L’entreprise Reveal Surgical de Montréal a conçu une sonde lumineuse portative qui facilite le repérage des cellules cancéreuses cachées, escamotées par les opérations au cerveau.

Un chirurgien vient de retirer une tumeur cérébrale maligne. Mais plutôt que de donner à ce spécialiste la satisfaction d’avoir sauvé une vie, l’acte est assombri par une statistique malheureusement bien réelle; dans 99,5 % des cas, des cellules cancéreuses cachées sont laissées sur place. Elles finiront par croître et se répandre, et l’intervention n’aura en fait donné qu’un court sursis au patient et à sa famille.

Kevin Petrecca, chef du Département de neurochirurgie du Centre universitaire de santé McGill
Kevin Petrecca, chef du Département de neurochirurgie du Centre universitaire de santé McGill

Chose également frustrante, ces cellules meurtrières, invisibles avant ou pendant l’opération, se trouvent le plus souvent incroyablement près de la tumeur retirée.

« Dans 90 % des cas, les cellules ratées se situent exactement là où s’est arrêtée l’intervention », explique Kevin Petrecca, chef du Département de neurochirurgie du Centre universitaire de santé McGill.

Les glioblastomes en ligne de mire

Le glioblastome : un tueur caché

Ce problème de cellules cancéreuses résiduelles dans le cerveau pourrait bientôt être résolu par l’entreprise que le DPetrecca a contribué à fonder à Montréal. Reveal Surgical cible les glioblastomes, le type le plus courant et le plus fatal de tumeur cérébrale maligne. Anciennement nommée ODS Medical, cette jeune pousse du secteur des appareils médicaux a créé une sonde pouvant discerner des cellules normalement indétectables pendant l’opération, permettant au chirurgien de retirer du même coup la tumeur principale et ses tentacules microscopiques. Le dispositif intègre des éléments d’intelligence artificielle (IA) et peut confirmer la malignité des cellules en se basant sur les résultats catalogués de biopsies visant des cancers.

Christopher Kent, directeur général, Reveal Surgical
Christopher Kent, directeur général, Reveal Surgical

Le directeur général de Reveal Surgical, Christopher Kent, soutient que le produit élargit le champ de vision des chirurgiens. Nommée Sentry, le système portatif capte les signes révélateurs de la présence de cellules cancéreuses durant l’opération en illuminant les tissus cérébraux pour relever les décalages spectraux. Ces décalages reflètent la composition moléculaire des tissus cancéreux et représentent en quelque sorte une empreinte digitale des différents types de tissus basée sur les signatures moléculaires des cellules cancéreuses. La technologie de Reveal classifie ensuite ces empreintes, indiquant ainsi aux chirurgiens, pendant l’opération, si le tissu qu’ils examinent contient des cellules cancéreuses cachées.

M. Kent résume de façon éloquente le pouvoir sans précédent d’accès à des données dérivées des tissus qu’offre le dispositif aux chirurgiens : « Nous leur permettons de voir l’invisible. »

L’idée du système a été lancée et développée au Québec, où elle a soulevé l’enthousiasme. Au fil des divers essais médicaux et réglementaires, elle a placé la province au cœur d’un réseau d’hôpitaux de plus en plus étendu à l’international qui mettra le dispositif à l’essai.

Les résultats préliminaires sont positifs; ceci est donc l’histoire d’une entreprise québécoise dynamique, fondée par des chercheurs locaux travaillant dans des établissements d’enseignement supérieur bien établis dans le cadre de partenariats pour licences de propriété intellectuelle, qui est sur le point de fournir à de nombreux établissements de soins de santé un outil qui permettra probablement de sauver et de prolonger des vies.

