Médecin de famille exerçant depuis 10 ans à Mistissini, Justin Ross compte rester encore longtemps dans ce milieu accueillant où il trouve une grande satisfaction professionnelle. Avec ses 3731 résidants, Mistissini (dont le nom signifie « grand rocher ») est la deuxième communauté crie en importance au Canada. Elle est située en Eeyou Istchee, au nord-est de Chibougamau, à 781 km de Montréal.
« Je crois que les gens qui viennent ici, souvent en stage, durant leurs études de médecine ou leur résidence, finissent par rester, dit le Dr Ross. La pratique clinique y est sans pareille en raison de l’accueil de la communauté et de la nature du travail, qui est très gratifiant. »
La décision du Dr Ross de s’établir comme médecin en région autochtone a aussi été motivée par des facteurs historiques. « Comme personne non autochtone au service d’une population historiquement très marginalisée, on voit à quel point le racisme systémique est en jeu dans notre société; pouvoir venir ici et offrir concrètement des soins qu’on estime culturellement sécurisants est extrêmement motivant. »
Selon le Dr Ross, dans les communautés éloignées des grands centres, c’est l’essence de la médecine de famille qui s’exprime : prendre soin des patients tout au long de leur vie. « La pratique y est tellement intéressante, on se sent vraiment comme des médecins de famille. On suit les gens dès leur naissance, à travers leur adolescence, l’arrivée de leur premier enfant. C’est vraiment la médecine de famille “du berceau au tombeau”. »
Un autre aspect gratifiant de la pratique dans ce milieu : la chance de s’intégrer à une communauté au lieu d’être simplement un prestataire de soins. « Ici, l’anonymat n’existe pas. Quand tu quittes la clinique, les gens te voient et savent qui tu es, ce qui est très positif pour moi. Hors de la clinique, les gens te voient et t’acceptent comme membre de la communauté, une personne qui n’est pas juste là pour travailler, mais pour aider. »
Avec l’intégration sociale viennent les invitations aux événements qui rythment la vie des gens, des fêtes de naissance aux funérailles. « J’ai assisté à toute sorte d’événements ici auxquels je n’aurais probablement pas eu la chance d’être invité si j’exerçais à Montréal. »
S’intégrer dans une communauté autochtone s’accompagne toutefois de certains défis, relate le Dr Ross, dont un réapprentissage de l’histoire. « En grandissant au Québec, on nous enseigne l’histoire d’un point de vue extrêmement biaisé, qui laisse de côté beaucoup de détails importants. En venant ici, on voit que la réalité est tout autre; ce que j’ai appris de mes patients et de mes collègues à propos des siècles d’abus m’a ouvert les yeux, et je me suis senti tellement privilégié d’être accueilli à bras ouverts par la communauté. »
Avec l’inconstance des services médicaux dans la région au fil des ans, la population fait plus difficilement confiance aux médecins, ce qui représente un défi pour les nouvelles recrues. « Les gens se sentent abandonnés par les professionnels. Ce n’est qu’après deux ou trois ans que la communauté m’a vu comme étant digne de confiance. J’ai essayé de me montrer disponible pour mes patients à la clinique et à l’extérieur; si j’étais en ville, je crois que les patients ne s’attendraient pas nécessairement à ça, parce que la culture n’est pas la même. »
Le Dr Ross estime être établi pour longtemps dans la communauté crie. « Aujourd’hui, je ne me vois travailler nulle part ailleurs, c’est assez fou! J’adore mon travail et je ne me sens pas épuisé, comme le sont beaucoup de mes collègues. J’adore pouvoir voir mes patients et suivre leur parcours au-delà de la clinique, dans la communauté; je me sens comblé et toujours stimulé, toujours en apprentissage. »
L’absence d’ingérence bureaucratique et politique est un autre facteur qui motive le Dr Ross à rester, et qui suscite de plus en plus l’intérêt des jeunes médecins de famille. « Les jeux politiques qui entourent la médecine de famille sont assez complexes en ce moment au Québec, et ici nous sommes un peu éloignés de tout ça. »