L’hypothyroïdie, ou hypoactivité de la glande thyroïde, est une affection courante qui touche quelque 2 % de la population canadienne. Dans la plupart des cas, c’est la glande elle-même qui est en cause. Plus rarement, toutefois, le problème est lié à la production ou à l’action des hormones cérébrales ou hypophysaires qui contrôlent la thyroïde. La cause de ce dernier type d’hypothyroïdie, dite centrale, est longtemps demeurée une énigme.
Dans une étude publiée dans la revue Endocrinology plus tôt cette année, des chercheurs de l’Université McGill ont commencé à percer les mystères de ce qui serait la cause génétique la plus courante de l’hypothyroïdie centrale en décrivant, pour la première fois, le mécanisme sous-jacent de cette affection.
C’est durant un stage postdoctoral à l’Université Northwestern que Daniel Bernard, aujourd’hui professeur au Département de pharmacologie et thérapeutique de la Faculté de médecine de l’Université McGill et auteur principal de l’étude, s’est intéressé pour la première fois au gène IGSF1.
« À l’époque, nous croyions qu’IGSF1 était peut-être un récepteur d’une hormone jouant un rôle dans la reproduction, mais nos recherches ont infirmé cette théorie », explique le Pr Bernard. En 2001, il a mis sur pied son propre laboratoire à New York, amenant avec lui le projet IGSF1. « Après cette découverte, nous avons poursuivi nos recherches pendant un moment, sans parvenir à élucider la véritable fonction du gène. »
Arrivé à McGill en 2006, le Pr Bernard a recruté la doctorante Beata Bak en 2007 pour travailler au projet IGSF1 dans son laboratoire. Après avoir publié un article en 2008, elle a continué ses recherches pour découvrir la fonction d’IGSF1, en vain. À l’été 2011, le Pr Bernard et son étudiante ont commencé à envisager un éventuel changement de projet de doctorat après quatre ans passés à étudier cette protéine, une perspective démoralisante pour les deux chercheurs.
Peu de temps après cette conversation, Beata Bak est partie une semaine en vacances avec son mari. C’est en l’espace de ces quelques jours que le vent a tourné : le Pr Bernard a reçu deux courriels de cliniciens-chercheurs des Pays-Bas et du Royaume-Uni qui avaient découvert des mutations dans le gène IGSF1 dans deux familles atteintes d’hypothyroïdie centrale non expliquée. « Ils m’ont contacté parce que notre laboratoire était le seul qui étudiait IGSF1 à l’époque », indique le Pr Bernard. « À son retour de vacances, mon étudiante s’est retrouvée avec un nouveau projet passionnant et a pu terminer son doctorat en un an et demi. »
Ayant déjà établi qu’IGSF1 était produite dans le cerveau et l’hypophyse, et non dans la glande thyroïde, les chercheurs savaient qu’une anomalie de la fonction d’IGSF1 au niveau cérébral ou hypophysaire, et non thyroïdien, était à l’origine de l’hypothyroïdie chez ces patients.
Pour résoudre le casse-tête, Marc-Olivier Turgeon, étudiant à la maîtrise dans le laboratoire Bernard, a développé une nouvelle lignée de souris porteuses d’une mutation du gène Igsf1 semblable à celle observée chez les humains ayant une mutation IGSF1. En observant ces souris, l’équipe a pu déterminer que le problème principal émanait de l’hypophyse.
« Le cerveau sécrète la thyréolibérine, ou TRH », explique le Pr Bernard. « Par l’entremise du récepteur TRH dans l’hypophyse, la TRH stimule la sécrétion de la thyréostimuline, ou TSH. La TSH stimule alors la production d’hormones thyroïdiennes dans la glande thyroïde. Chez nos souris chez lesquelles Igsf1 a été inactivé, la quantité de récepteurs TRH est réduite dans l’hypophyse, ce qui rend celle-ci moins sensible à la TRH provenant du cerveau. »
Prochaines étapes
Les chercheurs savent désormais que les mutations du gène IGSF1 constituent la cause génétique la plus courante de l’hypothyroïdie centrale, et ont quelque peu éclairé les mécanismes sous-jacents de la maladie. Mais de nombreuses questions demeurent.
« L’hétérogénéité de l’atteinte est l’un des aspects qui nous étonnent encore », fait remarquer le Pr Bernard. « Les membres d’une même famille porteurs de la même mutation peuvent présenter une hypothyroïdie à divers degrés – légère chez certains, extrême chez d’autres. Même chez nos souris génétiquement identiques, nous observons cette hétérogénéité. Nous n’avons toujours pas d’explication, mais nous y travaillons. »
Les chercheurs tenteront ensuite de déterminer les rôles spécifiques d’IGSF1 dans différents types de cellules et de tissus, et à élucider le fonctionnement d’IGSF1 à l’échelle cellulaire. À ce stade-ci, explique le Pr Bernard, « nous savons seulement ce qui se passe lorsque IGSF1 ne fonctionne pas, mais cela ne nous renseigne pas sur le fonctionnement de la protéine dans des conditions normales. C’est la question qui nous hante depuis 17 ou 18 ans. »
L’article « TRH Action Is Impaired in Pituitaries of Male IGSF1-Deficient Mice » a été publié le 13 janvier 2017 dans l’édition en ligne de la revue Endocrinology et en couverture du numéro d’avril 2017, édition papier.
Le 19 mai 2017