La professeure Claude Bhérer et son équipe étudient le génome des populations fondatrices et leurs maladies génétiques, notamment le syndrome de Leigh de type canadien-français 

C’est le décès prématuré de son neveu, en 2002, qui a incité Claude Bhérer, alors étudiante en anthropologie biologique, à se consacrer à la génétique des populations. « Il est décédé d’une crise d’acidose lactique fulminante deux jours après sa naissance », se remémore la professeure adjointe à l’École des sciences biomédicales de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de McGill. « Le hasard a voulu que quelques mois plus tard, le gène responsable soit finalement identifié, ce qui a permis de découvrir que sa sœur de 4 ans était également atteinte de la maladie. » 

Depuis, la chercheuse consacre une large part de ses travaux à l’étude de l’« effet fondateur ». Ce concept fait référence aux conséquences génétiques qui peuvent se manifester lorsqu’un sous-groupe de fondateurs quitte une population source pour former une nouvelle population, comme ce fut le cas de pionniers de Charlevoix partis coloniser la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. La maladie héréditaire qui a touché les deux enfants de sa sœur – le syndrome de Leigh de type canadien-français, aussi appelé acidose lactique – frappe plus particulièrement les populations issues des régions de Charlevoix, du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de la Haute-Côte-Nord. La santé publique a identifié trois autres maladies génétiques touchant ces mêmes populations, pour lesquelles des tests de dépistage gratuits sont désormais offerts.  

Mais l’effet fondateur a bien d’autres conséquences au Québec. En faisant une analyse systématique des maladies génétiques rares, la chercheuse et son équipe ont constaté que plus de cent variants génétiques déjà connus sont plus fréquents au Québec qu’ailleurs. « Les résultats de nos recherches nous ont étonnés. Ces variants représentent autant d’effets fondateurs potentiels, et la majorité d’entre eux n’ont pas encore été étudiés dans le contexte du Québec », explique Claude Bhérer, qui s’intéresse également à l’effet fondateur au Nouveau-Brunswick et à Terre-Neuve.  

En quête de traitements 

En 2022, au sein de la Chaire d’excellence en recherche du Canada en médecine génomique à McGill, Claude Bhérer a fondé son propre groupe de recherche spécialisé en génétique des populations humaines, qui a recours à la génétique et à la génomique pour la mise au point de nouveaux traitements. « Dans le cas de l’acidose lactique congénitale, nous avons encore beaucoup de travail à faire pour trouver un traitement », convient la chercheuse. En effet, comme c’est souvent le cas avec les maladies rares, les scientifiques ne connaissent pas tous les facteurs à l’origine de la maladie et ne savent pas pourquoi certains cas sont fulminants alors que d’autres sont moins graves, comme celui de la nièce de la chercheuse, maintenant adulte.  

Outre ses recherches sur les variants génétiques et les maladies rares chez les populations fondatrices, Claude Bhérer travaille sur un projet de « plateforme de santé numérique » grâce à laquelle on pourra recueillir des données en temps réel sur les personnes atteintes du syndrome de Leigh de type canadien-français au moyen de montres connectées, de téléphones intelligents et de moniteurs de glycémie. « Qu’est-ce qui provoque les crises, quels sont les facteurs en jeu ou, au contraire, pourquoi l’état des patients s’améliore-t-il? On souhaite analyser les données avec des outils d’intelligence artificielle. » 

L’ÉDI en génétique 

Son autre grand thème de recherche est lié à l’ÉDI, soit l’équité, la diversité et l’inclusion.  

L’ÉDI est l’un des gros enjeux actuels en génétique et en génomique. « La plupart des données disponibles proviennent de cohortes à forte majorité de participants d’origine européenne. On connaît beaucoup moins bien les facteurs génétiques des populations non européennes telles que les populations d’origine africaine. » En 2023, le Québec s’est doté d’un plan d’action sur les maladies rares. Toutefois, la chercheuse estime que le dépistage populationnel pour certaines maladies génétiques pourrait être bonifié.  

En 2022, Claude Bhérer a organisé un symposium de deux jours sur l’ÉDI; il a attiré plus de 300 participants, dont plusieurs grands spécialistes internationaux en matière d’équité. En collaboration avec d’autres chercheurs de McGill et d’ailleurs, elle travaille également à la création de la bibliothèque génomique pancanadienne. « Nous devons faire avancer l’ÉDI pour mieux connaître la diversité génomique des personnes vivant au Canada. » 

Les bienfaits des études génétiques 

Il n’existe pas encore beaucoup de traitements pour les maladies rares, mais les études génétiques semblables à celles que mènent Claude Bhérer et son équipe ont déjà des retombées importantes.  

« Dès que les bases génétiques d’une maladie sont cernées, les résultats scientifiques sont rapidement appliqués en clinique pour le diagnostic, le dépistage, la prévention et les soins, souligne la professeure. Nous pouvons ainsi étudier des cohortes de patients et établir des registres qui nous aideront à comprendre l’évolution de la maladie. L’identification des gènes permet aussi aux familles d’avoir accès à des groupes de soutien et à des réseaux d’entraide qui jouent un rôle très important auprès des personnes qui font face à une maladie rare. » 

Et si un traitement est envisagé? 

« On mobilise des ressources pour mettre un essai clinique en place rapidement. »