentent des combinaisons intéressantes de connaissances scientifiques; il est donc important de s’entourer de gens qui comprennent à la fois l’aspect scientifique et la pratique clinique autour des médicaments, mais également les énormes quantités de données ainsi que les questions statistiques et informatiques liées au traitement de ces fichiers. « C’est un domaine amusant, plein de défis », selon le Pr Platt.

Un avenir radieux

Le PPlatt est devenu le titulaire inaugural de la Chaire Albert Boehringer (1er) en pharmacoépidémiologie à McGill après que son directeur de département, le Dr Gilles Paradis, l’a encouragé à postuler, estimant qu’il serait un bon candidat pour le rôle. Il est emballé par toutes les possibilités et la vaste somme de talent en pharmacoépidémiologie à l’Université et dans ses hôpitaux de recherche affiliés. « McGill est un chef de file dans le domaine, et la Chaire me donne l’occasion de concentrer les forces en pharmacoépidémiologie sur le campus, en plus d’élargir mon programme de recherche sur le plan du travail méthodologique et du contenu, poursuit le Pr Platt. Le don généreux de Boehringer Ingelheim nous permet également de créer une option aux cycles supérieurs en pharmacoépidémiologie, pour former des étudiants et attirer de nouveaux professeurs qui seront recrutés grâce à la Chaire. »

Aux étudiants qui ne savent pas quelle voie choisir, tout comme lui, à l’époque, le Pr Platt fait valoir que la pharmacoépidémiologie offre tout un monde de possibilités. « C’est un domaine où la demande est très forte et où nous souhaitons augmenter le nombre de diplômés, conclut-il. Pour les personnes qui s’intéressent aux sciences de la santé, qui se débrouillent bien sur le plan quantitatif et qui sont à l’aise avec les statistiques, c’est une voie qui offre de bonnes perspectives d’avenir. »

Le 26 mai 2016