Une étude montre que malgré certaines améliorations, les médicaments potentiellement inappropriés demeurent fortement prescrits aux personnes âgées au Canada et certains sont en augmentation.
Au Canada, la prescription de médicaments potentiellement inappropriés (MPI) — des médicaments dont les inconvénients peuvent dépasser les avantages, qui peuvent être inefficaces ou pour lesquels il existe une alternative plus sûre — demeure très courante chez les personnes âgées. En outre, bien que les dépenses globales liées aux MPI aient diminué entre 2013 et 2021, l’exposition des aînés à trois catégories de MPI a augmenté durant cette période : les gabapentinoïdes, les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) et les antipsychotiques. C’est ce qui ressort d’une étude menée à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM), la première depuis 2013 à se pencher sur les dépenses nationales engendrées par la prescription de MPI chez les personnes âgées et à fournir une analyse des tendances par catégories de médicaments.
« Malgré les recommandations de plusieurs sociétés médicales d’éviter les médicaments potentiellement inappropriés et diverses initiatives vouées à sensibiliser le public et les médecins aux dangers qu’ils représentent, ceux-ci demeurent un problème majeur dans le monde, incluant au Canada », dit l’auteure principale de l’étude, Dre Emily McDonald, scientifique au sein du programme en maladies infectieuses et immunité en santé mondiale à l’IR-CUSM et directrice du Réseau canadien pour l’usage approprié des médicaments et la déprescription (ReCAD). « En effet, malgré les risques et les effets néfastes qui y sont associés, 42 % des personnes âgées de plus de 65 ans au Canada ont pris au moins un MPI en 2021. Notre étude fournit un portrait détaillé de la situation, en vue d’orienter les actions nécessaires pour réduire leur utilisation. »
Les principaux constats des chercheurs
La présente étude, publiée dans le Journal of the American Geriatrics Society, a évalué l’évolution des coûts et des tendances en matière de prescription de MPI chez les personnes âgées de 65 ans et plus au Canada, entre 2013 et 2021, à partir de données provenant du Système national d’information sur l’utilisation des médicaments prescrits. Les auteurs de l’étude ont utilisé l’Indice des prix à la consommation de Statistique Canada pour tenir compte de l’inflation entre 2013 et 2021, et toutes les informations financières incluses dans leurs constats sont exprimées en dollars canadiens de l’année 2022 (CAD).
De 2013 à 2021 :
- Le taux d’exposition* trimestriel aux MPI par 10 000 personnes âgées a diminué de 16,4 %, sauf pour les gabapentinoïdes (augmentation de 83,7 %), les IPP (augmentation de 6,5 %) et les antipsychotiques (augmentation de 5,4 %).
- Bien que la population âgée de 65 ans et plus ait augmenté de 32 % entre 2013 et 2021, les dépenses totales en MPI pour les personnes âgées au Canada sont passées de 1,5 milliard $ à 1 milliard $, soit une baisse de 33,6 %, mais un lourd fardeau tout de même.
- Les dépenses trimestrielles par personne âgée exposée ont diminué de 95 $ à 57 $.
- La diminution du prix de nombreux médicaments, plutôt que la diminution des ordonnances, est à l’origine de la majeure partie des économies.
- Des différences notables sont ressorties entre hommes et femmes, notamment en ce qui concerne les dépenses en antipsychotiques potentiellement inappropriés, qui ont augmenté de 19,2 % chez les hommes et qui sont restées stables chez les femmes, ainsi que les dépenses en opioïdes potentiellement inappropriés, qui ont diminué de 34,7 % chez les femmes, contre 0,8 % chez les hommes.
En 2021 :
- Les dépenses annuelles globales les plus importantes étaient attribuables aux inhibiteurs de la pompe à protons et aux gabapentinoïdes (respectivement 211 millions $ et 126 millions $).
- Les opioïdes et les antipsychotiques avaient les coûts moyens par personne les plus élevés (respectivement 138 $ et 118 $ par exposition).
* Pour les besoins de l’étude, une exposition aux MPI a été définie comme le fait pour un patient de remplir une ou plusieurs ordonnances pour un MPI donné au cours d’un trimestre donné de l’année.
Trois catégories de médicaments dans la ligne de mire
Les IPP sont les plus puissants des médicaments disponibles pour le traitement de l’acidité gastrique. Des études antérieures ont montré que dans 40 à 50 % des cas, leur utilisation n’est pas fondée sur des données probantes.
Les gabapentinoïdes sont des agents anticonvulsivants couramment utilisés pour traiter les douleurs neuropathiques, c’est-à-dire dues à un dysfonctionnement des nerfs. Malgré un risque accru d’effets indésirables et de décès, en particulier lorsque pris en association avec des opioïdes, les gabapentinoïdes figurent parmi les 10 médicaments les plus prescrits en Amérique du Nord, et sont majoritairement prescrits de manière inappropriée.
