Par Matthew Hacker Teper et Claire Godard-Sebillotte. Note : Cette lettre ouverte a été publiée en premier lieu dans Le Devoir du 14 novembre 2018.

Le 22 octobre dernier, le Département de médecine de famille de l’Université McGill a accueilli une table ronde sur « l’état actuel des soins de première ligne au Québec ». Trois anciens ministres québécois, M. Claude Castonguay, le Dr Jean Rochon et M. Michel Clair, ainsi que la professeure de science politique et de politiques de la santé Antonia Maioni ont partagé leurs recommandations sur les mesures à prendre pour améliorer le système de santé québécois — en particulier les soins de première ligne.

Ces trois anciens ministres sont les auteurs de rapports de commissions ayant conduit à d’importantes réformes du système de santé québécois, la commission Castonguay (1971), la commission Rochon (1985) et la commission Clair (2000). Malgré des différences marquées dans leurs expériences professionnelles, affiliations politiques et contextes économiques pendant leurs mandats, ils étaient d’accord sur les besoins actuels de notre système de soins — décentralisation de la prise de décision permettant au modèle de soins de s’adapter régionalement aux besoins spécifiques de la population, transparence des coûts et des résultats, renforcement de la multidisciplinarité et changement de ton permettant le dialogue entre les intervenants.

Le système de santé québécois a besoin d’une nouvelle vision : un modèle unique pour tous n’est pas une approche appropriée pour l’organisation des soins de santé. Le pouvoir décisionnel doit être transféré graduellement vers les autorités régionales de santé, et ce, sans nouveau changement radical de la structure du système de santé. Ces autorités locales, comme les Centres intégrés (universitaires) de santé et de services sociaux (CISSS et CIUSSS) et les départements régionaux de médecine générale (DRMG), doivent avoir l’autonomie nécessaire pour concevoir, simplifier et dispenser les soins de santé dont leur population a besoin. En effet, les besoins de Montréal sont différents de ceux des îles de la Madeleine. Organiser les services de santé autour de territoires géographiques et les adapter aux besoins spécifiques de la population locale permettra d’offrir aux personnes les soins dont elles ont besoin.

Les coûts des services de santé doivent être mesurés et rendus publics. Le financement alloué doit correspondre aux coûts réels des services. Pour la première ligne, les fonds destinés à l’administration et à l’infrastructure doivent être séparés de ceux affectés à la rémunération des médecins. Des modèles de rémunération des médecins autres que le paiement à l’acte doivent être mis en place, par exemple la rémunération mixte. Cette nouvelle transparence des coûts doit s’appuyer sur la transparence des résultats. Des indicateurs de performance, élaborés et suivis par un commissaire à la santé, une autorité indépendante, sont nécessaires pour que le système soit tenu responsable de l’atteinte d’objectifs de santé centrés sur la population et le patient, objectifs qui ont été trop longtemps négligés.

Première ligne forte

Le système de santé doit reposer sur une première ligne forte, notamment sur les groupes de médecine de famille (GMF) et les centres locaux de services communautaires (CLSC), soutenus au besoin par les services spécialisés. Et ce, d’autant plus que la population vieillit et que le nombre de personnes ayant une maladie chronique augmente. Effectivement, ces personnes ont besoin d’un réseau de soutien qui s’occupe de l’ensemble de leurs besoins sur le long terme. Une approche multidisciplinaire des soins de première ligne est essentielle. Offrir des soins de santé de qualité ne peut se faire seul. Dans un monde où la technologie et les connaissances sont de plus en plus raffinées et complexes, les professionnels et les pratiques fonctionnant jusqu’ici en vase clos doivent apprendre à communiquer et à collaborer. Nous devons reconfigurer le champ d’exercice des différents professionnels de la santé. Par exemple, les infirmières praticiennes doivent être autorisées à prendre une plus grande responsabilité dans le soin des patients.

Enfin, ces changements doivent s’accompagner d’un changement de ton. Au lieu de s’affronter, les décideurs, les praticiens et le public doivent travailler ensemble pour améliorer le système de santé pour tous. Cette concertation pourrait prendre la forme d’une conférence réunissant les autorités de santé et les acteurs de tous les groupes concernés, et non pas, seulement les fédérations de médecins, mais aussi les groupes de cliniciens et le public.

Le système de soins de santé du Québec peut et doit être réparé, ont conclu les panélistes. Nous, qui, d’horizons et de périodes variés, partageons la même volonté de services de santé de première ligne accessibles, efficaces, performants pour tous et à la hauteur des aspirations des citoyens autant que des professionnels, nous espérons qu’en partageant ces réflexions, nous pourrons stimuler une action réfléchie dans la poursuite d’un meilleur système de santé pour le Québec.

Coauteurs honoraires :

Claude Castonguay, ancien ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec ; Jean Rochon, ancien ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec ; Michel Clair, ancien ministre du Québec ; Antonia Maioni, professeure au Département de science politique de l’Université McGill ; Isabelle Vedel, professeure adjointe au Département de médecine de famille de l’Université McGill, codirectrice de l’Observatoire de McGill sur les réformes des services de santé et sociaux (OMRSSS) ; Howard Bergman, directeur du Département de médecine de famille de l’Université McGill ; Amélie Quesnel-Vallée, directrice de l’OMRSSS

 

Couverture sur le sujet

The Gazette | Opinion: A prescription for Quebec’s health-care system

Le Devoir | L’avenir des soins de santé de première ligne au Québec