Mark A. Wainberg, et Thibault Mesplede

Centre SIDA de l’Université McGill

Pr Mark Wainberg
Pr Mark Wainberg

En cette année qui s’achève, le domaine de la santé est en train de vivre une terrible crise. En effet, la propagation dramatique du virus Ébola dans de nombreux pays de l’Afrique de l’Ouest a éprouvé cette région et éveillé la panique et la peur chez des millions de personnes partout dans le monde.  Il existe de nombreuses similitudes entre le comportement des individus envers le  virus Ébola et ses victimes à l’heure actuelle et les attitudes envers le VIH/SIDA il y a vingt-cinq ans.  À la veille de la Journée du SIDA, le 1er décembre, il nous incombe de réfléchir sur les similitudes entre le VIH et l’Ébola et sur l’impact éventuel de cette crise récente sur le VIH et nos efforts pour en contrôler la propagation.

Le nombre de personnes infectées par l’Ébola à ce jour est estimé à plus de quatorze milles.  Une forte proportion de ces individus sont décédés à la suite de cette maladie, probablement de 5 000 à  8 000. Chez les jeunes personnes, le SIDA est toujours la plus grande cause de mortalité en Afrique et  il est estimé que, chaque jour, mille fois plus de personnes meurent du VIH que du virus Ébola.  Ceci est néanmoins une preuve des conséquences terribles de la contagion du virus Ébola, si l’on considère qu’il est difficile d’obtenir des conditions appropriées de soins de  santé dans les pays affectés. Il est important de mentionner que les bénévoles de la santé des pays développés qui ont contracté le virus Ébola lorsqu’ils travaillaient en Afrique de l’Ouest et qui sont revenus dans leurs pays se sont rétablis de leur maladie.  Ceci est dû en grande partie aux traitements extraordinaires qu’ils ont reçus dans des hôpitaux de soins supérieurs, aux États Unis et en Europe, à leur retour dans leurs pays d’origine.  Nous espérons que cela signifie que le virus Ébola ne se transmet pas aussi facilement que nous le craignions, lorsque nous prenons de bonnes mesures de prévention.

À l’opposé, nous devons souligner que plus de 39 millions de personnes sont déjà décédées des suites du SIDA. De plus, nous estimons que 35 millions d’individus sont infectés à l’heure actuelle par le VIH.  Donc, le VIH continue d’être une maladie grave.  Évidemment, nous espérons que l’épidémie d’Ébola sera bientôt contrôlée et que le nombre de nouvelles infections pourra diminuer, grâce à des mesures appropriées de quarantaine et d’autres soins de santé.

Il existe, tel que mentionné plus haut, un bon nombre de similitudes entre le VIH et l’Ébola au niveau de la perception du public vis-à-vis de ces deux ennemis de la santé publique.  Premièrement, la panique qu’Ébola a suscitée dans de nombreux pays enAfrique de l’Ouest, aux États Unis et en Europe au retour des personnes infectées ressemble beaucoup à l’attitude des gens face au VIH pendant les premières années de cette épidémie.  Nous nous souviendrons que les personnes originaires d’Haïti ont été considérées comme un groupe clé d’individus infectés au cours des années 80.  C’est pour cette raison que plusieurs clients ont refusé d’emprunter des taxis dont le chauffeur semblait venir d’Haïti. De toute évidence, ce comportement reflétait la discrimination et non des réactions engendrées par des preuves scientifiques.  Néanmoins, plusieurs milliers de personnes se sont senties comme des citoyens de deuxième classe et ont subi une terrible discrimination à l’époque.

La stigmatisation qui affecte aujourd’hui les bénévoles courageux qui ont offert des soins aux personnes infectées par Ébola en Afrique de l’Ouest nous rappelle le stigmate qu’ont subi les individus travaillant avec le VIH et qui ont pris soin des personnes infectées par cette maladie.  Il est clair que les bénévoles qui luttent contre l’épidémie d’Ébola méritent nos remerciements et non d’être stigmatisés.  Malgré cela,  au début des années 80, très peu de personnes pensaient que le VIH était surtout une maladie transmise  sexuellement et la peur qui s’est propagée provenait du fait que l’on pensait qu’il pouvait se transmettre facilement et que le contact avec les scientifiques travaillant avec le virus pouvait provoquer une transmission.  Le fait que ces peurs n’avaient pas de fondement scientifique n’a pas permis d’éviter leur propagation dans le public.  Plusieurs personnes ont refusé d’entrer en contact avec des individus infectés du VIH.  Plus particulièrement, la peur et la discrimination se sont propagées envers les hommes homosexuels, quand il semblait que c’était surtout les hommes qui étaient atteints  du VIH.