Les antipsychotiques sont fréquemment prescrits de façon inappropriée. Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, un résident de centres de soins de longue durée sur quatre prend des antipsychotiques sans avoir reçu de diagnostic de psychose.
Comme pour les autres MPI, l’utilisation de ces médicaments comporte un risque excessif d’événements indésirables, tels que des chutes, des fractures, des troubles cognitifs et le décès. De plus, leur utilisation crée une pression sur le système de santé, en contribuant à l’augmentation des visites aux urgences et des hospitalisations.
Une méthodologie basée sur les données existantes
Les auteurs ont élaboré une liste de MPI basée sur différents critères de référence, puis les ont regroupés en dix catégories. N’ayant pas accès aux données individuelles permettant de déterminer a posteriori si une prescription était appropriée ou inappropriée pour un patient donné, les auteurs ont limité leur analyse aux ordonnances répondant à certains critères ou pour lesquelles ils jugeaient qu’au moins une proportion modérée (40 % ou plus) serait considérée comme inappropriée, indépendamment des diagnostics cliniques.
« Les MPI ne sont pas toujours inappropriés, cela dépend de l’utilisation qui en est faite et du cas de chaque personne, explique la Dre McDonald, qui est également directrice adjointe, Qualité et sécurité, et professeure agrégée au Département de médecine de l’Université McGill. Par exemple, même en l’absence de données cliniques individuelles, nous savons que l’utilisation chronique d’hypnotiques sédatifs chez les personnes âgées devrait être évitée dans la plupart des cas, car ils sont indiqués pour des traitements de courte durée (~10 jours). En revanche, les opioïdes ont été inclus dans l’étude en tant que MPI uniquement lorsqu’ils avaient été pris de façon continue, plutôt que dans un contexte de soins aigu. Pour leur part, les IPP ont été inclus lorsqu’ils étaient prescrits pendant deux trimestres consécutifs et en l’absence d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). »
La déprescription : un impératif clinique
La recherche sur la manière de déprescrire (arrêter, diminuer ou passer à une alternative plus sûre) est perçue à l’échelle mondiale comme un moyen prometteur de freiner la surprescription et de réduire les effets indésirables et les coûts qui y sont associés.
« Dans de nombreux pays, les MPI servent d’indicateur pour les soins de faible valeur, car leur utilisation est associée à une augmentation des dépenses de santé en raison des effets en aval, tels que les visites aux urgences et les hospitalisations », explique le premier auteur de l’étude, Dr Jean-François Huon, pharmacien et chercheur au CUSM et au CHU de Nantes, et membre du ReCAD, comme d’autres co-auteurs de l’étude. « Notre étude démontre que des stratégies ciblées visant à réduire les problèmes découlant de la surprescription de médicaments et de la prescription de MPI chez les personnes âgées sont nécessaires. Elle suggère aussi que les différences de taux de prescription des MPI entre les sexes et les genres devraient être explorées dans de futures études. »
À propos de l’étude
L’étude « The cost of potentially inappropriate medications for older adults in Canada: a comparative cross-sectional study » a été réalisée par Jean-François Huon, Chiranjeev Sanyal, Camille L. Gagnon, Justin P. Turner, Ninh B. Khuong, Émilie Bortolussi-Courval, Todd C. Lee, James L Silvius, Steven G. Morgan et Emily G. McDonald.
DOI : 10.1111/jgs.19164
Cette étude a été financée par les Instituts de recherche en santé du Canada et le Programme des politiques et des stratégies en matière de soins de santé de Santé Canada.
À propos de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill
L’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM) est un centre de recherche de réputation mondiale dans le domaine des sciences biomédicales et de la santé. Établi à Montréal, au Canada, l’Institut, qui est affilié à la faculté de médecine de l’Université McGill, est l’organe de recherche du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) — dont le mandat consiste à se concentrer sur les soins complexes au sein de sa communauté. L’IR-CUSM compte plus de 720 chercheurs et près de 1 400 étudiants et stagiaires qui se consacrent à divers secteurs de la recherche fondamentale, de la recherche clinique et de la recherche en santé évaluative au site Glen et à l’Hôpital général de Montréal du CUSM. Ses installations de recherche offrent un environnement multidisciplinaire dynamique qui favorise la collaboration entre chercheurs et tire profit des découvertes destinées à améliorer la santé des patients tout au long de leur vie. L’IR-CUSM est soutenu en partie par le Fonds de recherche du Québec — Santé (FRQS). www.ircusm.ca