Article du mois d’août de notre série mettant en lumière la contribution de la Faculté de médecine de l’Université McGill à la ville de Montréal en l’honneur de son 375e anniversaire.
Par Gillian Woodford
Illustre innovateur ayant vécu à une époque de changements rapides, le Dr George Eli Armstrong, ancien doyen de la Faculté de médecine de l’Université McGill, est considéré comme le premier à avoir soutenu deux pratiques médicales révolutionnaires à Montréal au tournant du siècle dernier : l’utilisation du radium et de l’anesthésie endotrachéale. « Le Dr Armstrong était vraiment un précurseur dans l’utilisation des nouvelles technologies », rapporte Pr Thomas Schlich, professeur James McGill d’histoire de la médecine au Département de sciences sociales en médecine de la Faculté de médecine de McGill.
Né à Leeds, au Québec, en 1855, le Dr Armstrong a obtenu son doctorat en médecine de l’Université McGill avant d’aller suivre une formation postdoctorale en Europe. Il a été chirurgien à l’Hôpital général de Montréal (HGM) jusqu’en 1911, avant d’être nommé chirurgien en chef à l’Hôpital Royal Victoria (HRV), poste qu’il a occupé en parallèle à son poste professoral à McGill jusqu’à sa retraite en 1923. Il a exercé comme chirurgien pendant la Première Guerre mondiale et a été doyen pendant un an avant de prendre sa retraite. Il est décédé en 1933.
Le radium a été découvert par Marie et Pierre Curie en 1898, et isolé par Marie Curie en 1902 sous la forme de chlorure de radium. Le potentiel thérapeutique de l’élément radioactif s’est immédiatement imposé. « Des chercheurs en médecine ont constaté que le radium pouvait détruire ou altérer les tissus, rapporte le Pr Schlich, ce qui a suscité beaucoup d’intérêt avant la Première Guerre mondiale, quand de nombreux médecins ont tenté de trouver une application médicale aux rayonnements. » Le Canada a mis quelque temps à entrer dans la danse, malgré une très importante contribution à la recherche sur le radium : en effet, c’est au célèbre physicien Ernest Rutherford, dont les travaux sur le radium et la radioactivité étaient étroitement liés à ceux des Curie, que l’on doit la découverte du processus de désintégration spontanée des atomes ainsi que l’identification des rayons alpha, bêta et gamma, alors qu’il travaillait à l’Université McGill au début des années 1900. « Puis, en 1909, un groupe de médecins canadiens qui tentaient de combler leur retard se sont rendus à l’Institut du radium à Paris, et George Armstrong en faisait partie », rapporte le Pr Schlich.
Dès son retour, le Dr Armstrong a publié un compte-rendu de sa visite dans le Montreal Medical Journal. Il faisait preuve d’un optimisme modéré dans son évaluation du radium, partageant la réticence des chercheurs de l’Institut. « Il n’est pas possible de rendre un avis définitif sur le sujet avant d’en avoir une plus grande expérience sur une plus longue période », écrit-il, ajoutant : « Il y a des raisons de croire que le radium a une action sélective sur les cellules cancéreuses[1]. » Le Dr Armstrong a poursuivi en décrivant certains cas qui lui avaient été présentés, notamment des cas de leucoplasie, d’épithélioma et de nævi vasculaires, ou taches de naissance. Sur ces derniers, il s’est montré assez enthousiaste : « Le dispositif est généralement appliqué et maintenu en place par un ruban adhésif. Comme ces patients sont souvent des nourrissons, l’absence de douleur ou d’inconfort qui rend inutile le recours à une anesthésie locale ou générale est très intéressante[2]. » Appliquer des substances radioactives sur la peau de nourrissons peut nous sembler bien imprudent, mais comme le note le Pr Schlich, « les médecins et les scientifiques n’avaient aucune idée des dommages qu’elles pouvaient causer et les utilisaient pour des problèmes mineurs ». Le radium a aussi été utilisé à titre expérimental pour traiter l’eczéma, l’impétigo, le prurit et les hémorroïdes, avec des résultats plus ou moins probants.
Il est difficile de dire si le Dr Armstrong a réellement employé le radium pour traiter ses patients, malgré certaines allégations isolées affirmant qu’il a introduit cette pratique à Montréal. L’intérêt du Dr Armstrong pour le radium semble davantage relever du désir d’informer ses collègues d’une nouvelle découverte scientifique que de mettre en œuvre un traitement encore hasardeux. En 1922, Montréal a créé son propre Institut du radium, qui est devenu le centre pour la radiothérapie au Canada. Puis, en 1929-1930, deux décennies après le voyage du Dr Armstrong à Paris, l’HGM et l’HME établissaient leurs propres départements de radium[3].
Insufflation intratrachéale
Le Dr Armstrong était vraiment à l’avant-garde de sa discipline, la chirurgie, ayant été parmi les premiers à adopter l’insufflation intratrachéale, mieux connue aujourd’hui sous le nom d’intubation ou d’anesthésie endotrachéale. La procédure, qui consiste à introduire un tube flexible dans la trachée pour garder les voies respiratoires ouvertes et pour administrer l’anesthésie pendant une opération, a été utilisée pour la première fois en 1910 par le chirurgien new-yorkais Charles Elsberg. Le Dr Armstrong semble avoir entendu parler de la technique lors du congrès de l’American Surgical Association en 1911. « Le Dr Armstrong a été impressionné par la technique et en moins d’un an, il rapportait son utilisation dans une cinquantaine de cas », écrit le Dr F. N. Gurd[4]. Le Dr William G Hepburn, anesthésiste et collègue du Dr Armstrong à l’HGM, ajoute « qu’en 1911 [l’insufflation d’éther par voie intratrachéale] a commencé à être utilisée à l’Hôpital général de Montréal et elle n’a jamais cessé de l’être depuis[5]. » Le Dr Armstrong a amené cette technique avec lui quand il a rejoint l’HRV. Même si l’insufflation intratrachéale a révolutionné l’anesthésie et est la norme aujourd’hui, il a fallu attendre encore trois décennies avant qu’elle devienne pratique courante.
[2] ibid, page 378.
[3] Charles Hayter. « Element of Hope: Radium and the Response to Cancer in Canada, 1900-1940 », page 49.
[4] F. N. Gurd, The Gurds, the Montreal General and McGill: A family Saga. Montreal, General Store Publishing, 1996, page 99.
[5] William G. Hepburn. « Intratracheal Ether Insufflation », Anesthesia and Analgesia, Oct. 1922, page 83.
Le 1 septembre 2017