Il est certain que les dernières années ont connu des améliorations importantes en ce qui concerne la maladie du VIH, au point que les médicaments antirétroviraux (ARV) offrent l’espoir à des millions d’individus partout dans le monde de vivre une vie plus productive pendant une période indéfinie.  Malgré cela,  ce progrès a nécessité de nombreuses années de recherche sociale et clinique.  De plus, il y a eu une amélioration majeure de la qualité des ARV utilisés en thérapie, en termes d’efficacité, de tolérance, et d’absence relative de résistance au médicament. À l’opposé, il y a très peu de recherche qui a été effectuée sur le virus Ébola, malgré que cet agent ait été identifié avant la découverte du VIH en 1983.  Par conséquent, la recherche sur l’Ébola n’a malheureusement pas beaucoup avancé en ce qui concerne la prévention, la découverte des médicaments, et la compréhension des modes de transmission.  Il est évident que cette situation ne peut être corrigée qu’au moyen de de soutiens financiers  nécessaires à ce type de travail ainsi que d’offres du soutien social aux individus infectés et affectés par l’Ébola.  Nous savons que ce type de recherche a énormément aidé à diminuer les problèmes de discrimination et de stigmatisation envers les personnes vivant avec le VIH.

Par conséquent, les leçons apprises au cours de la lutte contre l’épidémie du VIH peuvent et doivent s’appliquer le plus rapidement possible au problème de l’Ébola afin d’aider à mettre fin à la propagation de cette épidémie le plus rapidement possible.  Étant donné que l’infection avec Ébola est une maladie grave qui mène au décès plutôt qu’une maladie chronique qui peut être transmise au cours des années, il est théoriquement possible d’arrêter la propagation d’Ébola plus rapidement et de manière plus efficace que ça n’a été le cas pour le VIH.

Cependant, nous devons réaliser que les conséquences de l’épidémie d’Ébola sur le VIH peuvent être négatives.  D’une part, la panique qui entoure l’épidémie d’Ébola a eu pour conséquence de repousser le VIH des pages des journaux. Bien qu’il  soit nécessaire d’informer les gens des dangers de l’Ébola, si nous manquons de mettre une priorité sur l’épidémie du VIH, l’attention du public sera affaiblie au niveau de la transmission de l’information et la conscientisation sur le VIH. Est-ce que cela pourrait augmenter les risques de transmission du VIH? Une deuxième question importante est que nous n’avons pas encore réussi à contrôler l’épidémie du  VIH de manière soutenue et à long terme.  A l’heure actuelle plusieurs pays riches versent  des millions de dollars chaque année dans des programmes globaux d’assistance, en vue de procurer des médicaments contre le VIH qui pourraient sauver des vies humaines.  Plusieurs économistes ont prédit qu’une augmentation du nombre de personnes infectées du VIH dans le  monde pourrait vouer à l’échec les programmes actuels d’assistance si ceux-ci deviennent trop coûteux au cours des prochaines décennies.

Il est évident que la seule manière de faire face à l’épidémie du VIH est de trouver une cure pour l’infection du VIH.  Malheureusement, ce but est difficile à atteindre malgré l’implication d’un grand nombre de scientifiques à l’échelle mondiale  qui sont engagés dans ce type de recherche ainsi que dans des efforts pour trouver un vaccin efficace contre le VIH.  Nous espérons que de nouvelles recherches mèneront rapidement à la découverte de médicaments contre le virus Ébola et au développement de vaccins qui aideront à mettre fin à l’épidémie d’Ébola aussi rapidement qu’elle ne s’est développée.

Le Pr Mark A. Wainberg est professeur de  médecine à l’Université McGill et directeur du Centre SIDA de l’Université McGill, à l’Hôpital général juif à Montréal, Canada.  Thibault Mesplede, Ph.D. est chercheur au centre SIDA de l’Université McGill.

Le 1 décembre 2014