Samir Shaheen-Hussain, MDCM, est le lauréat 2023 du prix Haile-T.-Debas, créé en 2010 dans le but de mettre de l’avant les membres de la Faculté de médecine et des sciences de la santé (FMSS) qui font la promotion de l’équité et de l’antiracisme par des actions concrètes. Récemment promu au rang de professeur agrégé au Département de pédiatrie, le Dr Shaheen-Hussain est membre associé de l’École de santé des populations et de santé mondiale et urgentiste pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Voilà maintenant plus de 20 ans qu’il participe aux mouvements pour la justice sociale, plus récemment en se joignant au collectif Soignons la justice sociale. En 2020, le Dr Shaheen-Hussain a publié Fighting for A Hand to Hold: Confronting Medical Colonialism against Indigenous Children in Canada (Plus aucun enfant autochtone arraché : Pour en finir avec le colonialisme médical canadien dans sa version française; préface de Cindy Blackstock, postface de Katsi’tsakwas Ellen Gabriel, traduction par Nicolas Calvé), un livre acclamé et s’étant mérité plusieurs prix. Nous avons parlé avec le Dr Shaheen-Hussain pour savoir ce qui a motivé son engagement envers la justice sociale et pour avoir son avis sur ce qui permet d’opérer un véritable changement en faveur de l’équité dans les soins de santé.

À quel moment vous êtes vous d’abord intéressé à la justice sociale et à la prestation des soins de santé?

Quelques expériences majeures m’ont amené à me politiser. Après ma première année d’études en médecine, j’ai pris part à un stage à option de bénévolat dans un hôpital pédiatrique à Rabat, au Maroc. Puis, durant ma troisième année, j’ai fait un stage en médecine de famille à Sioux Lookout, dans le nord de l’Ontario. J’ai été profondément marqué par les injustices dont j’ai été témoin, tant au niveau mondial que local, en particulier parce que les enfants étaient souvent les plus durement touchés. À peu près au même moment, j’ai constaté et même parfois vécu la hausse du racisme suscitée par les attaques du 11 septembre 2001 aux États-Unis. L’ensemble de ces expériences a transformé ma vision du monde et j’ai compris comment les structures et les systèmes dominants génèrent de la souffrance, mais aussi comment les communautés résistent et ripostent pour préserver leur santé, leur sécurité et leur dignité.

Est-ce que votre engagement envers la justice sociale a influencé votre décision de vous spécialiser en urgentologie pédiatrique?

Pas vraiment; j’ai toujours voulu travailler avec des enfants. C’est un privilège et un honneur d’être urgentiste pédiatrique. Le maintien de l’excellence clinique est une responsabilité que je prends au sérieux, étant donné le rôle que nous jouons pour les enfants et leurs familles alors qu’ils sont particulièrement vulnérables. Par ailleurs, mon travail clinique me garde très ancré dans la réalité et constitue une puissante source de motivation, car je suis le témoin direct des répercussions qu’ont les réalités sociales, économiques et politiques néfastes sur les enfants, leurs familles et leurs communautés, qui ont à leur tour une influence sur le tissu social au sens large.

Je dirais que mon engagement auprès des enfants et des jeunes dans les diverses sphères de ma vie m’a certainement permis d’admirer leur curiosité et leur résilience et qu’il a inspiré mon engagement pour la justice sociale.

Vous souvenez-vous d’un moment précis ayant marqué votre combat pour la justice sociale?

Je me souviens d’avoir vu, quand j’étais jeune, des photos de membres de ma famille prenant part à des manifestations contre la guerre et l’occupation. Ces images ont laissé une forte impression, notamment celles d’un rassemblement montréalais en solidarité avec la résistance des Kanien’kehá:ka lors du siège de Kanehsatà:ke en 1990 (un événement qu’on appelle souvent la crise d’Oka).

En 2002, je faisais partie du groupe étudiant de McGill qui a formé le Indigenous Peoples Solidarity Movement. À l’époque, Katsi’tsakwas Ellen Gabriel dirigeait la Maison des peuples autochtones; elle a été une mentore influente pour beaucoup d’entre nous et elle est encore aujourd’hui une amie chère. Son engagement indéfectible et passionné dans les luttes pour la souveraineté autochtone, la justice environnementale et les droits de la personne, auxquelles elle se dévoue depuis plus de 30 ans, est toute une inspiration.

Je m’en voudrais de ne pas souligner la contribution des nombreuses personnes des milieux de l’éducation et militant, les personnes qui m’ont encadré, les amitiés que j’ai tissées; elles continuent à m’en apprendre toujours plus au sujet de la décolonisation et de la justice sociale tout en personnifiant la solidarité radicale.

En acceptant votre prix, vous avez parlé de la pandémie de COVID-19 et des décès de George Floyd et Joyce Echaquan, qui ont « révélé les fractures causées par l’injustice sociale à l’échelle mondiale ». Croyez-vous qu’un réel changement s’est amorcé après ces tristes événements?

Les milieux universitaire et de la santé ont pris des mesures importantes, par exemple l’adoption du principe de Joyce à la FMSS et au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), mais on ne peut pas se fier aux systèmes économique, politique et social qui ont généré les injustices pour nous aider à y mettre fin.

Notre époque est empreinte d’incertitude et d’anxiété à propos de notre avenir collectif. Nous devons faire preuve de créativité, de courage et de collaboration pour imaginer de nouvelles possibilités, en veillant à ce que personne ne soit laissé pour compte. Il faut travailler ensemble pour construire un monde nouveau favorisant l’empathie, privilégiant la coopération, l’entraide et la solidarité, respectant la dignité humaine et nous incitant à vivre en harmonie avec nos écosystèmes. Les établissements d’enseignement universitaire et de soins de santé peuvent y jouer un rôle, mais le changement durable et tangible nécessite un engagement et des mesures urgentes pour une restructuration fondamentale de la société.

Le Dr Shaheen-Hussain a remis la portion monétaire de son prix à cinq groupes mcgillois : le Programme autochtone des professions de la santé, la Maison des peuples autochtones, le projet Welcome Haven, le Bureau de la responsabilité sociale et de l’engagement communautaire et le fonds discrétionnaire de la directrice du Département de pédiatrie.

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Fighting for a hand to hold (Plus aucun enfant autochtone arraché)

Photo : Owen Egan et Joni Dufour