Par Gillian Woodford

(Pirie AH. No 3 Canadian General Hospital (McGill) in France (1915, 1916, 1917): Views Illustrating Life and Scenes in the Hospital, with a Short Description of Its Origin, Organisation and Progress. Middlesbrough (UK): Hood and Co.; 1923.)

L’Hôpital général canadien no 3 (McGill) a été le premier hôpital militaire établi et dirigé par une faculté de médecine durant la Première Guerre mondiale. Mis sur pied par Herbert Stanley Birkett, doyen de la Faculté de médecine de l’Université McGill de 1914 à 1921, l’hôpital a admis ses premiers patients en août 1915 sur les côtes françaises, à une soixantaine de kilomètres de la ligne de front. De son ouverture à la fin de ses activités, en 1919, l’hôpital a accueilli 143 762 patients et réalisé 11 395 interventions chirurgicales.

Lt-Col Andrew Beckett (Photo: Gilda Salamone)

« C’était le principal hôpital des Alliés », relate le lieutenant-colonel Andrew Beckett, membre du Service de santé royal canadien, professeur adjoint de chirurgie à McGill et chirurgien traumatologue à l’Hôpital général de Montréal (HGM). Le Lcol Beckett et le DEdward J. Harvey, professeur de chirurgie à McGill et orthopédiste traumatologue à l’HGM, ont récemment relaté l’histoire de l’unité dans leur article « No. 3 Canadian General Hospital (McGill) in the Great War: service and sacrifice », publié dans le Journal canadien de chirurgie.

« En raison de ses liens solides avec les États-Unis et en particulier l’Université Johns Hopkins, par l’affiliation avec Sir William Osler, McGill avait une longueur d’avance », souligne le Lcol Beckett. « Les forces britanniques n’étaient pas aussi avancées sur certains plans que l’était l’Hôpital n3 de McGill. C’est devenu le lieu de rencontre informel de l’élite médicale, et beaucoup de personnalités de marque venaient visiter. » On y réalisait aussi des recherches et des innovations précieuses, ajoute-t-il, surtout en matière de transfusion sanguine, une pratique relativement nouvelle qui a sauvé d’innombrables soldats de l’état de choc qui leur aurait autrement coûté la vie.

Le Dr Birkett a embauché dans l’hôpital militaire des médecins et des infirmières de McGill et de ses deux grands hôpitaux d’enseignement, l’HGM et l’Hôpital Royal Victoria. Il a notamment recruté George Adami, directeur du Département de pathologie, Edward Archibald, chirurgien thoracique et premier neurochirurgien canadien, qui a lancé à l’Hôpital no 3 l’usage du citrate comme anticoagulant pour faciliter les transfusions, Francis Scrimger, chirurgien décoré de la Croix de Victoria pour sa bravoure, Clare Gass, infirmière militaire dont le journal de guerre relate dans le détail le quotidien de l’hôpital, ainsi que le célèbre John McCrae, médecin et auteur du poème « Au champ d’honneur ».

Pirie AH. No 3 Canadian General Hospital (McGill) in France (1915, 1916, 1917):
Views Illustrating Life and Scenes in the Hospital, with a Short Description of Its Origin, Organisation and Progress.
Middlesbrough (UK): Hood and Co.; 1923.)

 

Revenir de l’Hadès

Le Dr McCrae, vétéran de la guerre des Boers, a repris le service peu après le début de la Première Guerre mondiale et a été envoyé en Europe dès septembre 1914, où il comptait se joindre au contingent médical mcgillois dès que ce dernier arriverait sur place. Au printemps 2015, le Dr McCrae a pris part à la deuxième bataille d’Ypres, où les forces allemandes ont lancé la première grande attaque au gaz de l’histoire. « Dix-sept jours dans l’Hadès! » est l’image qu’a employée le Dr McCrae pour décrire son expérience à sa mère.