« Il devrait y avoir des retombées sur des dizaines de milliers de personnes partout dans le monde chaque année », souligne le directeur général, qui énonce la vision initiale de l’entreprise :

« Nous voulions nous attaquer à un problème urgent en neurochirurgie, soit la capacité grandement limitée de visualiser la tumeur avant l’opération par l’imagerie par résonance magnétique, qui ne permet simplement pas de voir un grand nombre de cellules cancéreuses. Les chirurgiens savaient tous qu’ils laissaient des morceaux de cancer dans l’organisme, mais ils n’avaient aucun moyen d’identifier de manière fiable les tissus problématiques. »

Allier ingénierie et médecine

C’est en 2012 que Kevin Petrecca, qui travaille à l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal (le Neuro) du Centre universitaire de santé McGill, et Frédéric Leblond, professeur de génie physique et directeur du laboratoire de radiologie optique de Polytechnique Montréal, se sont mis à discuter.

M. Leblond avait développé une expertise en utilisation de la lumière et de l’optique pour découvrir les caractéristiques moléculaires des tissus en milieux cliniques. M. Petrecca, qui avait passé de nombreuses années à informer les patients et leurs familles du taux infime de survie après une opération pour un glioblastome, avait une idée prometteuse pour améliorer le sort des patients, et souhaitait donner à M. Leblond son avis de chirurgien sur un nouvel outil de salle d’opération.

« Fred est l’ingénieur, le concepteur et l’expert en optique, et je suis celui qui connaît la nature du cancer, sait comment prélever des échantillons et ce qui peut ou ne peut pas marcher en salles d’op », précise le docteur.

De plus, les deux hommes connaissaient bien la spectroscopie Raman, qui mesure la vibration des molécules et peut détecter les cellules modifiées et devenues cancéreuses.

Cette combinaison de facteurs – de l’urgence de réduire ce taux de résurgence frustrant de 99,5 % aux avancées dans les techniques de détection utilisant la lumière – les a conduit, avec leurs équipes, à construire un prototype et à commencer quelques essais sur des sujets non humains.

« Après la conception, on allait en salle d’op et on se faisait dire “Quelle quantité de lumière est-ce que ça émet?”, “Ah non, c’est trop”, se souvient M. Petrecca. Il nous a fallu procéder étape par étape pour chaque élément, en allouant un certain temps à l’essai-erreur, pour obtenir un dispositif vraiment fonctionnel. »

Les essais ont à présent lieu dans des conditions plus réelles, explique M. Kent. L’entreprise a obtenu une désignation de dispositif novateur de la FDA, ce qui l’aide à mettre sur pied ce qu’on appelle des essais pivots. Elle a également reçu l’autorisation de Santé Canada pour procéder à des essais expérimentaux avec son prototype.

« À l’heure actuelle, nous achevons nos études cliniques pilotes dans trois hôpitaux de Montréal, New York et Vienne, qui devraient se terminer d’ici la fin de l’année. L’an prochain, nous comptons lancer un essai pivot multisite dans 10 hôpitaux de l’Amérique du Nord et de l’Europe. »

Des avantages concrets grâce aux résultats en temps réels

Costas Hadjipanayis, professeur de neurochirurgie et d’oncologie à l’Icahn School of Medicine (École de médecine Icahn) à Mount Sinai (New York), a participé à l’une des trois études initiales dans les hôpitaux. Il considère l’obtention de résultats en temps réel comme le principal avantage du dispositif, faisant remarquer que si l’imagerie par résonance magnétique (IRM) aide les chirurgiens à voir les cancers en trois dimensions, elle a ses limites. « Elle ne donne qu’un portrait figé dans le temps », souligne-t-il, anticipant qu’un patient devrait faire plusieurs aller-retour entre la salle d’opération et la salle d’imagerie pour que le chirurgien recueille le type d’images en direct du cerveau fourni par le système Sentry.

M. Hadjipanayis apprécie le produit de Reveal Surgical, qui ressemble à un stylo, pour sa capacité à prendre des mesures de la tumeur et des tissus cérébraux adjacents, et à classifier les échantillons de tissus correspondants.

L’élément déterminant du produit est son intégration de l’IA. Les diagnostics positifs et négatifs posés à l’égard de tissus examinés par la sonde et au moyen de biopsies lors d’opérations servent à entraîner des modèles d’apprentissage machine. Lorsque la base de données de l’entreprise sera suffisamment garnie, les chirurgiens pourront prendre des mesures d’un tissu donné, et le système leur dira immédiatement s’il correspond aux tissus classifiés. Les trois études ont permis de recueillir les données de plus de 120 patients. « Nous avons produit une encyclopédie de données que l’IA devra trier », indique M. Hadjipanayis, qui précise que le projet contribuera à la mise en place d’une étude multicentrique bien définie au Canada et aux États-Unis.

