Une nouvelle étude réalisée par des chercheurs de l’Université McGill semble indiquer que la prescription non conforme de médicaments par les médecins de premier recours est une pratique répandue au Québec, bien que sa fréquence varie selon le médicament, le type de patient et l’attitude du médecin. Cette étude a fait l’objet d’un article publié dans la revue scientifique Archives of Internal Medicine.
La prescription non conforme de médicaments consiste à recourir à ces derniers pour des indications n’ayant pas été approuvées par les organismes de réglementation tels que Santé Canada. Dans leur exposé préliminaire, les auteurs estiment que cette pratique pourrait favoriser la survenue d’effets indésirables évitables.
« Le meilleur exemple de problèmes pouvant résulter de la prescription non conforme de médicaments est peut-être celui du fen-phen – une association non approuvée de flenfuramine et de phentermine utilisée dans les années 1990 pour le traitement de l’obésité – qui endommageait les valvules cardiaques », explique le Dr Tewodros Eguale, auteur principal de l’étude. « Un autre exemple d’utilisation non conforme porte sur la tiagabine, un médicament contre l’épilepsie. Administrée pour traiter d’autres affections, comme la douleur, elle provoque des convulsions. »
De concert avec son équipe, le Dr Eguale, chercheur au Département d’épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail de l’Université McGill, a eu recours au Cabinet médical du 21e siècle, un réseau québécois de données médicales électroniques, afin d’examiner l’emploi non conforme de médicaments d’ordonnance. Cet outil est doté d’une nouvelle fonction permettant de recueillir de l’information sur les traitements et d’établir des liens entre les indications thérapeutiques et les médicaments prescrits. Au total, 113 médecins de premier recours de Montréal et de Québec ont rédigé 253 347 ordonnances électroniques pour 50 823 patients entre janvier 2005 et décembre 2009. Les chercheurs ont constaté que, dans l’ensemble, 11 pour cent des médicaments étaient prescrits pour une indication non approuvée; dans 79 pour cent des cas, cette indication n’était pas solidement étayée par des données scientifiques probantes. Ils ont également noté que les prescriptions pour des indications non conformes visaient surtout les médicaments destinés au traitement d’affections touchant le système nerveux central (26,3 pour cent) et les anti-infectieux (17,1 pour cent). En outre, 66 pour cent des anticonvulsivants, 44 pour cent des antipsychotiques et 33 pour cent des antidépresseurs étaient prescrits pour des indications non approuvées par les organismes de réglementation.
Selon les résultats de l’étude, les médicaments comptant trois ou quatre indications approuvées étaient moins souvent employés de façon non conforme que ceux qui n’en comptaient qu’une ou deux. Les médicaments homologués après 1995 étaient également associés à une utilisation hors indications moins fréquente, comparativement aux médicaments approuvés avant 1981. Enfin, les cliniciens qui accordaient une grande importance à la médecine factuelle dans l’exercice de leur profession étaient moins susceptibles de prescrire des médicaments pour des indications non conformes à la réglementation.
« Les résultats de notre étude indiquent que la prescription non conforme de médicaments est une pratique répandue chez les médecins de premier recours, mais que sa fréquence varie selon la classe et l’âge du médicament, le nombre d’indications approuvées, le sexe du patient et l’importance accordée à la médecine factuelle », concluent les auteurs. « Les dossiers de santé informatisés peuvent se révéler utiles pour recueillir des données sur les indications du traitement au moment où le médicament est prescrit, et, s’ils permettent d’établir des liens entre l’ordonnance et le traitement visé, peuvent rehausser la pharmacovigilance. »
Tourné vers l’avenir, le Dr Eguale affirme que la prochaine étape consistera à établir des liens entre les médicaments et leurs indications, d’une part, et les résultats thérapeutiques d’autre part. Il sera alors possible, notamment, de déterminer si le médicament a permis d’améliorer l’état du patient ou s’il a entraîné des effets indésirables. « Nous disposerons ainsi d’une méthode novatrice pour évaluer l’innocuité et l’efficacité des médicaments », estime-t-il.
Cette étude a été subventionnée par les Instituts de recherche en santé du Canada. Le Dr David Buckeridge et les professeurs Nancy Winslade, Andrea Benedetti, James Hanley et Robyn Tamblyn, chercheurs à l’Université McGill, y ont également contribué.
17 avril 2012