« Elle a démontré qu’une femme pouvait faire carrière dans une profession réservée aux hommes », souligne le Dr Charles Scriver, généticien mcgillois de grand renom, en parlant de sa mère, la Dre Jessie Boyd Scriver, l’une des quatre premières femmes admises à la Faculté de médecine de l’Université McGill en 1917.
Aujourd’hui, dans la métropole, 44 pour cent des médecins sont des femmes, selon le Collège des médecins du Québec. Aux études en médecine à McGill, la proportion grimpe à 54 pour cent. Il y a cent ans, au moment où la Dre Boyd Scriver a commencé sa formation, le portrait était tout autre. À l’époque, on ne comptait au Québec qu’une douzaine de femmes médecins détenant un permis d’exercice. Défiant la discrimination et la franche hostilité de certains, ces pionnières ont transformé la pratique de la médecine à Montréal et contribué à normaliser la place des femmes au sein des milieux professionnels de la ville.
La Dre Maude Abbott est de loin l’une des précurseures les plus influentes. Bachelière ès arts de McGill, elle a obtenu son diplôme de médecine du Bishop’s College en 1894, après s’être vu refuser l’entrée à la Faculté de médecine de son alma mater. Aucun hôpital n’embauchant de femmes médecins, elle a concentré ses activités professionnelles au musée médical du Département de pathologie de l’Université McGill, d’ailleurs récemment rouvert sous le nom de Musée médical Maude Abbott. Elle s’est imposée comme chef de file mondiale des musées médicaux et spécialiste des maladies cardiaques congénitales, sur lesquelles elle a rédigé un atlas reconnu sur la scène internationale. L’Université McGill lui a décerné un doctorat honorifique en médecine en 1910.
Toute sa vie, la Dre Abbott a défendu la cause des femmes en médecine, notamment en cofondant la Fédération des femmes médecins du Canada, en 1924. Lors de la collation des grades historique de la Dre Boyd Scriver et de ses condisciples, les Dres Mary Childs, Lillian Irwin, Eleanor Percival et Winifred Blampin, en 1922, elle a célébré avec les premières diplômées mcgilloises en médecine en les invitant à dîner au Ritz. L’héritage de la Dre Abbott à cet égard est perpétué par le Prix Maude-Abbott de l’Université McGill, remis chaque année à une professeure en début de carrière.
« Recevoir ce prix était un immense honneur », affirme la lauréate de 2015, la Dre Amira El-Messidi, professeure adjointe au Département d’obstétrique et de gynécologie de la Faculté de médecine de McGill. La Dre El-Messidi, qui accorde une grande importance à l’enseignement, à l’instar de la Dre Abbott, souligne que le prix l’a motivée à aller encore plus loin. « C’est facile de se reposer sur ses lauriers, mais j’ai utilisé cette réussite comme tremplin pour approfondir mon intérêt pour la simulation. » Dre El-Messidi est maintenant responsable de la simulation en obstétrique et gynécologie à l’Hôpital Royal Victoria du Centre universitaire de santé McGill. « Nous avons toutes pour ambition de devenir une Maude Abbott! »
Un exemplaire de l’Atlas of Congenital Cardiac Disease de la Dre Abbott posé devant lui, le Dr Charles Scriver décrit l’influence de sa mère – et de la Dre Abbott – sur sa propre carrière. Comme sa mère, le Dr Scriver s’est spécialisé en pédiatrie avant de s’intéresser aux troubles métaboliques chez les enfants, ce qui l’a mené à sa célèbre découverte du lien entre la carence en vitamine D et le rachitisme. Les Dres Boyd Scriver et Abbott étaient elles aussi des défenseures de la première heure de la recherche génétique pour prévenir et traiter les anomalies congénitales chez les enfants – l’anémie falciforme, dans le cas de la Dre Boyd Scriver.
La naissance du Dr Scriver, en 1930, aurait pu mettre un terme à la carrière de sa mère. « Il aurait été convenable d’arrêter de pratiquer la médecine, après l’arrivée de son seul enfant », dit-il, « mais elle a répondu “On m’a accordé le privilège d’étudier la médecine à l’Université McGill, et je dois à la société de poursuivre dans cette voie” ».
Selon le Dr Scriver, malgré les nombreux écueils qu’a vécus sa mère en début de carrière – des manifestants en colère ont protesté son admission en médecine jusque devant chez elle –, ses jeunes patients et leurs parents l’ont toujours accueillie à bras ouverts. « Les gens allaient spontanément vers elle. Je crois que beaucoup de parents dont l’enfant était malade trouvaient plus rassurant de parler à une femme médecin qu’à un homme. »