Par Christina Kozakiewicz, École des sciences infirmières Ingram

Notre corps professoral est l’âme de l’École des sciences infirmières Ingram (ÉSII). Dans ce quatrième portrait de notre série Pleins feux sur le corps professoral en sciences infirmières, dans le contexte de la #JournéeMondialeContreLeCancer, Christine Maheu partage sa passion, entre autres, pour les soins aux survivants du cancer. Professeure agrégée à l’Université McGill et chercheuse-boursière Junior 2 du Fonds de recherche du Québec – Santé, Christine Maheu est scientifique affiliée à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill, au Princess Margaret Cancer Centre du University Health Network, et à l’Université de Toronto. À McGill, elle enseigne les méthodes de recherche, dirige des étudiants aux cycles supérieurs (maîtrise, doctorat et postdoctorat), fait du mentorat en recherche auprès d’étudiants et d’infirmières en exercice, et mène ses propres recherches en français et en anglais. La Pre Maheu a intégré le corps professoral de l’ÉSII en 2012.

Pourquoi avez-vous choisi de devenir infirmière?

Je savais que je voulais exercer une profession très estimée dans le domaine de la santé, et la profession infirmière s’est imposée naturellement. Après quelques années de pratique, j’ai toutefois compris qu’il me fallait plus d’espace pour exercer ma créativité afin d’influencer et d’améliorer les soins aux patients. Ce besoin et cet intérêt m’ont poussée vers les études au premier cycle, puis aux cycles supérieurs. C’est durant ma maîtrise en sciences infirmières que je suis tombée en amour avec la recherche et toutes les possibilités qu’elle nous offre, en nous permettant d’évoluer en apprenant et d’appliquer notre esprit créatif au travail. C’est aussi à cette époque que j’ai rédigé ma première demande de subvention de recherche en oncologie et réalisé que c’était le champ de recherche dans lequel je voulais me spécialiser. Avec tous ces intérêts en tête, j’ai postulé au doctorat en sciences infirmières à l’Université de la Colombie-Britannique. Je me sens privilégiée, dans ma carrière universitaire, de pouvoir « vivre » sur un campus universitaire et continuer d’apprendre ma vie durant.

Quel est votre domaine d’expertise, et pourquoi l’avez-vous choisi?

Mes recherches portent sur des programmes qui aident les survivants du cancer à composer avec l’incertitude et la peur, et les soutiennent dans le processus de retour au travail après un cancer. J’ai commencé à m’intéresser à ce sujet durant mon doctorat, où j’ai créé un programme de thérapie de soutien pour aider les femmes qui présentent un risque élevé de cancer du sein ou de l’ovaire à composer avec l’incertitude qui en découle.

Puis, durant mon postdoctorat à Toronto, j’ai découvert que la peur de la récidive est une source majeure d’anxiété pour beaucoup de survivants du cancer, et qu’il fallait faire quelque chose pour les aider. Je croyais que ces personnes pouvaient bénéficier d’une thérapie de soutien pour les aider à gérer la peur et l’incertitude de la récidive. J’ai fait équipe avec la Pre Sophie Lebel, chercheuse en psychologie à l’Université d’Ottawa, pour développer une nouvelle thérapie de groupe visant à aider les femmes atteintes d’un cancer du sein ou d’un cancer gynécologique à s’ajuster psychologiquement à la peur de la récidive. La thérapie, qui se déroule sur six séances, permet aux femmes d’explorer des stratégies d’ajustement, comme vivre avec l’incertitude, identifier les facteurs qui déclenchent la peur chez elles et connaître les symptômes d’une récidive. Maintenant, avec un financement de la Société canadienne du cancer, la Pre Lebel et moi-même menons un essai clinique plus vaste, avec 144 survivantes du cancer dans quatre hôpitaux. Si les résultats sont concluants, la thérapie pourrait être intégrée aux soins standards recommandés pour les survivants.

Avec le parrainage du Partenariat canadien contre le cancer (PCCC), de 2014 à 2016, j’ai codirigé la création d’un site Web bilingue canadien, Cancer et travail, qui répond aux besoins des survivants du cancer, des professionnels de la santé et des employeurs dans le processus de retour et de maintien au travail après un cancer. Ce projet est unique, car le conseil consultatif est composé d’experts des soins du cancer et du retour au travail, comme des assureurs, des juristes et des spécialistes du droit du travail, des droits de la personne et des droits des aidants de patients atteints de cancer. En association avec IPSOS et avec le financement du PCCC, j’ai aussi dirigé une équipe pancanadienne chargée de créer une enquête d’évaluation des besoins en matière de soins de transition chez les patients atteints de cancer, de la fin du traitement à la troisième année suivant le diagnostic. Enfin, récemment, l’Association canadienne des infirmières en oncologie (ACIO) m’a demandé de former des équipes et de soutenir la création de modules cliniques sur la peur de la récidive et le retour au travail après un cancer. Ces modules seront offerts en ligne aux quelque 1000 membres de l’ACIO à compter de mars 2019.

Je crois qu’il faut poursuivre les recherches pour mettre au point des programmes de soutien fondés sur les données scientifiques pour améliorer la qualité de vie des survivants du cancer. Le stress psychologique associé au cancer est un problème très courant qui fait encore l’objet de peu d’interventions efficaces. La recherche ne doit pas seulement viser à traiter le cancer, mais aussi à mieux vivre l’expérience du cancer.

Qu’est-ce qui vous a menée vers cette spécialisation?

Mon parcours professionnel est jalonné d’heureux hasards. C’est le cas du site Cancer et travail : on m’a approchée pour participer à ce projet de création d’un outil sur le cancer et le travail parce que j’avais mis au point un autre outil de mesure de la détresse liée au cancer. J’avais peu d’expérience de la question du cancer et du travail, mais j’ai vu cela comme un beau défi, une occasion de me familiariser avec un nouveau volet de la survie au cancer. Depuis, je travaille sans arrêt à des projets visant à aider les patients atteints de cancer et les survivants dans leur cheminement pour retourner au travail ou rester au travail pendant les traitements. Il reste énormément de recherche à faire pour améliorer la vie professionnelle des survivants du cancer, mais on y travaille!

Comment se dessine l’avenir dans votre programme de recherche?

Nous attendons les résultats finaux des essais cliniques sur la gestion de la peur de la récidive, qui valideront les interventions et les outils que nous avons créés. Par la suite, nous comptons mettre à l’essai des interventions additionnelles de gestion de la peur sur une plateforme de cybersanté en ligne pour les survivants du cancer qui viennent de terminer leurs traitements. Une autre intervention visera à offrir un soutien à la gestion de la peur de la récidive aux aidants des patients atteints de cancer et des survivants du cancer. Nous commencerons à former des professionnels de la santé à ce sujet en septembre 2019.

Je compte aussi ajouter au site Cancer et travail une nouvelle section sur le rétablissement, pour parler d’outils d’autogestion des soins et de formation, en renforçant le pouvoir d’agir des personnes ayant vécu un cancer pour faciliter leur processus individuel de rétablissement et de retour au travail.

La mise au point d’un outil en ligne d’intervention pour guider les survivants, les professionnels de la santé et les employeurs à collaborer dans le processus de retour au travail après un cancer fait aussi partie de mes plans.

 

Le 13 février 2019