Des chercheurs de l’IR-CUSM et du Centre de génomique McGill examinent les différences entre des patients hospitalisés aux soins intensifs qui se sont rétablis ou qui sont décédés de la COVID-19 et identifient des médicaments candidats pour traiter les cas graves.

Malgré la disponibilité de vaccins très efficaces, le SRAS-CoV-2 entraîne toujours de graves complications médicales. L’absence d’un traitement médicamenteux efficace pour les patients hospitalisés atteints de COVID-19 sévère a contribué au nombre élevé de décès dans le monde, atteignant plus de six millions depuis le début de la pandémie et plus de 50 000 pour le seul mois de mai 2022. Pour combler cette lacune thérapeutique, une équipe de chercheurs de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM), du Centre canadien de génomique computationnelle (C3G) et du Centre de génomique McGill a étudié les réponses biologiques de l’hôte chez des patients hospitalisés pour une forme sévère de COVID-19, en cherchant les différences entre les patients qui se sont rétablis et ceux qui ont succombé à la maladie. Ils ont constaté que certaines voies cellulaires étaient suractivées chez les patients décédés au moment de leur admission aux soins intensifs. Les chercheurs ont ensuite identifié trois médicaments existants ciblant ces voies. Leur étude, publiée dans Science Advances, fournit les données précliniques nécessaires pour soutenir l’essai de ces médicaments — le tacrolimus, la zotatifine et le nintedanib — dans des études cliniques contrôlées.

« Nous avons identifié une suractivation des voies du métabolisme de l’ARN messager et de l’épissage de l’ARN, ainsi que des voies de signalisation de l’interféron chez les patients qui ne survivraient pas, explique Vinicius Fava, Ph. D., associé de recherche à l’IR-CUSM et copremier auteur de l’étude. L’identification, par différents tests, de ces voies activées de manière différentielle dans les cellules des patients ayant survécu ou succombé à la COVID-19, suggère qu’elles sont des déterminants du pronostic et en fait des cibles prometteuses pour une intervention pharmacologique au tout début de l’hospitalisation des patients gravement malades. »

Vinicius M. Fava, Mathieu Bourgey, Erwin Schurr, David Langlais.

Comprendre la physiologie des cellules immunitaires dans les cas graves de COVID-19

Les chercheurs ont effectué une série d’analyses cellulaires et génomiques sur sept patients hospitalisés aux soins intensifs du Centre universitaire de santé McGill, à Montréal (Canada), au début de la pandémie, entre mars et avril 2020. Ces patients, dont trois sont décédés et quatre se sont rétablis, présentaient le même niveau de gravité de la maladie sur l’échelle ordinale de l’OMS au moment de leur admission aux soins intensifs.

L’équipe de chercheurs a caractérisé le transcriptome (l’expression de la molécule d’ARN messager) et le paysage épigénétique (les altérations dans la structure de l’ADN qui affectent la capacité des cellules à réguler l’expression des gènes) des cellules immunitaires des patients à différents moments : à leur admission, ainsi qu’au cinquième et au quinzième jour après l’admission, afin de suivre l’évolution de la maladie. Ils ont comparé les données entre les patients décédés, ceux qui ont survécu et six individus en bonne santé.

Plus précisément, l’équipe a utilisé le séquençage de l’ARN unicellulaire pour comprendre la composition cellulaire et l’état physiologique des cellules mononucléées du sang périphérique (PBMC) après une hospitalisation. Les PBMC sont des éléments essentiels du système immunitaire qui interviennent dans la réponse aux agents pathogènes qui pénètrent dans le corps humain. Les analyses ont porté sur trois grandes populations cellulaires de PBMC : les lymphocytes B, les cellules myéloïdes et les lymphocytes T. L’équipe a constaté des différences significatives dans les proportions de lymphocytes T et de cellules myéloïdes entre les patients présentant des symptômes critiques et ceux présentant des symptômes modérés. Les patients gravement malades au jour 5 et au jour 15 présentaient une réduction significative des lymphocytes T (P = 0,006) et une augmentation significative des cellules myéloïdes (P = 0,04), ce qui suggère que la gravité de la COVID-19 a un impact sur les proportions de PBMC.

« Nos résultats montrent une forte corrélation entre la composition des PBMC et la progression de la maladie. Les patients gravement malades ayant un mauvais pronostic ont montré une réduction significative des cellules T et une augmentation significative des monocytes, ce qui correspond à d’autres résultats précédemment rapportés chez les patients souffrant de COVID-19 sévère », écrivent les auteurs de l’étude.

En revanche, au moment de l’admission à l’hôpital, les chercheurs ont détecté des modifications significatives de l’expression des gènes dans des voies moléculaires clés qui sont associées à des changements épigénétiques dans les monocytes, un type de globules blancs qui se transforment en macrophages, c’est-à-dire en cellules capables de se rendre dans une zone où une infection est présente pour tuer l’agent pathogène et en contrôler la prolifération.

« Cette étude confirme le rôle central des monocytes dans la gravité et le pronostic de la COVID-19, ainsi que l’implication des voies de l’interféron dans le développement de la COVID-19 », déclare David Langlais, Ph. D., professeur adjoint à l’École des sciences biomédicales de McGill, basé au Centre de génomique de McGill et co-auteur principal de l’étude. « Cela suggère également que les variations de l’activité transcriptionnelle, et les changements épigénomiques qui les accompagnent se produisent principalement à un stade précoce de la maladie, dictant la façon dont elle évoluera en termes de gravité et d’issue finale. »

Repositionner le bon médicament pour la bonne cible

Les chercheurs ont utilisé diverses approches pour identifier des médicaments susceptibles de supprimer les voies cellulaires suractivées dans les monocytes des patients qui ont succombé à la COVID-19.

L’approche initiale a conduit à plus de 1 500 médicaments candidats, une somme qui a ensuite été réduite à 53 médicaments/composés candidats précédemment utilisés pour traiter des cancers et/ou des maladies inflammatoires. Grâce aux bases de données sur les interactions médicament-protéine et protéine-protéine, l’équipe a finalement pu identifier trois médicaments candidats prometteurs (le tacrolimus, la zotatifine et le nintedanib) qui agissent sur les voies ciblées.

« Nos travaux démontrent la puissance de la combinaison des analyses transcriptomiques et épigénomiques pour identifier les facteurs biologiques qui influencent l’évolution de l’hospitalisation liée à la COVID-19 et la survie des patients atteints d’une forme grave de la maladie », déclare Erwin Schurr, Ph. D., scientifique au sein du programme en Maladies infectieuses et immunité en santé mondiale à l’IR-CUSM, professeur au Département de médecine de McGill et coauteur principal de l’étude. « Nous attendons avec impatience les essais cliniques qui, nous l’espérons, confirmeront l’efficacité des trois médicaments pour réduire la mortalité des patients gravement atteints de COVID-19. »

À propos de l’étude

L’étude A systems biology approach identifies candidate drugs to reduce mortality in severely ill patients with COVID-19 a été réalisée par Vinicius M. Fava, Mathieu Bourgey, Pubudu M. Nawarathna, Marianna Orlova, Pauline Cassart, Donald C. Vinh, Matthew Pellan Cheng, Guillaume Bourque, Erwin Schurr et David Langlais.

Le financement de cette étude a été assuré par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et l’Initiative interdisciplinaire en infection et immunité (MI4) de McGill, grâce à la générosité de plusieurs donateurs au Fonds d’urgence COVID-19 de la Fondation du CUSM.

Les chercheurs sont reconnaissants envers les patients qui ont participé à l’étude.