Les professeures Lara Khoury et Alana Klein, avec leur collaboratrice Marie-Eve Couture Ménard, DCL’14,  de l’Université de Sherbrooke, ont reçu des fonds de l’initiative MI4 Emergency COVID-19 Research Funding (ECRF) pour élaborer un projet intitulé « Le droit en période de pandémie : pouvoirs et responsabilité en situation d’urgence ». Elles ont accepté de nous en parler davantage.

Que vous chercherez à décortiquer dans vos travaux ?

D’une part, nous chercherons à savoir jusqu’où les gouvernements peuvent aller pour protéger la santé de la population face à la COVID-19. Autrement dit, quelles sont la nature, l’étendue et les limites des pouvoirs d’intervention des autorités pendant une urgence sanitaire, particulièrement dans un contexte d’évolution rapide et constante des connaissances scientifiques relatives à la crise ?

D’autre part, nous étudierons les moyens juridiques permettant d’engager la responsabilité de l’État pour sa gestion de la crise sanitaire. En effet, des citoyens ou des organisations pourraient intenter des poursuites contre les autorités, par exemple pour des préjudices subis ou des atteintes injustifiées à leurs droits. Or, l’État bénéficie-t-il d’une immunité, le protégeant contre d’éventuelles actions en justice ? Comment le droit réconcilie-t-il les devoirs de l’État envers le public en général et ceux qu’il pourrait avoir envers des personnes ou des groupes particulièrement à risque (ex. les personnes âgées)?

La question de la responsabilité étatique nous mènera également à analyser les mécanismes de reddition de comptes qui s’imposent aux gouvernements en contexte d’urgence.

Selon vous, quels sont les enjeux les plus pressants dans votre recherche?

Il est primordial que les gouvernements connaissent la pleine portée de leurs pouvoirs et que les citoyens aient les outils pour évaluer l’utilisation de ces pouvoirs et la responsabilité potentielle des décideurs publics.

Une meilleure connaissance des pouvoirs des acteurs publics permet d’éviter, par exemple, qu’ils soient sous-exploités ou surexploités au détriment de la santé de la population, ou, à l’inverse, qu’ils soient exercés d’une manière qui brime injustement les droits et libertés individuels. Par ailleurs, devant la multitude de mesures prises pour vaincre la COVID-19 et l’ampleur des impacts socio-économiques qui en découlent, il ne serait pas étonnant que des citoyens intentent des poursuites contre l’État.

Un enjeu pressant est celui du maintien d’un climat de confiance entre les citoyens et l’État, alors que les mesures de protection de la santé publique sont de plus en plus restrictives. Cela exige une meilleure connaissance de l’étendue des pouvoirs coercitifs octroyés à l’État, ainsi que la transparence et la responsabilité du gouvernement pour ses décisions, sans quoi l’adhésion des citoyens est menacée.

Un autre enjeu important est celui du partage du pouvoir décisionnel entre différentes autorités de santé publique. Afin d’assurer la légitimité des mesures ordonnées, il importe de comprendre quelle distribution des pouvoirs décisionnels prévaut selon la loi. En plus de ce regard porté vers l’amont, les gouvernements auront à gérer un « après crise » douloureux pour tous, où il faudra non seulement parler de responsabilité, mais aussi de soutien sociétal pour les nombreux citoyens qui sont victimes de la crise sanitaire actuelle.

Notre système juridique dispose-t-il présentement des outils adéquats pour répondre à une crise telle que la COVID-19 ?

À première vue, les lois de santé publique accordent une latitude immense aux gouvernements pour prendre les mesures nécessaires à la protection de la santé de la population. Aussi, ces derniers peuvent imposer des mesures très coercitives, même sans délai ni formalité. Il faudra voir s’il y a un écart entre cette latitude prévue dans les textes de loi et son exercice effectif en fonction des ressources humaines, financières et matérielles disponibles.

Comment veiller contre les gestes ou mesures démesurés de la part du gouvernement ?

Même si les gouvernements bénéficient d’une immense discrétion dans la détermination des mesures à appliquer pour protéger la santé de la population, des balises sont prévues dans la loi. En outre, les élus continuent de pouvoir exercer une veille contre le risque de mesures exagérées. Au Québec, par exemple, l’Assemblée nationale pourrait désavouer la déclaration d’état d’urgence sanitaire faite par le gouvernement. Par contre, une étude plus approfondie des mécanismes de reddition de compte et des exigences de transparence imposées aux gouvernements est justement nécessaire pour répondre à cette question.

Dans le cadre du droit de la santé, quelles seront les implications à long terme les plus probables de la pandémie ?

La pandémie actuelle aura fort probablement un impact sur les mesures juridiques concernant la préparation à une pandémie, par exemple en matière d’approvisionnement en équipement médical, d’aménagement des installations de santé et de délivrance des soins de santé.

Il est à prévoir qu’elle aura également un impact sur les mécanismes de concertation entre les paliers de gouvernement en temps de crise, par exemple pour s’assurer que le niveau de prise de décision soit optimal. On peut penser à l’intervention conjointe de la Ville de Montréal (palier municipal) et de la Direction de santé publique de Montréal (palier provincial) sur les lieux de l’aéroport Montréal-Trudeau, les deux dénonçant les mesures insuffisantes du gouvernement fédéral aux frontières. La façon dont nous répondons à la crise aura également des implications à long terme pour l’élaboration de normes justifiant les mesures coercitives imposées par l’État dans le contexte de crises sanitaire, que ce soit par le biais du droit pénal et règlementaire, ou en vertu des pouvoirs d’urgence. Enfin, elle révélera certains des effets complexes de la prise de décision gouvernementale sur la santé des citoyens.

Par Sarah Huzarski
Photos: Lysanne Larose, et courtoisie de M.-E. Couture-Ménard.

Le 1 mai 2020