Après Ypres, comme prévu, le Dr McCrae a été transféré au nouvel hôpital de McGill au poste d’officier responsable des services médicaux. Il exprime dans une lettre à sa mère ses sentiments partagés à l’idée d’abandonner ses compagnons au front : « Je suis navré de les laisser dans un tel pétrin, mais je dois obéir aux ordres. C’est un grand soulagement, je dois l’admettre, de sortir de là, mais j’aimerais que ce soit leur cas également. »

Tout indique que cet épisode l’a changé à jamais. L’homme qui était « invité dans tous les soupers mondains montréalais[1] », aux dires de son ami et collègue écrivain Stephen Leacock, est sorti d’Ypres amer et désillusionné. Son ami le Dr Archibald « faisait tout pour encourager McCrae à courtiser l’une ou l’autre des infirmières et rendait compte de ses progrès à sa femme, à Montréal », raconte la Dre Susan Mann, historienne et éditrice du journal de guerre de Clare Gass. Ce n’était pas chose facile, précise-t-elle. « Archibald écrit que McCrae pouvait être plutôt sévère et autoritaire et que les infirmières ne l’aimaient pas. »

L’histoire – peut-être apocryphe – raconte que le Dr McCrae et Clare Gass aient été amis et qu’elle l’ait encouragé à soumettre « Au champ d’honneur » au magazine Punch après le rejet du poème par The Spectator. La Dre Mann en doute. « Je ne crois pas qu’ils aient été amis. Elle l’a peut-être côtoyé comme enseignant et médecin, mais le système était très hiérarchisé. Le seul lien qu’on peut confirmer est qu’elle a cité le poème dans son journal six semaines avant sa publication dans Punch, en décembre 2015. Mais [sa collègue infirmière] Sophie Hoerner le cite dans ses écrits et Archibald le mentionne aussi dans sa lettre avant la publication dans Punch. Il se peut que le poème ait simplement beaucoup circulé. »

 

Une nouvelle hiérarchie

Avant la Première Guerre mondiale, le contingent infirmier de l’armée canadienne était minuscule. L’infirmière-chef Margaret Macdonald avait servi durant la guerre des Boers aux côtés du Dr McCrae, mais la plupart des jeunes infirmières recrutées aux débuts de l’Hôpital général canadien no 3 n’avaient aucune expérience militaire. Fait unique parmi leurs pairs, les infirmières canadiennes avaient un grade militaire, tout comme les hommes, ce qui signifiait qu’elles avaient des officiers supérieurs, mais aussi des subalternes. Cela leur permettait de se concentrer comme jamais auparavant sur les soins infirmiers – une discipline encore relativement jeune –, puisqu’une bonne partie des tâches extérieures à la pratique infirmière étaient pour la première fois imparties à d’autres membres du personnel.

Cela dit, certains de leurs subalternes, souvent des étudiants en médecine recrutés comme brancardiers ou préposés, refusaient de recevoir des ordres d’une femme. Le Lcol Beckett et le Dr Harvey font remarquer que « comme tous les étudiants en médecine, ils voulaient à tout prix travailler avec les chirurgiens de l’hôpital et tentaient de se défiler des tâches moins attirantes sur les unités, au grand déplaisir des infirmières comme Clare Glass, pour aller observer les interventions dans la salle d’opération ». La Dre Mann ajoute que l’autorité et le rang des infirmières devaient être continuellement réaffirmés par le commandement de l’hôpital.

 

Une ombre tenace 

Le Dr McCrae est mort en janvier 1918 des suites d’une pneumonie, après avoir été nommé premier médecin consultant canadien auprès de l’armée britannique. Clare Gass a survécu à la guerre mais a quitté la profession infirmière. À son retour à Montréal, elle a choisi d’étudier dans la nouvelle discipline du service social à McGill et a exercé comme travailleuse sociale médicale jusqu’à sa retraite, dans les années 1950.

L’article « No. 3 Canadian General Hospital (McGill) in the Great War: service and sacrifice », du Lcol Andrew Beckett et du Dr Edward J. Harvey, est publié en ligne avant l’édition papier du 1er décembre 2017 du Journal canadien de chirurgie : https://canjsurg.ca/wp-content/uploads/2017/11/60-6-012717.pdf
[1] « Col. McCrae’s vision of the poppies », Stephen Leacock, The Times (Londres), 11 novembre 1921

 

Le 1 décembre 2017