Opinion

En tant que directrices et directeur des départements universitaires de médecine de famille au Québec,* responsables de la formation de plus de 400 médecins de famille chaque année, nous sommes des témoins privilégiés de l’engagement quotidien de ces professionnels de la santé.

Comme toute la population québécoise, les médecins de famille ont vécu la pandémie et affronté plusieurs défis professionnels et personnels pendant cette période. Ils se sont adaptés très rapidement pour vous servir tout en continuant à former les étudiants et les résidents en médecine de famille dans un contexte clinique extrêmement difficile. De plus, malgré une situation fragile sur le terrain, les quatre départements se sont engagés à augmenter le nombre de médecins en formation pour répondre aux besoins de la population québécoise.

Les facultés de médecine ont le mandat provincial d’attirer 55 % des étudiants du programme de médecine vers la spécialité de la médecine de famille. Or des enjeux persistent : chaque année, plusieurs dizaines de places en résidence en médecine de famille restent non pourvues au Québec, tandis que les places dans les autres spécialités le sont toutes. Malheureusement, le discours politique des dernières semaines nuit aux efforts pour attirer les étudiants en médecine vers la médecine de famille. Nous craignons que le manque de reconnaissance du travail des médecins de famille décourage encore plus les étudiants à choisir notre spécialité.

Nous reconnaissons qu’il y a des problèmes d’accès à un médecin de famille au Québec, mais cette situation ne peut être attribuée à une seule profession dans un système où tous les intervenants sont interdépendants.

Rappelons que le nombre de places dans les programmes de formation en médecine a été drastiquement réduit dans les années 1990, ce qui a contribué de façon importante à la pénurie de médecins de famille qui sévit aujourd’hui. Et depuis ces mêmes années, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) oblige les médecins de famille à effectuer des activités médicales particulières qui se réalisent surtout dans les hôpitaux (par exemple : urgences, CHSLD, hospitalisation, obstétrique), ce qui limite pour un grand nombre de médecins de famille le suivi de patients qu’ils peuvent effectuer au bureau.

Pendant la pandémie, le travail des médecins de famille a été remarqué. Ils ont répondu aux besoins de la population québécoise en travaillant à l’hospitalisation des patients, dans les CHSLD, en soins palliatifs, aux urgences, dans les cliniques COVID-19, dans les cliniques de vaccination, et nous remercions nos équipes de cet effort extraordinaire ! Malheureusement, le taux d’épuisement professionnel chez les médecins de famille a triplé depuis le début de la pandémie, selon une étude du Collège des médecins de famille du Canada.

Devant le discours ambiant qui laisse entendre que les médecins de famille n’en font pas encore assez, nous nous inquiétons sérieusement pour le moral de nos équipes, comme en témoigne une de nos collègues médecin de famille accoucheuse, à la suite des propos tenus sur le déficit de prise en charge par les médecins de famille à Montréal : « On est samedi matin, ma seule journée sans travail depuis je ne sais combien de temps, et j’ai déjà eu quatre contacts téléphoniques avec ma patiente enceinte sans-abri, qui vient de contracter la syphilis… et deux contacts téléphoniques avec ma patiente d’un âge avancé qui fait une cholestase de grossesse, qui est très anxieuse, et qui voudrait éviter de faire provoquer son travail… et un appel avec une travailleuse sociale qui s’inquiète qu’une autre de mes patientes vive de la violence conjugale… alors, quand je lis qu’on ne travaille pas assez, je veux pleurer. »

Nous demandons au ministère de la Santé et des Services Sociaux de reconnaître le travail formidable des médecins de famille, en particulier depuis le début de la pandémie, et leur contribution unique à la santé des Québécoises et Québécois. Nous voudrions que le discours public de nos politiciens partage notre passion à former les médecins de famille de l’avenir et encourage les étudiants à choisir la médecine de famille afin qu’on soit de plus en plus nombreux à répondre aux besoins en santé de la population québécoise.

Marion Dove est directrice du département de médecine de famille de l’Université McGill ; Nathalie Caire Fon est directrice du département de médecine de famille et de médecine d’urgence de l’Université de Montréal ; Éric Lachance est directeur du département de médecine de famille et de médecine d’urgence de l’Université de Sherbrooke ; Sonia Sylvain est directrice du département de médecine de famille et de médecine d’urgence de l’Université Laval.

Cet article a été publié dans La Presse le 3 novembre 2021 (lien).

5 novembre 2021