Il explique que les glioblastomes sont plus difficiles à voir que d’autres cancers, qui sont généralement plus foncés que les tissus sains. « C’est ce qui nous limite depuis des décennies : la très faible différence de couleur signalant la possibilité d’une tumeur. » La classification des cellules à la suite de leur illumination élimine ce handicap.

Concilier l’IA et l’humain

Profil : Reveal Surgical

Reveal Surgical a pris soin de ne pas aller trop loin avec l’IA. « La médecine repose fortement sur l’humain, et même si nous aimerions la réduire à un problème d’ingénierie, l’humain est toujours présent, expose M. Kent. Les chirurgiens doivent avoir une idée de ce qu’il se passe. Ils manipulent la sonde et obtiennent des renseignements sur des zones de grand intérêt, mais ce sont eux qui décident quoi faire ensuite. Ce n’est pas parce que la sonde dit qu’un tissu est cancéreux qu’ils vont nécessairement l’enlever. Et ce n’est pas parce qu’elle dit qu’il est normal qu’ils s’abstiendront d’y toucher. »

M. Hadjipanayis note que l’IA aide à établir des seuils pour la présence de cellules cancéreuses et d’échantillons de tissus. « La technologie est ainsi utile non seulement pour poser un diagnostic de tumeur pendant l’opération, mais aussi pour la résection (coupe) de la tumeur à un autre moment. » Selon lui, les résultats immédiats fournis par le système en font un produit unique. « Je ne connais aucun autre appareil qui fait cela. »

Si l’entreprise québécoise en pleine croissance collabore avec des chercheurs internationaux et mène des essais dans des hôpitaux à l’étranger, c’est à l’origine grâce au statut de pionnier de Neuro, qui a adopté très tôt l’imagerie haut de gamme et les résultats de recherche sur ce sujet.

« Le Neuro a été le premier centre au monde, avec le Massachusetts General (Hôpital général du Massachusetts) et la Mayo Clinic (Clinique Mayo), à se munir d’un appareil d’IRM. Les gens ont ensuite commencé à l’utiliser pour examiner les cancers au cerveau », raconte M. Petrecca, qui précise que les images orientaient les interventions chirurgicales tout en indiquant comment se propagerait la maladie. « Ils voulaient savoir quel volume de tumeur restait après l’opération, alors ils se sont mis à faire des recherches. »

Les chercheurs ont remarqué que les résections plus étendues donnaient lieu à une durée de survie plus longue. « Selon les données, la cause des décès n’était pas l’absence de traitement par radiation ou de chimiothérapie, mais simplement le fait qu’il restait environ cinq millimètres de tumeur qui aurait dû être retirée. »

Reconnaissance et investissements

Québec : portrait du secteur de la technologie médicale

En plus de recevoir le feu vert de Neuro et des autorités de réglementation, le projet a reçu l’appui de la population et de la communauté scientifique du Québec. Le système a gagné le prix Québec Science – Découverte de l’année 2017 remis par le magazine Québec Science. Sélectionné comme l’une des 10 découvertes québécoises les plus impressionnantes par un jury de chercheurs et de journalistes, il a été choisi comme lauréat par un tiers des répondants, qui étaient des membres du public.

L’entreprise a par ailleurs grandement attiré l’attention d’investisseurs, dont les apports de capitaux (huit millions de dollars, avant le nouveau tour de financement qu’elle conduira au début de 2022) indiquent la croissance de la confiance envers la technologie.

M. Kent croit que la sonde sera un outil indispensable en salle d’opération. « C’est une nouvelle façon d’examiner les tissus et d’explorer l’espace chirurgical. »

L’équipe n’a pas l’intention de se limiter aux cancers du cerveau et envisage d’adapter le système et sa technologie d’IA à d’autres maladies, comme les cancers de la prostate, du poumon et du sein.